Choukri Osman

Arabesques

Roman
Une phrase énigmatique à suivre pour partager l’amour des livres et de  l’écriture.

« Seuls les gens sans vision
s’échappent dans le réel. »  

 

Soutenez ce premier roman ! 
Difficile d’être confronté à l’attente et au doute quand les premiers refus des éditeurs arrivent. Interview de Choukri Osman qui présente son roman.

 

Présentation

Ecrire en toute conscience sa transformation de femme au foyer en écrivain est une prouesse. L’authenticité et l’autodérision de Choukri Osman  nous entraînent  dès les premiers mots dans un univers de lectures, d’étonnements et de questionnements… suivant à la trace l’évolution d’une phrase étrange dans son esprit : « Seuls les gens sans vision s’échappent dans le réel ».  

Ce roman ne comporte pas de chapitre, pas  de pause, afin de restituer cet élan à vouloir devenir écrivain dans sa continuité. Cette fluidité rassemble  ses  explorations du passé, ses évasions imaginaires, ses surgissements  sporadiquement dans sa réalité. C’est ce cheminement imprévisible, inconnu que l’auteure nomme « arabesques » et qui donne une forme à cette écriture aussi novatrice que généreuse.

Au début de cette aventure, elle n’a qu’un désir de lire.  La nécessité de penser s’impose à elle, c’est –à –dire de ne rien faire qui puisse ressembler à une vie ordinaire pour se sentir exister. Elle refuse l’activisme ambiant et de se plier à  une vie organisée à sa place. La vocation se manifeste comme elle peut et s’est grimée pour elle en un mal-être. L’auteure se révèle au fil des pages comme étant une véritable Emma Bovary new yorkaise plongée dans le 21 siècle en quête de son identité. Elle possède trois cultures et ne sait plus laquelle choisir, à tel point que  « je » est devenu imprononçable. Elle  ne parvient pas à écrire et ne termine aucun de ses textes. S’il suffisait d’enchaîner une idée à une autre ce sera si simple…  Comment écrire si l’on ne sait plus qui on est ? Elle finit par trouver sa voie le jour où elle comprend qu’il s’agit pour elle d’une  lente construction d’elle-même et qu’elle y parviendra en écrivant.

Ses lectures lui révèlent ces parties insaisissables d’être-elle même comme différents miroirs. Ces indices l’invitent à explorer les grandes profondeurs d’elle-même. Des signes tout d’abord dénués de sens. Ce n’est qu’au terme de multiples introspections,  tentatives d’écriture, d’imitation des plus grands écrivains dans leur quotidien, qu’elle  parvient à se lancer enfin. Elle rédige des textes comme autant de conversations qu’elle tiendrait avec ses auteurs et ses personnages préférés. Des moments jubilatoires où fleurissent des mots d’esprit. Elle dévore les livres sans compter. Les mots ont l’intensité de la vie elle-même. Elle finit par trouver ses propres mots et les fixer sur le papier. Elle peut se lire enfin, voir qui elle est devenue.  Cette chrysalide aura duré près de 10 ans et lui a permis de comprendre que l’on est le seul artisan de sa conscience et de sa réalité.

Jocelyne Barbas

 

Extrait

ARABESQUES

Roman

« Un personnage de roman, c’est n’importe qui dans la rue qui va jusqu’au  bout de lui-même.» Georges Simenon

« La vie n’est pas ce que l’on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s’en souvient»  Gabriel Garcia Marquez

A Ayeeyo, ma grand-mère
A toutes les grands-mères du monde
A toutes celles et ceux qu’elles ont élevés

« Je vivais à l’époque à New York, la ville de tous les possibles. J’étais une femme au foyer. Et je n’étais pas heureuse. Pour noyer mon chagrin, je m’abreuvais des films de Woody Allen. Il me chuchotait souvent : « Pour être heureuse ma puce, seuls deux choses comptent dans la vie, le métier que l’on choisit et le sexe, rien d’autre ». Je n’avais ni l’un, ni l’autre. Être une femme au foyer n’est pas un métier en soi. Le sexe, dans ma vie, se résumait à un soupir et un frisson. Le soupir, au début pour chasser une question qui s’invitait toujours dans mon esprit à ce moment précis : « Comment font les autres pour se monter dessus et trouver du plaisir après dix années de mariage ? ». Et le frisson, si possible, parfois vers la fin du frotti-frotti.

J’avais même, durant cette période de ma vie, déprimé. Pourquoi ai-je déprimé ? Pour oublier. Oublier quoi ? Oublier que j’avais honte. Honte de quoi ? Honte de vivre l’échec dans toute sa splendeur. Honte de vivre à New York sans will power. Mais tout dépend de ce que l’on entend par ce mot. J’estimais, pour ma part, que choisir l’inertie à l’action et s’extasier devant sa propre dégradation, c’était avoir le will power dostoïevskien. Ma vie étant ce qu’elle était, l’action me paraissait inutile, voire franchement inutile. Je voulais juste qu’on me laisse tranquille avec ma doucereuse extase. Je disais à tout le monde : « Je suis en train d’écrire mes propres notes du sous-sol inspirées de celles de Dostoïevski. ». Et bien sûr en refermant la porte du sous-sol derrière moi, je sombrais. Car dans ces moment-là.
On n’écrit pas, Madame.
On n’écrit pas.
On ne fait rien de ses dix doigts.
On ne dit rien ou bien n’importe quoi.
Faut vous dire Madame.
Que dans ces moment-là.
On ne pense pas, Madame.
On ne pense pas, on divague.
Et puis il y a des jours, où sous la pluie de nos soucis
On est raide comme une saillie.
Il y a des jours, où la douleur de notre déprime devient notre seule amie.
Et ça fait des grands sniff.
Et ça fait des grands sniff.
Et puis, et puis arrive un jour, où l’on finit par se lasser de notre chère amie.
On n’en peut plus d’elle tellement qu’elle pue.
Un de ces jours-ci, on la fuit
si on n’est pas déjà complètement cuit.
Faut pas jouer avec la déprime,
quand on aime la vie.
Faut vous dire Messieurs, qu’avec celle-ci,
on ne vit pas, Messieurs.
On ne vit pas.
On se tue.

C’est peut-être ce que l’on cherche dans la vie, rien que cela le plus grand chagrin possible pour devenir soi-même avant de mourir, me disait Louis Ferdinand Céline. Mais moi je ne voulais pas mourir. Je ne cherchais pas un grand chagrin pour devenir moi-même non plus. J’observais le monde à travers de longues siestes. En me réveillant de ces siestes, je me disais qu’il était rongé de l’intérieur par un mal inconnu et qu’il souffrait d’une affection chronique. J’ai fini par comprendre que c’était moi qui souffrais d’une dépression chronique. J’ai avalé malgré moi, les happy pill que me prescrivait mon docteur pour ne plus être une effacée déplacée. Elles étaient censées donner à mon cerveau des substances chimiques dont il raffolait. Après, j’ai laissé le monde tranquille. J’ai commencé à mener la grande vie. Tout dans ma vie était devenu simple, sérotonimement, sans doute, tout ce qui était si compliqué auparavant… Tout s’était transformé et mon sourire sérotoniné séduisait même les new yorkais. On me demandait partout: « Where do you get that smile from? ». Je répondais d’une voix veloutée : « From Sérotonine City » en continuant mon chemin. Où d’autre qu’à New York cherche-t-on l’origine d’un sourire ? C’était comme si les happy pills avaient soulevé soudainement le couvercle d’une cocotte en fonte posée sur ma tête à mon insu. J’avais l’impression qu’un courant d’air frais arrivait dans mon cerveau, soufflait sur mes doutes et me libérait de mon épuisante habitude d’angoisser.

Voilà tout pour cette période de ma vie. J’aurais pu m’y attarder plus mais à quoi cela vous servirait-il de vous étaler tous les détails ? Heureusement pour rompre la monotonie de ces journées, je rigolais avec mon fils, j’écoutais Brel, je regardais les films de Woody Allen et je lisais. Lorsque j’ai compris plus tard, grâce à Céline, que nous sommes par nature si futiles que seules les distractions peuvent nous empêcher vraiment de mourir ; je m’étais accrochée à la lecture avec une ferveur désespérée. Ma lecture effrénée avait donc débuté avec le voyage au bout de la nuit. Elle m’a permis aussi de remplacer lentement, doucement mais longuement la dose de sérotonine par une dose de littérature : des phrases suspendues dans l’air que j’aimais lire et relire. Je les avais d’abord recopiées à la main dans de petits cahiers d’écoliers pendant plusieurs années. Je voulais que ça soit beau. Je mettais des heures et des heures à les transcrire. C’était presque de la calligraphie. En me regardant déchirer tout une page à cause d’une petite rature puis recopier les mêmes phrases, mon fils secouait souvent la tête en se disant tout bas : « Elle devient vraiment maboul ». Il ne savait pourquoi je les chérissais à ce point. Il ne savait pas ce qu’elles représentaient pour moi. Elles étaient la musique qui faisait danser ma vie. Elles me permettaient de ne plus être l’idiote parfaite que j’étais ; de me regarder, de m’écouter et me questionner.

Vers la fin de cette cure qui avait duré un an, ou alors j’oubli, j’étais tombée une nuit sur une phrase qui m’avait laissée bouche bée toute ouïe. J’avais lu toutes les autres phrases, sauf celle-ci. Je vous raconterai plus tard où et comment je l’ai entendue. Je me suis rendue compte cette nuit, à quel point certaines phrases avaient tracé la trajectoire de ma vie. Le lendemain, j’ai commencé à écrire le livre que vous êtes en train de lire. En quelques mois, j’avais fini le premier jet. Il n’avait rien à avoir avec l’histoire autour de laquelle je tournais en rond depuis six ans ; mais c’était le genre de livre que j’adorais lire et dévorais d’habitude avant même de quitter les librairies. Je les achetais quand même en sortant, sauf lorsque j’étais complètement fauchée. Je ne vous dis pas ceci pour vous inciter à acheter le mien. Surtout si vous êtes un broke voracious reader comme je l’étais à cette période de ma vie. Je sais que pour vous, la meilleure manière de lire un livre, c’est assis adossé à un mur d’une librairie ou debout avec un coude posé sur l’une de ses étagères. Been there, done that. Je serais surtout ravie si vous arriviez à oublier, grâce à moi, pendant un petit moment l’espace, le temps et le fait que vous n’avez pas assez de tunes pour acheter tous les livres dont vous rêvez.

Voici la phrase que j’avais entendue cette nuit-là : « Seuls les gens sans vision s’échappent dans le réel. » Quelque chose s’ouvrait mystérieusement en moi. Comme une rose coquine et espiègle, je parlais enfin librement de moi.

Il était assez tard lorsque j’étais rentrée à la maison. J’avais lu d’une traite « Jacques le fataliste » de Diderot au lit et j’avais remercié Allah, d’être capable d’engloutir une telle portion d’un seul coup. Ensuite, j’ai commencé à discuter avec Diderot.
Moi. – Ah si seulement je savais écrire comme je sais rêver ! Mais il était écrit là-haut que j’aurais les choses dans ma tête, et que les mots ne me viendraient pas.
Diderot. – Et pourquoi pas ?
Moi. – Pourquoi pas quoi ?
Diderot. – Pourquoi les mots ne te viendraient-ils pas ?
Moi- Parce que c’était écrit là-haut que j’aurais les choses dans ma tête.
Diderot.- Penses-tu que le moment de sortir les choses de ta tête viendra un jour ?
Moi.- Qui le sait ?
Diderot.- A tout hasard, commence toujours…

Pour lutter contre mon spleen, j’avais, pendant longtemps, griffonné un mot, une phrase ou un paragraphe sur des moleskines. J’avais cherché une voix, imaginaire ou réelle qui me permettrait enfin de me débarrasser des histoires coincées dans ma tête. A la fin de cette nuit blanche, je regardais les premiers filets des rayons de soleil entrer par ma fenêtre. Ils m’irradiaient d’un immense désir d’écrire. Je sentais enfin cette voix qui commençait vers l’arrière de mon genou et me montait jusqu’au bout de la tête. Je me disais : « A tout hasard commence toujours par essayer de comprendre cette mystérieuse phrase, seuls les gens sans vision s’échappent dans le réel ».

***

Il faut d’abord que je vous dise comment j’ai rencontré cette fameuse phrase. J’étais allée écouter Marie Darrieussecq parler de son dernier livre,  » Il faut beaucoup aimer les hommes » à la maison française de l’Université de New York. C’était la première fois que j’allais à cette université. Je vivais dans une petite ville de la banlieue new yorkaise appelée New Rochelle. J’avais souvent voulu assister aux rencontres d’écrivains à Manhattan mais je n’y arrivais jamais parce que j’oubliais à chaque fois de prendre en compte tous les imprévus qui surgissaient dans ma routine de femme au foyer ; particulièrement le jour où je décidais d’y inclure un événement culturel qui me plaisait vraiment. C’était comme si cette routine était un corps vivant qui développait une sérieuse allergie, et expulsait violemment, toute chose autre que cette réalité Tupperware : sortir la viande du soir du congélateur, préparer le petit déjeuner, déposer mon mari à la gare de New Rochelle pour le commutage à Manhattan pendant que le gosse dormait encore ; préparer le second petit déjeuner pour le gosse, l’aider à manger, le conduire à l’école, débarrasser, laver, ranger, courir à deux heures pour ramener le gosse, précuire une partie du dîner, aider le gosse à faire ses devoirs, le déposer par çi et par là pour toutes les activités extra-scolaire, courir pour ramener mon mari à la maison, finaliser le diner, ramener le gosse aussi, mettre la table, manger en famille, laver, ranger, s’écrouler au lit, soupirer, si possible frissonner.

L’imprévu de ce jour-ci, c’était le môme qui avait choisi de vomir trois fois dans sa classe. J’aurais pu attendre le lendemain pour l’amener chez son médecin, mais j’étais, comme toutes les autres femmes au foyer de mon entourage de cette riche région du Weschester, une névrosée. Comment je sais qu’elles étaient toutes des névrosées comme moi ? Well, parce que c’est elles qui m’avaient filé leurs angoisses. Je n’étais pas une angoissée avant de venir vivre dans cette région. J’ai fini par le devenir à cause de ce dicton en somali, ma langue maternelle : « Meel la wada il laayaahay haddaad aadid, il baa la is jaraa » ; quand tu arrives à un pays où tout le monde est borgne, il faut se crever un œil et pas n’importe lequel, celui de la majorité. Le jour où j’ai adopté sans m’en rendre leur tic de la lèvre inférieure tordue, j’ai reçu en cadeau, par l’une des mamans de la salle, un sourire crispé. Nous étions à la salle d’attente du docteur Zidani, le pédiatre des enfants de toutes les mères au foyer angoissées du coin. Au début j’y allais une fois par trimestre. J’ai fini par y aller aussi les lendemains des nuits blanches passées à surfer sur les sites internet, où l’on venait toutes nous gaver d’angoisse en lisant la liste des sérieuses causes se cachant derrière n’importe lequel des petits bobos de nos mômes. Disons que c’était toutes les deux semaines. J’allais chez le docteur Zidani cette après-midi-là, pour calmer mon angoisse. Il a fini par me dire, comme toujours : « C’est un virus, ça passera après quelques jours ». Il était six heure et quart lorsqu’on était arrivé à la maison. La conférence commençait à sept heures à Manhattan. Le train de banlieue que je voulais prendre était déjà parti depuis belle lurette. Le prochain train quittait New Rochelle à 18h33 et arrivait à Grand Central à 19h05. Ensuite, il fallait prendre le métro de Grand Central jusqu’à Downtown pour je ne sais combien de temps et enfin marcher de l’arrêt du métro, jusqu’au New York University, un trajet que ne je n’avais jamais fait. Je serais arrivée à la salle au plus tôt à 20h00. En ouvrant la porte, je me disais tout bas : « C’est fichu, encore une fois » mais au lieu de laisser tomber comme d’habitude, j’ai dit à mon fils : « Va faire pipi, on part à Manhattan ». J’ai jeté dans mon sac une banane et une bouteille d’eau et je suis ressortie. « What ? You are driving to Manhattan ! » Avait-il hurlé en me trouvant en train de l’attendre au volant de la voiture. Je me suis retournée vers son siège pour lui donner la banane et la bouteille d’eau, je lui ai demandé de s’attacher et de rester tranquille parce que j’avais besoin de me concentrer sur la route. Puis, j’ai foncé. »

Choukri Osman

A vos claviers ! 

Nous avons 3 questions à vous poser : 

1 – Auriez-vous envie d’en savoir plus ? 

2 – Ce premier roman pourrait-il vous encourager à devenir écrivain ? 

3 – Seriez vous prêt à acheter ce roman ? Si oui merci de nous laisser votre adresse. Vous serez contacté lors de la parution.

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