Pour qu’une fin finisse bien, il faut planifier son écriture avec soin, autant pour garder notre lecteur que pour calmer sa faim.
Mais qu’est-ce que la fin d’une histoire ? Les romans que vous avez eus entre les mains récemment ne vous ont sûrement pas apporté de réponse définitive à cette question tant l’achèvement d’un récit peut se présenter sous diverses formes. Fin ouverte, chute, faux-semblant, contrepied… Oui, on sait comment ça commence, une histoire, mais sans avoir la moindre idée de ce que les premiers mots nous indiquent de ce que seront les derniers. Ou quand l’attrait de la curiosité fait la beauté de l’incertitude…
Au revoir, c’est la fin
Cet ami qu’on quitte
Vous voici parvenu à quelques pages de la fin d’un roman qui vous aura accompagné durant plusieurs jours. S’il vous a plu jusque-là, vous a tenu en haleine, le fait que vous le refermiez bientôt n’aura rien d’anodin. Un peu comme lorsqu’on quitte un ami après avoir bénéficié de son hospitalité et en avoir éprouvé un vif plaisir. Les au revoir possèderont alors une saveur particulière. Sans compter que, on a tant de livres à découvrir, tant de propositions littéraires qui nous feront sélectionner nos relectures, hors de nos bréviaires, que cet au revoir sera peut-être un adieu.
Ces pages qui s’écroulent
J’ai en tête plusieurs fins que j’ai relues à de nombreuses reprises car elles ont remué quelque chose en moi. L’ultime paragraphe de Les bâtisseurs de l’Empire où le monumental le dispute au sentimental, la dernière « phrase-paragraphe » de Sur la route brûlant d’une fièvre triste, ou celle, lapidaire et saisissante, de Ce que cela coûte. D’autres ? Oh oui. Ce par quoi Stephen King termine Ça, où toute la mélancolie du monde tient dans un adverbe nourri du récit qui vient de nous être conté ; un « presque » des plus déchirants. Magie d’un mot sur lequel plus de mille pages s’écroulent…
De la chute à l’effroi
Attendez, ces dernières lignes droites méritent bien qu’on s’y attarde, non ? Si : de la nouvelle Escamotage, de Richard Matheson, comment pourrais-je oublier l’unique lettre – même pas un mot, une lettre, s’en rend-on seulement compte ? – faisant tout le sel de sa chute ? L’inventivité narrative puisant sa force dans le maniement du langage, voilà qui est mémorable. Tout comme le sont les mots clôturant La mort est mon métier, que Robert Merle met dans les pensées de son narrateur afin qu’on ressente l’emprise glaçante et mécanique de l’obéissance ayant présidé à ses actes effroyables. D’autres mots – deux – en tombant comme une lourde lame noire, mettent de façon redoutable un terme à Le dernier jour d’un condamné. Merci, monsieur Hugo, d’avoir ainsi fait peser sur le lecteur tout le poids de votre récit. De ça aussi, je m’en souviendrai avec un délicieux effroi.
L’explication finale
L’asphyxie par l’évidence
Ces fins, aussi différentes soient-elles, ont au moins un point commun : elles sont issues d’un alignement d’axes narratifs ne cessant de converger, au fil du récit, vers l’aboutissement de ce processus de mise en place. Résolvent-elles tous les mystères ? Le plus souvent, oui ; mais pas toujours, et sans doute pour certaines à juste titre. Je pense que l’esprit du lecteur a besoin de respirer encore un peu le parfum de l’incertitude une fois qu’on lui a tout expliqué. Que trop d’évidences asphyxieraient la part de sa réflexion située dans le non-dit.
Finir hors de la crypte
Pour autant, un écrivain ne doit pas se réfugier dans d’abscons indices destinés à masquer l’inconsistance d’une fin. Pas plus qu’une information surgie d’on ne sait où n’a à rebattre les cartes de l’intrigue. Le château narratif ne tiendrait pas. Si un brouhaha d’informations de dernière minute couvre la voix d’un auteur, ce sera imputé à son manque de maîtrise. S’il désire surprendre lors de sa conclusion en recourant à une incompréhensible pirouette, cela ne traduira pas un magistral savoir-faire, loin s’en faut. Considérant que les phrases mettant un terme à une histoire se doivent d’être marquantes, il paraît évident que la clarté ne naîtra pas de la confusion. Une fin efficace fournira donc matière à réflexion sans pour autant virer à une énigme finale outrancièrement cryptée.
Le roman sous la stèle
Qu’une fin soit sujette à interprétation n’est cependant pas problématique. On ne reprochera pas à un écrivain d’écrire un dénouement qu’il estime explicite en dépit de zones d’ombre. Ni au lecteur de comprendre ce qu’il peut à la seule lumière de son esprit de déduction. Si à sa façon une fin est la mort d’un texte, il ne s’agit pas pour autant d’une stèle où la pensée de l’auteur serait gravée dans le marbre. Ce n’est pas non plus une inscription dont l’abrupte concision résumerait ce qu’on doit retenir de l’histoire. Chacun fleurit comme il l’entend cette dalle littéraire selon ce que lui inspirent les dernières paroles de ce défunt de papier qu’est un roman. Concernant les nouvelles, la logique voudrait que le recueil mène au recueillement. Quant à ce paragraphe, je pense qu’on peut l’enterrer sans fleurs ni couronnes.
Aucun demi-tour vers la fin
Un calcul vite fait
Un début appelle rarement une fin en ligne directe même une fois votre plan soigneusement élaboré jusque dans les moindres détails. Pourtant, ce plan sera indispensable et vous mâchera sacrément le boulot pour atteindre votre phrase finale. Sans lui, il y a même gros à parier que vous vous égarerez en route. Et si par bonheur vous réussissez malgré tout à retrouver votre chemin, vous aurez, dans le meilleur des cas, mis dix fois plus de temps que prévu pour arriver à destination. Comptez donc dix mois au lieu d’un pour un objectif donné et faites le calcul. Vous comprendrez où est votre intérêt…
La pensée cabossée
Croyez-moi, sans plan minutieux, ce formidable véhicule qu’est la pensée sera cabossé de partout tant il lui aura fallu se sortir d’ornières de toutes sortes. Voyons lesquelles : les incohérences dues à une gestion impossible en l’absence d’enjeux parfaitement définis. Les arcs narratifs abandonnés en raison d’un calendrier des événements trop bordélique pour qu’une chronologie digne de ce nom soit mise en œuvre. Les situations sous-exploitées faute d’avoir été correctement structurées. Les personnages souffrant d’une caractérisation bâclée trahissant une impréparation psychologique. Les idées importantes reléguées au second plan après avoir été diluées dans une masse d’indications non hiérarchisées, etc.
La poussière de l’effort
Oui, c’est bien en retard, quand votre lecteur se sera lassé de vous attendre, que vous toucherez enfin au but, l’intrigue bosselée de toutes ces mauvaises trajectoires que vous aurez suivies et des incessants demi-tours effectués dans la poussière de vos vains efforts. Et si en dépit de cela un lecteur aura tout de même patienté – ah le brave homme, le courageux ! –, quel spectacle votre histoire si mal fichue lui offrira-t-elle ? Celui de qui a passé la première sans réfléchir et a confondu des voies sans issue avec des raccourcis, se cognant à chaque obstacle afin de s’en dégager.
Tout droit ou presque
Échappées belles et supplément d’âme
Je précisais plus haut qu’un plan inattaquable n’était pas l’assurance de se rendre du premier au dernier mot en un tracé tiré au cordeau. Tout simplement parce qu’il est conçu dans une visée plus souple : ne jamais dévier de son objectif, certes, mais sans interdire à votre imaginaire quelques échappées belles. Aussi rigoureusement balisé soit-il, un récit s’embellira des imprévus rencontrés jusqu’à son achèvement. Par exemple, une scène qu’on rajoute inopinément et donne au chapitre dans lequel elle est incluse, en s’inscrivant dans sa logique, un supplément d’âme.
Les cliquetis du récit
Ou un personnage auquel l’idée nous vient d’intégrer un trait de caractère participant de l’enrichissement d’une intrigue déjà lancée sur ses rails, manière comme une autre de prendre le train en marche. Quand on sait où l’on va, une modification n’altère pas la construction de votre histoire mais l’améliore. C’est ainsi qu’on arrive à une fin sans s’être perdu ni avoir ralenti, mais en ayant bénéficié de tous les points de vue chaque fois qu’on en a eu l’occasion. Préparez une fin comme vous le feriez d’un voyage. Vous profiterez du paysage et saurez où vous garer afin que votre lecteur garde longtemps en mémoire les cliquetis du moteur de votre récit en train de refroidir…
Cette lettre-là
Il me faut à mon tour finir, n’est-ce pas ? Après avoir sauté de la poutrelle d’un échafaudage au câble d’un pont suspendu, d’équilibriste des mots à bâtisseur de récit, la fin sera la pierre parachevant votre ouvrage. Vous l’aurez polie avant de la positionner de telle façon qu’elle s’y encastrera naturellement, consolidant l’ensemble en une robuste harmonie. Burin et ciseau, plume et encrier, la taille de chaque mot est un bien beau métier. Un texte dans ses vieux jours se pare de beaux atours, pour que l’on s’en souvienne comme d’une lettre d’amour…
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