Dans un coin de l’arène, je vous présente ChatGPT. Dans l’autre, vous, notre lecteur. Qui des deux écrit les meilleurs textes ?
Dans un monde où, derrière le masque de l’éthique, le clonage fait les yeux doux à l’humain, on en vient à se demander s’il ne sera pas possible, dans un futur indéterminé, de sortir le citoyen « parfait » d’une imprimante 3D. Bien que la science et la technologie aient accompli des avancées fulgurantes voyant le digital devenir un prolongement de l’homme, quid de l’avenir de ce que tout être à peu près normalement constitué a entre les oreilles ? Il est désormais acquis que l’informatique a depuis quelques années engagé des batailles pour s’étalonner face à notre impalpable puissance intellectuelle, mais la guerre neurologique est-elle déjà déclarée ? Et si oui, sommes-nous voués à être un jour prochain surclassés par la machine dans le domaine, entre autres, de l’écriture ?…
Pour ou contre les robots ?
Ça devient pénible
Je ne vais pas ici reprendre cette antienne selon laquelle les robots remplaceront un jour les hommes. C’est un débat sans fin. Et s’il en a une malgré tout, je crains fort que la conclusion qui s’imposerait au bout du compte ne serait pas des plus favorables aux humains. Je retiens néanmoins les arguments principaux des deux camps s’opposant à ce sujet. Les pro-robots expliquent que les machines nous soulagent des tâches les plus pénibles à effectuer. C’est en partie vrai. Et donc en partie faux. Si l’on part du constat simple que chacun estime effectuer un travail plus pénible que celui de son voisin, et que la notion de pénibilité est encore plus floue que les sfumatos de la Joconde, on comprend tout de suite qu’on part de loin.
Un robot dans votre lit ?
Les anti-robots affirment que le tout-robotisé mène en droite ligne au tout-chômage. C’est en partie vrai. Et donc en partie faux. Car les pro-robots auront beau jeu de vous expliquer que la fabrication des robots crée des emplois. Ce à quoi les anti-robots rétorqueront avec justesse qu’on ne se reconvertit pas du jour au lendemain en ingénierie robotique avec pour seul bagage professionnel un CAP de boulanger en poche. Ce à quoi les pro-robots répliqueront qu’on formera des gens pour s’adapter à la robotisation du marché du travail. Que ça créera des emplois de formateurs. À quoi les anti-robots, s’ils ont un peu d’humour, répondront que pendant que les formateurs formeront, on finira par trouver des robots qui connaîtront parfaitement le mode d’emploi de leur femme, et que les formateurs deviendront obsolètes dans le lit conjugal. Je vous l’ai dit, c’est sans fin. Et ça se mange de même.
Échec et bugs
Le premier souvenir que je conserve d’un combat intellectuel entre un homme et une machine remonte à 1996. Mon propre disque dur est malheureusement trop limité pour se rappeler avec précision qu’il s’agissait bien de cette année-là, et, euh… cette année-là, je…. je chantais pour la première fois, le public ne me connaissait pas, oh quelle année, cette année-là ! | ♪♫ Je vous prie de bien vouloir m’excuser, je viens d’être victime d’un bug de TCF (bug de Type Claude François, pour les microprocesseurs qui me lisent). Je reprends. Avec tout le sérieux qui me caractérise, cela va sans dire…
[sib id= »21″ title= »Téléchargez le catalogue » submit= »Je télécharge »]
Un humain, un robot et un chat
Une case de vide
Étant donc infoutu de savoir la date exacte de ce duel, j’ai eu recours au Web. Ok, un point pour le robot, sur ce coup-là. Puisque je parle de coup et de robot, il s’agissait de la première confrontation entre Garry Kasparov et Deep Blue, un supercalculateur américain créé tout exprès pour cette rencontre d’échecs disputée en 6 matches que le Russe remporta 4 à 2. À l’issue de cette rude empoignade, le Russe ne serra pas la main de l’Américain, ça, je m’en souviens parfaitement. Non pas qu’il ait manifesté la moindre forme de mépris en cette occasion. C’est seulement parce que cette stupide bécane n’avait pas de mains. On en pouffe encore dans les milieux échiquéens de Stalingrad.
Un coup bas pour Bakou
Lors de la revanche, l’année suivante, Deeper Blue, une version améliorée de Deep Blue, parvint à vaincre le grand maître international bakinois. Pour vous faire une idée de la bête, ce modèle était en mesure de calculer entre cent et trois cents millions de coups par seconde (non Monsieur, je ne parle pas des robots évoqués plus haut pour accomplir des prouesses sous les draps avec les épouses des formateurs. On a changé de sujet, là. Faut suivre, hein !). Kasparov subodora une tricherie en soupçonnant l’ordinateur d’avoir été aidé par des humains qui auraient corrigé des bugs entre deux parties, un coup bas pour le joueur originaire de Bakou. Quoi qu’il en soit, comme l’indique Wikipédia, cela « a engendré une controverse sans fin ». Décidément, ça paraît toujours être sans fin quand les machines s’en mêlent. Ou s’emmêlent, pour le cas où ces bugs auraient réellement existé. Bon, je joue mon cavalier en f3, et on passe en zigzaguant au paragraphe suivant.
Les Noces numériques de Figaro
Nous allons à présent en venir à ce dont je vous avais dit que nous parlerions dans mon introduction, car je vois que certain(e)s commencent à s’impatienter à l’idée de louper le début de leur cours de roque acrobatique. Au passage, je vous prierai d’effectuer la différence entre un hors sujet et le fait de traiter ce dernier tardivement. Non mais. Bon, vous avez dû me voir venir avec mon titre où sont associés le talent et l’intelligence artificielle (IA. pour cet article), ainsi qu’à la lecture des prodigieux paragraphes précédents : à Figaro, le chat de Geppetto. Mince. J’ai encore été parasité par un bug, de TWD, cette fois (bug de Type Walt Disney, pour les androïdes qui me suivent). Je voulais bien sûr écrire : à ChatGPT. Essayons de comprendre un peu de quoi il retourne. Garry, t’es avec moi sur ce coup-là ? Fou en g2 pour se rendre en diagonal au paragraphe d’après ? Ziouuuuu, c’est parti !
[sib id= »21″ title= »Téléchargez le catalogue » submit= »Je télécharge »]
S’il vous plaît, écris-moi un livre
Le petit prince de la manipulation…
Pour savoir de quoi on parle, il faut parler de ce qu’on sait. En l’occurrence, exemple à l’appui, voici une première question posée par l’Esprit Livre à l’IA de ChatGPT et la réponse afférente :
Bonjour, explique-moi pourquoi tu ne peux pas créer une œuvre littéraire ?
« En tant qu’intelligence artificielle, je ne suis pas doté de créativité ni de pensée autonome. Je suis programmé pour traiter et manipuler des données et des informations en fonction de règles et de modèles préétablis. Bien que je puisse générer du texte, cela se fait à partir de modèles statistiques basés sur des données d’entraînement et non d’une réelle capacité créative. Par conséquent, je ne suis pas capable de créer une œuvre littéraire ou artistique originale de manière autonome. »
Bien. J’avance mon pion en d4 afin de cogiter à tout ça sur la case droit devant.
…mais pas le roi de la création
La première phrase de cet extrait souligne un fait tant évident qu’important, confirmé par la dernière ligne : Une IA n’a, à l’heure où nous parlons (13h15, si ça intéresse quelqu’un), aucune autonomie créative. En matière d’écriture, ChatGPT est l’équivalent de Deeper Blue aux échecs. Un collecteur de données infiniment supérieur à ce que l’intelligence humaine peut emmagasiner d’informations, mais sans l’approche autrement complexe d’un cerveau dont les réflexions sont nourries de perceptions non quantifiables et, par essence, propres à chacun.
L’intelligence universelle face à l’unicité humaine
Ce qui fait l’unicité d’un être humain quand il écrit un livre ne consiste pas au seul accès des données nécessaires pour étayer une idée. Un chapitre de roman n’est pas l’exploitation et l’assemblage de la façon la plus logique de millions de paramètres. Un écrivain possède un angle d’attaque, l’instinct de la justesse avec laquelle un personnage s’exprime ou réagit, un axe de réflexion sur la situation qu’il décrit, le développement d’une opinion par rapport à un ressenti personnel, des connexions intimes entre son vécu et ce qu’il raconte, etc. Ceci, afin de faire avancer son intrigue et/ou de communiquer une vision autour d’un message destiné à son lecteur. Bref, tout ce dont l’IA est dépourvue ou dans l’incapacité d’en fournir autre chose qu’un ersatz impersonnel dans lequel il n’est pas tenu compte d’un schéma de pensée irrigué par nos émotions.
[sib id= »21″ title= »Téléchargez le catalogue » submit= »Je télécharge »]
Les pièces manquantes de la machine
Quand le bug structurel n’est pas atteint du virus de l’imagination
La seconde question de l’Esprit Livre à ChatGPT est celle-ci : est-ce que tu peux écrire un roman de 150 000 signes ? Si oui, de quels éléments de départ as-tu besoin ?
« En tant que programme informatique, je suis capable de générer du texte de manière automatique. Cependant, écrire un roman de 150 000 signes nécessite plus que simplement générer du texte, cela nécessite de comprendre la structure narrative, les personnages, les thèmes et les arcs de caractère, et cela nécessite une créativité humaine pour développer des idées originales.
Si vous voulez que je génère un texte de 150 000 signes, je peux le faire en utilisant des techniques de génération de texte basées sur des modèles statistiques et des réseaux de neurones artificiels. Cependant, le texte généré ne sera pas nécessairement un roman cohérent avec une intrigue bien développée, des personnages bien construits et des thèmes significatifs.
Pour générer un texte cohérent et satisfaisant, je devrais avoir un ensemble d’instructions claires sur les éléments de départ tels que les personnages, les thèmes, l’histoire, etc. »
Les premiers miaulements du chaton
Après une percée décisive de ma tour en h8, ChatGPT reconnaît être mat, son IA se révélant dans l’incapacité de comprendre par elle-même les rouages d’un récit, ce coup fatal l’amenant à coucher son roi en avouant que bien qu’étant en mesure de « générer un texte », ce sera sans aucune garantie de cohérence de celui-ci. Là encore, une intervention humaine lui mâchant tout le boulot préparatoire lui serait indispensable pour aboutir à un résultat concluant. Alors, fin de la partie ? Pas vraiment, ce serait même plutôt le début, ChatGPT n’en étant qu’à ses balbutiements. Un agent conversationnel ou un modèle de langage, si l’on veut reprendre les doux noms le désignant, qui va mûrir et se développer. Le petit chat deviendra-t-il grand ?
Il n’est pas original de copier
J’ignore combien de gens sont mis à contribution pour assurer l’éducation de ce bambin surdoué, ainsi que la masse de pognon que ses inventeurs sont prêts à injecter par centaines de millions pour que ce bidule soit un jour au point et d’une fiabilité optimale – à considérer que ce soit possible. On en est encore loin, mais les choses vont vite. À dire vrai, je m’en fiche un peu. En revanche, des interrogations légitimes me viennent quant à la « dangerosité » du projet. Quel serait sa finalité, par rapport au domaine qui nous concerne ? Envoyer les écrivains à la casse dans la section « non recyclables ». ? En dépit de résultats plus convaincants en matière d’écriture que les réponses fournies à l’Esprit Livre pourraient le laisser supposer, on est loin de mettre au crédit de ChatGPT la moindre œuvre littéraire véritablement digne de ce nom. Peut-être, tout bonnement, parce que dans la majorité des cas on préférera l’original à la copie.
[sib id= »21″ title= »Téléchargez le catalogue » submit= »Je télécharge »]
Des pousseurs de bois aux noircisseurs de papier
100 % humain
Deeper Blue a fini par battre Kasparov ; à la régulière ou pas, il l’a fait. Cela a-t-il révolutionné le monde des échecs ? N’existe-t-il plus que des tournois mettant au prise des robots, en dehors de coups marketing ou autres salons spécialisés dans les nouvelles technologies ? Aux dernières nouvelles, non. Le champion d’échecs en titre se nomme Magnus Carlsen, et c’est un Norvégien 100% humain. Il s’est écoulé un quart de siècle depuis la victoire de Deeper Blue et, à ma connaissance, le successeur de Carlsen ne porte pas d’acronyme ou de numéro de série en guise de patronyme. Si les « pousseurs de bois » ont encore un horizon dégagé de l’ombre menaçante des machines devant eux, je ne vois pas pourquoi, en l’état actuel des choses, il en serait différemment pour nous autres écrivains.
George Orwell peut reposer en paix
Cet état actuel, que l’on veuille se faire peur ou se rassurer, quel est-il ? Un nouvel emprunt à Wikipédia, histoire de faire le point sur ce que certain(e)s voient pour l’évolution littéraire d’un mauvais œil, celui de Big Brother en l’occurrence : « Les chercheurs lui ont par exemple donné à lire la première phrase du roman 1984 de George Orwell : ‘‘C’était une journée ensoleillée et froide du mois d’avril et les horloges affichaient 13 h’’. GPT-2 a alors compris qu’il s’agissait d’une œuvre évoquant le passé et écrite sous la forme d’une fiction et a ajouté : ‘‘J’étais dans ma voiture à Seattle en route pour mon nouveau travail. J’ai fait le plein, mis la clé sur le contact, et me suis laissé porter. J’ai imaginé à quoi ressemblerait ce jour. Dans cent ans à partir de ce jour. En 2045, j’étais professeur dans une école située dans une région pauvre de la Chine rurale. J’ai commencé avec l’Histoire de la Chine et l’Histoire de la science.’’ ».
Quand la peur change d’outil
Hors de la performance technologique, pas de quoi tomber à la renverse. Par contre, comme assistant pour des travaux de recherche, par exemple, il est inconcevable pour un humain de rivaliser avec la version GPT-3 et les 174 milliards de paramètres mis au service de cet algorithme de génération de textes. Cela reste néanmoins un outil, comme peut l’être en guise de comparaison Wikipédia, qui en son temps a également suscité des craintes, notamment dans le milieu scolaire. Mais là encore, si notre système éducatif ne se porte pas au mieux, ou pas aussi bien qu’il le devrait, les causes en sont multifactorielles. Les « dérives » induites par l’utilisation frauduleuse de Wikipédia par des élèves ayant une fourrure de yack dans la main (oui, pour quelques ennemis de l’effort, ou adeptes de la facilité si l’on préfère, ça va bien au-delà du simple poil) sont donc à la marge.
[sib id= »21″ title= »Téléchargez le catalogue » submit= »Je télécharge »]
La conscience du loup-garou
L’ordinateur et la tondeuse
Alors, s’il y en a une, quelle crainte devrions-nous avoir de l’importance prise par un ChatGPT n’en étant qu’à ses premiers pas ? En soi, ce n’est pas l’outil qui est dangereux, mais l’utilisation qu’on en fait. Résumé à ça, ChatGPT n’est pas plus redoutable qu’une tondeuse thermique. Sauf s’il vous prend l’idée de débloquer la lame sous le capot sans avoir retirer l’antiparasite de la bougie auparavant. Vous aurez tout le temps de réfléchir à la stupidité de ce geste quand on essaiera de vous recoudre les doigts aux urgences. Et le bruit du moteur, qui n’est pas de recherche celui-là, redémarrant sans prévenir alors que vous étiez en train de retirer le paquet d’herbe ayant interrompu votre tonte résonnera probablement longtemps dans votre esprit. De Big Brother à la tondeuse, tout n’obéit pas au doigt et à l’œil…
L’âme en ruine
Sommes-nous en train de créer nos futurs maîtres que nous pensions être nos « esclaves » numériques ? Science sans conscience n’est que ruine de l’âme, comme le disait si bien un participant à une émission de téléréalité en pensant citer un footballeur. Je suis autorisé à deux ou trois méchancetés gratuites d’une bassesse n’égalant que la vilenie par article, ça me défoule, et pas que sentimentale, pour reprendre Souchon. Cela dit, Rabelais avait bien raison d’estimer que des débordements sont envisageables, pour ne pas dire prévisibles, quand les sciences régissant notre quotidien sont aux mains de gens peu scrupuleux, pour rester poli.
J’ai failli y arriver…
Sera-ce le cas pour Chat-GPT ? Quand j’ai lu les noms de certaines personnes ou sociétés à l’initiative ou ayant mis des (grosses) billes dans ce projet, j’avoue que quelques sueurs froides m’ont parcouru l’échine. Hormis le fait que sous le loup du philanthrope se cache parfois un lycanthrope, il y a tellement d’enjeux dévorants qui dépassent le seul cadre littéraire qu’on voudrait parfois se dissimuler sous la capeline du Petit Chaperon rouge pour se soustraire aux regards les plus affamés. Mais n’ayant jamais eu vent d’un chat se transformant en loup-garou, je vais pour l’instant savourer d’être parvenu à ne pas avoir fait de jeu de mots foireux sur GPT…
Ces articles pourraient vous intéresser :
Apprenez a construire des idées époustouflantes