Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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Sachez quoi faire des mots

Sommaire

Faire bon usage des mots demande de lire, s’arrêter et réfléchir. Utiliser n’importe lequel n’importe comment et voilà une phrase gâchée.

On a tant écrit sur les mots, ils ont tellement été sollicités pour nous parler d’eux-mêmes qu’on pourrait se demander ce qu’il reste à en dire et ce qu’ils peuvent encore nous confier. Mais comme tout ce qui se pare d’évidence est cerné de mystère, tels ces sites archéologiques mille fois fouillés titillant l’imagination des chercheurs les plus obstinés, nous allons opérer notre propre creux dans ce chantier éternellement retourné…

L’absence nécessaire

Le gêneur

Selon la formule d’Antoine de Saint-Exupéry, « La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer ». Je vais donc commencer à évoquer ces textes dont toutes les échardes lexicales n’ont pas été retirées. Pour souligner l’importance d’admettre qu’en certains cas, un mot ne saurait mieux servir une phrase que par son absence. Que sans le savoir, l’auteur l’ayant convié dans un paragraphe avec l’assurance de l’imposer en tant qu’invité d’honneur y aurait en fait introduit le pire gêneur : le mot de trop.

La légitimité du mot

En cherchant un peu, je suis persuadé que vous trouverez de ces intrus dans mes articles. Pourquoi ? Car l’illusion d’atteindre la perfection telle que définie par Saint-Exupéry se dilue dans la réalité des relectures. La prise de recul cloue de son éclairage cru la trompeuse certitude d’avoir évité le superflu. Sans doute ne se pose-t-on pas comme il le faudrait la question de la légitimité d’un mot, confondant son importance avec son indispensabilité. Un bijou est important pour rehausser une parure ; il n’est pas indispensable pour que celle l’arborant en acquière un supplément de beauté. Le mot naturel, qui ne froufroute ni ne scintille, suffit à révéler le charme d’un texte, sa séduction simple. Le mot de trop dissimule plus qu’il ne met en valeur.

Le moteur intellectuel

À ce mot-là, on préfèrera le mot choisi avec bon goût. Cela n’interdit en rien la littérarité, la quête du terme précis s’emboîtant sans heurt ni flottement avec les autres. On dit que le jeu est l’art de la mécanique. Une histoire qu’on raconte est un moteur intellectuel. Elle a besoin de respirer sans être lâche dans sa construction. Le coulissement de vos pensées ne devra donc souffrir d’aucune ébarbure susceptible d’en entraver les imbrications. Les mots sont autant de glissières que de points de soudure, leur assemblage bien étudié constituant la fiabilité et la solidité de votre propos.

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Le temps du vocabulaire

Écart et tâtonnements

On sent qu’un mot est à sa place quand on n’a pas besoin de l’observer sous toutes les coutures afin de s’assurer que son positionnement dans la phrase est correct. Comme lorsqu’on insère un objet dans un emplacement prévu pour qu’il y loge sans le moindre tâtonnement. Plusieurs raisons empêchent souvent ce parfait encastrement lexical de se produire du premier coup. L’étendue de notre vocabulaire en est une des plus logiques. Moins on a de mots à notre disposition, plus l’écart entre l’idée qu’on souhaite exposer et la chance de l’exprimer avec la précision requise sera important. Un espace qu’il revient à chacun de combler par la lecture de nombreux livres.

Les cellules mortes du temps

Quand une personne désireuse d’écrire se félicite d’avoir réussi à lire un roman dans le mois, j’attends la suite de la blague. Qui ne vient jamais. Et pour cause, ce n’en est pas une. Avoir des prétentions littéraires en lisant douze bouquins en quatre trimestres les années fastes, question acquisition du vocabulaire, c’est plutôt aride. Autant prendre ses déserts pour des réalités, si vous voulez bien excuser le côté un rien abrasif de mon jeu de mots. Je suis contraint d’en passer par-là pour exfolier ces cellules mortes que sont les mauvaises excuses telles que probablement la plus fréquente, le manque de temps.

L’étude d’un mensonge

Confrontons ce mensonge qu’on se fait à soi-même à un condensé des nombreuses études sur le sujet, basées sur des moyennes. Elles aboutissent peu ou prou aux mêmes résultats : un lecteur lent met environ 33 minutes pour lire dix pages. Comptez un bon quart d’heure pour un lecteur moyen et un peu plus de 11 minutes pour une personne considérée rapide dans ce domaine. La lecture n’est pas une course, mais un moment privilégié échappant à toute notion de performance. Il est néanmoins intéressant, au-delà de la simple curiosité, de constater où cela nous mène. Qui sait, une prise de conscience pourrait-elle faire office de déblocage ?

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Vingt romans par an

La puissance de feu du lecteur

Retenez seulement de ces chiffres leur part de vérité : partant de l’hypothèse que vous comme moi soyons des lecteurs moyens, une demi-heure consacrée à un bon roman avant de dormir équivaudra à peu près à 600 pages lues par mois. Ce ne sont pas des comptes d’apothicaires, mais bien un diagnostic factuel de votre puissance de feu de lecteur. Inutile d’être distingué de la médaille Fields pour calculer qu’en accordant 30 minutes chaque jour à la littérature, vous pourriez au minimum lire une vingtaine de romans par an. Pas loin du double si contrairement à moi vous évitez soigneusement les pavés de 500 pages, pour les moins copieux.

Une demi-heure par jour

Dans la limite des 250/300 pages, vous pourrez avoir le plaisir de fréquenter les livres d’écrivains aussi divers que Fred Vargas, Philippe Delerm, Haruki Murakami,  Karen Blixen, Katarina Mazetti,  Michael McDowell, Françoise Sagan, Ken Liu, Ellis peters, Mehdi Charef, Carson Mc Cullers, Brett Easton Ellis, George Orwell, Marguerite Duras, Stefan Zweig, Agatha Christie, Paul Auster, Kasuo Ishiguro, Shirley Jackson, Anna Gavalda… pour n’en citer que vingt, donc. Autant de femmes que d’hommes œuvrant dans le polar, la littérature générale, le roman sentimental, l’anticipation, le roman historique, l’horreur, la science-fiction, le récit autobiographique, le fantastique, les fragments poétiques, les sujets sociétaux, etc. Alors, un roman par mois, vraiment ? Veuillez me permettre de répéter ceci : une demi-heure par jour.

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Le poids du flocon, la durée de l’avalanche

Le toit et l’habitant

J’en reviens pour finir à l’intitulé de cet article : que faire de tous ces mots une fois les romans refermés ? On ne peut que se réjouir de l’inétanchéité d’un livre grâce à quoi notre mémoire recueille les mots qui en perlent. Avant de les utiliser, il faut se rendre compte de la complexité de leur fonction : abriter des idées en même temps qu’ils les façonnent ; être à la fois le toit et l’habitant de nos pensées. L’expression mettre des mots sur des émotions, des sentiments, des souffrances, etc.,  renforce en moi cette vision de tuiles qu’on disposerait pour protéger nos réflexions intimes et leur permettre de s’épanouir.

L’intention du mot

Le pouvoir d’un mot se trouve autant en lui-même que dans les perspectives qu’il nous offre. Ces perspectives ne doivent pas s’arrêter à sa seule définition. Ce serait en limiter ses implications et par ricochet restreindre nos chances d’en saisir tout le potentiel. Savoir de quoi l’on parle en maîtrisant le sens d’un mot doit prendre en compte ses ramifications. L’emploi d’un mot plutôt qu’un autre, hors de considérations « esthétiques » ou de la façon dont il résonne en nous, indique une intention de notre part.

Le flocon

Un auteur sans intention autre que d’aligner des phrases ne construit pas d’histoire, oublie où il comptait aller si jamais il l’a su, perd de vue l’essentiel : un mot n’est pas un gadget, c’est une division de lui-même, une des composantes de sa personnalité, et au final, ce que ses lecteurs retiendront de lui. Comprendre un mot, c’est aussi se pénétrer de son adaptabilité à notre discours, s’il est à même d’en soutenir le contenu général. Un mot, c’est un flocon qui déclenche l’avalanche d’événements qui constitueront dans la durée l’histoire que vous écrivez. Alors, que faire d’un mot ? Ne pas le prendre à la légère pour mesurer tout le poids de ce qu’il s’efforce de nous dire…

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