Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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L’expressivité

expressivité

Sommaire

La facétie ne me rebutant en rien, pourquoi ne pas injecter un peu d’humour dans l’introduction de cet article par le biais d’une devinette ? Face à l’enthousiasme général, je me permets de vous la poser : qu’est-ce qui fascine autant le lecteur dans un roman ou une nouvelle que l’énigme proposée ? Devant vos mines perplexes et vos regards inspirés vers le plafond en espérant que les fissures le lézardant vous apportent la réponse, je préfère vous la donner moi-même : le registre émotionnel et sensoriel que ces ouvrages lui procurent. Ce qui tombe plutôt bien, car c’est précisément ce que permet l’expressivité en littérature. Alors maintenant, devinez un peu de quoi nous allons parler ?…

Les phases de changement du personnage par l’étude des sens

Quand l’observation met le lecteur dans la confidence

Je commence par une démonstration d’une simplicité enfantine ou par un exemple que vous pourriez comprendre ? Hi hi, vous auriez dû voir vos têtes alors que je vous taquinais gentiment ! Cette plaisanterie pour vous dire que l’expressivité passe par notre capacité à restituer ce que nous pouvons observer ou ressentir grâce à nos cinq sens. Si dans une histoire vous évoquiez deux personnages dont l’un se moque de l’autre, le lecteur apprécierait que vous donniez des informations sur les réactions du dindon de la farce. Ou de la personne qui se gausse de lui. Voici un exemple où l’expression des traits et l’attitude de quelqu’un tiennent un rôle important, car elles permettent au lecteur, à l’insu des autres personnages, d’assister à l’éventuelle transformation d’un homme meurtri.

L’attitude masquant le pire

« Eugène comprit enfin qu’on s’était payé sa fiole du début à la fin : Candice n’avait à aucun moment envisagé d’accepter son invitation au cinéma. Sur son visage, tandis que tous les convives riaient sous cape de son désarroi, il sentit l’envahir une rougeur où la honte le disputait à la fureur. Au ridicule de faire une scène à la jolie femme, il préféra la dignité qu’il ne pouvait trouver autrement que dans un départ silencieux. Alors qu’il n’avait pas encore touché à son assiette, il se tapota les lèvres de sa serviette avant de la reposer d’un geste dont il freina à temps la brusquerie afin de ne pas bousculer les couverts. Puis il se leva et les planta là sans un mot, ignorant l’hilarité qui montait dans son dos. Mais se seraient-ils esclaffés, les unes et les autres, s’ils avaient aperçu que de cramoisi, son teint était subitement passé à une lividité inquiétante ? Celle de quelqu’un découvrant que, suite à une telle humiliation, il était peut-être capable de tuer une personne ? »  

Le Sphinx et moi

On ne connaît pas l’identité de l’auteur ayant écrit cet exemple éclairant avec un talent rare l’une des facettes de ce procédé stylistique. On sait seulement qu’on a retrouvé au fond d’une crypte cet extrait d’un grimoire poussiéreux presque illisible. Seul un semblant de signature, qui après un laborieux déchiffrage indiquerait Frédéric B., fournirait un début de réponse à cette énigme. Mais pour les devinettes, fallait vous y mettre dès le début, hein ! Ce n’est que mon avis, mais j’estime posséder de bonnes chances d’espérer que sur ce coup-là, le Sphinx ne me contredira pas.

Les racines de l’expressivité

Si l’on revient en détail sur cet exemple, et pourquoi s’en priver puisque de courageux archéologues sont parvenus à l’arracher aux entrailles de la terre qui peinaient à en assombrir toute la lumineuse pertinence, on s’apercevra, pour peu qu’on veuille s’en donner les moyens, qu’il présente à la fois les racines et la cime de l’expressivité. Oui, la formule « l’alpha et l’oméga » commence à me courir sur le haricot. S’il ne circonscrit pas totalement cette figure de style, il en effleure les limites en décrivant du point de vue du narrateur omniscient pourquoi les choses arrivent.

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Le mariage des sens

Le déroulé d’une envie de meurtre

Dans l’ordre : le statut du personnage est présenté (Eugène est pris pour un nigaud), celle qui l’a piégé (Candice, avec la complicité des convives), ce que décide Eugène pour ne pas perdre la face (il choisit de partir plutôt que de déclencher un esclandre), le self-control dont il est capable dans un premier temps (il se retient de ne pas montrer un geste d’énervement en reposant sa serviette sans violence), l’état dont il passe sitôt après avoir quitté la table (sans s’exprimer, et sans que les invités s’en aperçoivent, son teint trahit ce qu’il apprend sur lui-même, la possibilité de tuer quelqu’un après qu’il ou elle se soit joué de lui).

La gestion de la palette sensorielle

L’expressivité ne se résume pas aux actes des gens, ni à la possibilité de pouvoir pénétrer leur esprit ou d’interpréter leurs gestes à coup sûr. Puisqu’elle concerne les cinq sens sans forcément tous les utiliser au cours d’un roman ou d’une nouvelle, et selon le point de vue du narrateur, elle témoigne d’un environnement et de ceux qui le peuplent à divers niveaux de suggestivité. On peut dépeindre l’ambiance particulière d’une scène en ne faisant appel qu’à l’odorat, l’ouïe et la vue ; par exemple, un mariage se déroulant dans un grand jardin : les fleurs qui embaument, le petit orchestre jouant dans un kiosque à musique, les regards portés sur les tenues soignées des participants à l’événement. Mais attention, si votre personnage mange un petit-four et fait part du plaisir qu’il ressent à le savourer, le sens du goût s’ajoutera à la liste.

Le sens manquant

Tout comme on peut retranscrire ce qu’un protagoniste éprouve en ne faisant appel qu’à l’un de ces 5 sens, voici celui que j’ai volontairement omis de citer au paragraphe précédent afin de vous réserver la surprise du chef qui démontrera tout le sadisme dont je suis déterminé à user pour rendre un passage le plus crédible possible : le toucher. Si vous vous attendiez à d’étourdissants transports amoureux se déroulant lors de la nuit de noces, vous allez être déçu(e)s. Mettons que cette journée de joie et de bonheur soit organisée par un parrain de la maffia (oui, j’ai des relations) et qu’en même temps, les rires des jeunes gens folâtrant le long d’allées bordées de gazon luisant retentissent dans l’air où les senteurs de plantes luxuriantes s’entremêlent, un homme ayant trahi le maître de cérémonie subisse une séance de torture dans une cave prévue à cet effet.

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Devenez le druide de votre expressivité

Des brutes trop tactiles

Croyez-moi, en cette occasion, le toucher suffira amplement à ce que le lecteur ressente la souffrance inhumaine éprouvée par le pauvre bougre quand des brutes s’occuperont de lui (qui l’aura bien mérité tout de même, c’est un traître après tout). Je vois ici un petit malin, appuyé à l’un de mes murs où est accroché un Van Gogh authentique (oui, j’ai les moyens), me dévisager d’un air goguenard avant de se délecter à l’avance d’une remarque avec laquelle il compte démolir mon hypothèse : « Et les cris de douleur, on ne les entend pas, peut-être ? On l’a oubliée en route, l’ouïe ? ». Un conseil, les ami(e)s, lorsqu’une attaque d’une fourberie sans pareille vous est destinée, répliquez par une répartie bien sentie, comme : « Et le bâillon, c’est réservé à vos soirées sadomasochistes, peut-être ? », puis passez à autre chose en affichant un air résolument dégagé. Voilà, je pense qu’on en a fini pour cette fois avec le toucher.

Cueillir l’essence humaine

L’expressivité sert aussi à ce que le lecteur se sente en quelque sorte proche d’un ou plusieurs personnages, à moins que vous ne désiriez qu’ils le révulsent. Ou bien lui fasse partager un moment heureux et/ou mélancolique en ne faisant appel qu’à un lieu inscrit dans sa mémoire (une grange dans laquelle il rêvassait au cours de son enfance, le regard perdu parmi des éblouissements de poussière dansant dans les rayons obliques du soleil ; la félicité s’emparant d’un personnage-narrateur s’émerveillant de la majesté d’un  paysage ; l’émoi d’un jeune homme tombant amoureux fou d’une ravissante demoiselle et à qui les mots pour lui avouer son subit attachement lui manquent, etc.). Tout ça est fort joli, mais comment s’y prendre ? Suivez le druide ! Quoi, le guide ? Seule une serpe druidique dispense la magie nécessaire à la cueillette de l’essence humaine, voyons !

La compréhension par l’expressivité

Nous possédons chacun une palette sensorielle qui nous est propre. Quand une fragrance bouleversera une personne, elle en laissera une autre indifférente. Transmis à votre écriture, ce phénomène fera qu’une musique agressera l’oreille d’un de vos personnages policiers là où elle transmettra de l’énergie à son partenaire de patrouille. Ou que la vision d’un ciel étoilé remplira d’extase le regard d’un jeune homme tandis qu’à ses côtés une jeune femme fera semblant de s’intéresser à l’énumération des 5 étoiles les plus brillantes constituant la constellation Cassiopée. En tant qu’auteur, votre rôle consiste à ce que le lecteur comprenne ce que vous désirez exprimer même s’il ne le partage pas. Ce que vous saisissez de l’existence selon l’expressivité doit transparaître dans votre propos.

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Donnez du boulot à vos personnages

À chacun son job

C’est à vos personnages d’effectuer la part du boulot qui leur revient : imposer vos préférences ou vos dégoûts à travers leurs agissements. Admettons, même si ce n’est pas vrai, que l’un d’entre eux déteste manger de la viande à cause de l’odeur qu’elle dégage (ou pour d’autres raisons). Il faut d’abord que votre lecteur identifie la nature de ce rejet par la description olfactive d’un produit carné tel que votre palette sensorielle vous le propose. On ne choisit pas d’apprécier ou non une senteur, n’est-ce pas ? Votre personnage ne le choisira pas non plus. Quand vous lui ordonnerez de dire : « Bon sang, je ne sais pas comment tu supportes l’odeur de cette côte de bœuf, on dirait qu’on a oublié mamie sur le barbecue ! », il le répètera tel quel. Enfin, s’il a le même sens de l’humour que le mien.

Le sixième sens de l’expressivité

La vision est ce qui nous renseigne dès notre réveil sur le monde qui nous entoure. Il arrive que ce soit le toucher qui la précède, lorsque que vous vous cognez  le petit orteil en pleine nuit dans le pied du lit en vous relevant pour aller aux toilettes. Vous la sentez la solidité du bois, là ? La douceur du pin ? Cela restant anecdotique, ce sont bien les yeux qui vous remettent tous vos repères habituels instantanément en mémoire. Enfin plus ou moins, si vous êtes comme moi du genre à appuyer sur le bouton de la machine à café pour allumer la radio. La distraction devrait être intégrée comme le sixième sens pour les types comme moi, quand j’y pense.

Le plus chouette des sens

Allez, reparlons avec un peu plus de sérieux de la vue : la vue est le sens qui permet de réagir à l’environnement distant au moyen des rayons lumineux. L’œil est l’organe de la vue, mais la vision, c’est-à-dire la perception visuelle, implique des zones spécialisées du cerveau. Euh… je crois que ça va commencer à se remarquer que je suis en train de recopier le début de l’article de Wikipidia consacré à ce sujet, là, non ? J’ai bien peur que si. Et puisqu’il me faut vous parler de ce sens avec tout le solennel qui s’impose, car ça va vous servir concernant son usage spécifique dans la littérature, je crois qu’il est grand temps d’arrêter les frais, ce serait chouette. Car la chouette effraie.

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Je vous ai à l’œil

Les sens du rêve

Un écrivain, qu’il pointe le bout de son nez dehors ou pas, ne peut s’empêcher de relever des bouts de vie qu’il stocke, souvent sans y penser, dans un coin de sa mémoire. On ne sait jamais, ça peut resservir. L’ouïe étant souvent de mèche avec la vue, il arrive même qu’une info entendue à la radio (s’il ne l’a pas confondue avec la machine à café) le fait dans l’instant se diriger d’un pas vif et majestueux vers son bureau pour y griffonner un début d’idée. Les yeux sont des revendeurs d’images transformant les mots en rêves. Et les rêves (ou les cauchemars) en histoire. Petite info : je donne des cours pour se diriger d’un pas vif et majestueux vers son bureau. Oui, ça aussi ça s’apprend.

Voir et regarder

Si la vue donne à la plupart des gens la faculté de distinguer diverses personnes ou choses sans leur accorder plus d’attention que ça, dans la palette sensorielle de l’écrivain, elle se mue souvent en regard avec la part d’attention supplémentaire que cela comporte. Regarder rend notre cerveau actif par le truchement de nos yeux. Notre esprit ne frôle plus dès lors le sujet repéré, mais l’examine jusqu’à prendre conscience de l’intérêt qu’il a suscité en nous. Au point que notre subconscient en décèle la valeur qui nous servira peu de temps après lorsque nous nous installerons à notre table de travail.  

Une cage pleine de sens

Regarder est d’une certaine manière supérieur  à « l’acte » moins concentré de voir, pour celui dont le métier exige que chaque détail pris dans le faisceau de ses yeux soit fidèlement restitué le moment venu. Mais les deux font bel et bien partie de la vue. Ce qui attend son heure dans notre mémoire servira en temps voulu ; la chose étudiée avec un regard d’une acuité plus vive fera probablement l’objet d’une exploitation littéraire plus immédiate. En tout cas, que vous capturiez la singularité d’un objet sur lequel vos yeux ont glissé durant des années et stimule soudainement votre imagination, ou qu’au cours d’une ballade votre concentration semble s’élever à un niveau tel qu’elle enfermera l’instant venant de provoquer un fourmillement dans vos neurones, sachez, le moment venu, ouvrir la cage à vos cinq sens…

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