Jeux de mots, calembours, contrepèteries, on ne manque guère de moyens pour triturer les mots au point de les mettre sens dessus dessous. Voire les faire rouler à contresens sur les chemins de notre esprit afin qu’ils provoquent de jouissives collisions textuelles. Si vous le voulez bien, je vous convie donc à pénétrer cet univers où dans une même phrase peuvent cohabiter une chose et son contraire dans le seul but de chatouiller l’imaginaire pour le faire rire…
Même de loin, c’est à-peu-près
L’à-peu-près maîtrisé
Les jeux de mots nécessitent une approche particulière de l’écriture. Ils ne racontent pas une histoire, s’épanouissant dans un à-peu-près à visée drolatique et non dans une rigueur narrative. Pour autant, ce doit être un à-peu-près maîtrisé, le sens de la formule devant s’exprimer avec une logique percutante, même dans le cadre d’un humour nonsensique. Les jeux de mots sont des fulgurances traitant avec dérision et de manière surprenante les sujets qu’ils englobent. Ils doivent déclencher chez le lecteur une image ne correspondant pas a priori à des assemblages connus.
Comment faire obéir l’imagination du lecteur au doigt et à l’ail
Si une représentation mentale comme celle de l’intertitre de ce paragraphe, « au doigt et à l’ail », fait appel à une expression connue, sa matérialisation dans l’esprit n’en est qu’une lointaine cousine défigurée. Il arrive qu’on se gousse – pardon, qu’on se gausse – d’une personne par le biais d’une ressemblance toute relative, pour ne pas dire inexistante. Le jeu de mots est une fausse approximation, le portrait sciemment biaisé d’une réalité. Comme lorsqu’on dit de quelqu’un : « Tiens, il a des airs d’untel », à la façon de ce fameux sketch de Les Inconnus, « Tournez ménages », où l’animatrice incarnée par Michèle Laroque pose une question à un candidat au physique plutôt ingrat joué par Didier Bourdon :
« En fait Jean-Pierre, c’est une question très simple. Est-ce que vous ressemblez à une vedette de cinéma ou un acteur ?
— Ah oui, il y a des copains à moi, ils disent que je ressemble à Alain Deloin.
— Delon !
— Non non, ils disent Deloin, eux. »
Il n’y a pas de fumée sans tuyau de poêle
Nous revenons à travers cet extrait à l’à-peu-près évoqué plus haut – ne levez pas la tête, le torticolis vous guette –, à cette part imprécise où sommeillent des références plus ou moins assoupies dans notre inconscient. À ce que l’imaginaire recèle de connexions. Une bonne part d’un jeu de mots trouve son succès dans des registres connus par tous, des faits établis, communs, des certitudes absorbées par le plus grand nombre et sur lesquelles on s’appuie pour mieux les détourner. Cela peut s’aborder avec autant de malice que de cynisme si jamais l’envie nous prend de repeindre nos facéties à l’humour noir. Un jeu de mots peut être lui-même parodié avec succès ; je pense notamment au célèbre calembour « Comment vas-tu yau-de- poêle ? ». On le doit à Henri Maigrot quand il l’écrivit en 1896 dans l’Almanach Vermot, revisité par le regretté Marcel Gotlib, le roi de « L’humour glacé et sophistiqué », en un hilarant « Comment allez-vous yau-de-poêle ? ». Imparable.
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Mouche, éléphant, bison et mustang
Comment créer un bon jeu de mots
Pour que naisse un jeu de mots qui fasse mouche, il ne sert à rien d’étudier le mode de reproduction des diptères. Parfois, il est le fruit de deux choses dissemblables au possible trouvant dans la manière avec laquelle on les noue une harmonie dont le côté inattendu fait sourire. Prenons JFK – pas l’aéroport, le président qui a attrapé un rhume de cerveau à Dallas en roulant en décapotable. Associons à ce mot « décapotable » l’idée d’un préservatif. Je sais parfaitement que vous aviez fait le lien, je viens de vous voir rougir. Que tirer, si j’ose dire, d’une telle base de départ ? Allez, je vous suggère mon idée : « Si JFK avait mis sa capote, l’attentat n’aurait pas vu le jour. ». C’est aussi subtil et léger qu’un numéro de cirque où des éléphants jongleraient avec des bisons, mais bon, vous voyez le truc, quoi…
De l’emploi du jeu de mots dans un texte
Les plus observateurs d’entre vous l’auront sûrement remarqué, j’aime placer ici ou là des jeux de mots dans mes articles. Surtout là. Ce qui me permet, à moins que je ne me berce d’illusions, de proposer, au-delà du strict sujet abordé, une approche que j’espère la plus attrayante possible. J’aime à penser que, sous des dehors ludiques, je peux transmettre à mon lectorat quelques astuces qui l’aideront à progresser dans son écriture grâce à divers « trucs d’écrivains » glanés depuis que je m’intéresse à la chose littéraire. Cependant, je déconseillerais à quiconque d’en abuser dans une histoire, car les jeux de mots ne sauraient en aucune manière constituer un récit. Mais l’agrémenter, oui, certainement. À quelques conditions…
Les jeux de mots gratuits ne rapportent rien
Quand j’écris une nouvelle, j’essaie de ne jamais me fendre d’un jeu de mots gratuit. J’entends par-là s’il n’apporte rien à un personnage ou à l’intrigue, par exemple. Qu’il ne soit pas possible de rebondir utilement dessus. Sinon, il tombera à plat, ou pire, fera sortir mon lecteur de l’histoire. La structure d’un article permet en revanche d’en glisser plusieurs, ne serait-ce qu’en guise de clin d’œil pour clore un paragraphe afin d’effectuer une transition rigolote vers le suivant. Alors le sujet de cette semaine traitant justement de cette façon particulière de manier les mots, vous pensez bien que je ne me suis pas privé de lâcher les chevaux. Tiens d’ailleurs, où ai-je mis mon lasso ? Ce serait bien dommage que je ne ramène pas ma Ford Mustang dans son enclos. On se retrouve vroum-vroum plus bas.
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Le couronnement de l’humour dans l’Histoire
Itinéraire d’un enfant gaieté
Il aurait été bizarre que les noms des villes, ou leurs spécialités, voire les deux associés, échappent aux jeux de mots et n’enfantent pas de la drôlerie ; oui, ç’aurait été le louche de l’histoire… Voyons ce que ça peut donner : on ne peut se rendre à Dijon sans que la boutade nous monte au nez, pas plus qu’on ne courbera le dos sous le poids de la bêtise, trop Cambrai pour ça. Ne comptez pas vous rendre à Lyon en n’ayant la cervelle qu’à nu ; on sait par ailleurs qu’il vaut mieux mourir à Poitiers que pourrir à moitié. Si pour un déjeuner on hareng-des-vous à Saumur, l’addition risque d’être salée. Et que dire du danger pour un homme de faire l’amour à Mantes-la-Jolie avec une religieuse ? N’oublions pas l’impossibilité de fréquenter la Normandie sans éviter Caen, dira-t-on… Bref, saisissez-vous d’une carte routière et dans ses sinuosités langagières, tracez votre propre itinéraire ! Et ce n’est là qu’une des voies royales où l’humour se voit couronné.
Il ne faut pas confondre allumette idiote et sobriquet
Je parlais des villes, mais on peut aussi évoquer les champs, ceux de bataille en l’occurrence. Là où en l’absence de filles magnifiques en train de se remaquiller on peut tout de même à vue de nez évoquer la poudre à canons. Car on a de tous temps tiré à boulets rouges sur bien des personnalités historiques, les chansonniers et les journalistes s’en donnant à cœur joie dans cet exercice de la moquerie littéraire, entre autres les plumes d’un canard satirique qui, en référence à Bonaparte, avait gratifié l’un de nos anciens présidents de la République d’un « Nabot-Léon » assassin. Un autre locataire de l’Élysée a hérité de la part d’un membre de son propre parti d’un savoureux « Guimauve le Conquérant » tout aussi létal. Et, pour remonter aux origines de la Ve République, on parlait d’un certain « sot en hauteur », général de son État. Tous ces sobriquets ravageurs ont su au fil des siècles entretenir la flamme de l’impertinence épicée d’une délicieuse causticité et faire en sorte qu’au gré de toutes les démangeaisons dont il est la cause, jamais le poil-à-gratter ne devienne imberbe…
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