Avoir un vocabulaire riche et maîtriser la finesse de la langue française sont deux idées bien acquises et pourtant… rien n’est jamais sûre. Même si « Le vocabulaire est un riche pâturage de mots », disait Homère. Tous ces nouveaux mots qu’elle adopte, certes enrichissants, ne sont-ils pas en train de diluer notre langue française ?
Qui s’y frotte (à toi) t’en pique (des expressions) !
Dès qu’une personne nous devient sympathique et que la fréquence des relations augmente, inévitablement, on en vient à intégrer ses gestes et ses parlures. Parfois, au point de ne plus reconnaître notre « nous » originel, tel l’enfant adopté qui en vient à ressembler à ses parents. Ces emprunts nous deviennent propres au point d’en oublier l’origine. On devient, en quelque sorte, un amalgame nouveau en lui piquant une caractéristique ou deux.
Ce phénome nous échappe tant il est naturel, au point de substituer nos propres références, nos mots fétiches qui expriment notre identité et nos racines. Cet « enrichissement » permanent, mondialisé avec l’impact d’Internet passe presque inaperçu.
A trop aimer les mots des autres, on finit par se perdre soi-même. Si on multiplie ce phénomène du conformisme conjugué à l’influence du vocabulaire à la mode, nous parviendrons à bêler en cœur avec les mêmes mots… Tentons une petite démonstration amicale pour vous convaincre que l’ajout de mots semblables en grand nombre ne rime ni avec la richesse du vocabulaire ni à la participation active à l’évolution de notre belle langue française toute en nuance.
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S’enrichir en empruntant de nouveaux mots
Le vocabulaire des mœurs, de l’ère du temps et de l’Histoire
Dans Romanesque, de Lorant Deutsch, on y apprend que le français d’aujourd’hui, le vôtre et le mien (je parle le français du Québec), ne garde que quelques traces du gaulois d’il y a deux millénaires. On estime qu’ils en subsistent environ 150 mots, comme chêne, caillou, mouton, tonneau et galet depuis que l’envahisseur romain a imposé son latin dans l’administration et l’éducation. Après avoir investi la politique par la force du bras, leur langue est montée au palmarès dans les salons gaulois.
Les œuvres anciennes qui sont parvenues jusqu’à nous, ont dû être réécrites afin de faire correspondre les mots devenus obscurs, car oubliés, avec ceux de notre époque. Ces écrits ont donc été plusieurs fois révisés afin d’être lus au fil du temps jusqu’à nous. Difficile aujourd’hui d’évaluer ce que nous avons perdu ou gagné dans ces réécritures successives.
Le mouvement des mœurs aussi influence nos dires et nos écrits. L’expression des sentiments fut déjà un acte ténébreux où l’auteur passait par moults méandres pour dire, sans dire. Rions un peu ? Il fut un temps où il parait que nommer les parties du corps créait un malaise. Ces mots gênants étaient remplacés par d’autres. Si j’ai le honteux mouillé, vous comprenez quoi ? La réponse è la fin de l’article…
Quand l’enrichissement du vocabulaire résulte d’une guerre et d’un asservissement…
Quand la France a soumis des peuples, à son tour, elle s’est approprié les termes de ses découvertes. Des Amérindiens, elle a retenu : pacane, séquoia, toboggan et mocassin. Le cachemire et le gingembre indiens firent fureur. Difficile de croire que ces mots ne nous appartiennent pas de prime abord !
C’est reconnu, l’exotisme soulève l’enthousiasme, même chez les flegmatiques. Les Anglais se sont appropriés des Maoris leurs kiwis, tant l’animal que le fruit, le thé en Malaisie (on m’a toujours dit que le thé est chinois !), les tabou et tatouage polynésiens. Bon, on les a copié-collé.
Le plus grand globetrotter de tous les mots serait Sarbacane. Malais d’origine, le sumpitan ou sempitan est passé ensuite Perse, puis chez les Arabes, avant d’entrer à la cour d’Espagne, renommé cerbatana, qu’on a francisé avec sarbatane. L’apparentant à une canne, son voyage se termine par sarbacane et devenir un titre de chanson.
La route du commerce et la voie royale aux anglicismes
Ai-je besoin de les aborder ? Mais si, un peu. Sachez qu’on n’ignore pas, on passe outre. On présente une carte d’identité et non d’identification. Un anglicisme vraiment récent que, j’en suis certaine, vous aurez souvent entendu ces derniers temps : on ne teste pas positif au covid, notre test est positif. Sauf notre moral…
Vous ne pourrez m’accuser de fausse représentation. Nenni ! Si votre chef d’accusation est plutôt la fraude ou l’abus de confiance, alors là, je m’incline devant la justesse de votre vocabulaire.
Question-quiz : Est-ce qu’on demande une question ou une réponse ? Si vous me dites qu’on demande une réponse après avoir posé une question, je vous donne un résultat de 66% parce que vous en avez raté un : quiz. À la télévision, c’est un jeu-questionnaire et dans une revue, simplement un questionnaire.
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La langue tendance : le vocabulaire à la mode
La mode étant l’expression d’une majorité, ce qui est en vogue nous ouvre les portes des salons et de la popularité. On est à sa merci aussi dans la communication. Selon qu’on choisisse de disparaitre dans la masse ou de rester soi : unique et original.
Quand l’esprit français séduisait les cours royales
Souvenons-nous que c’est le raffinement français qui permit à sa langue d’entrer dans les cours royales et les salons à l’étranger. Certains mots sont restés dans les langues slaves, comme théâtre, boutique, banque et restaurant.
Ah ! Ces chers Anglais se décoincent grâce à la cuisine française et savourent une ratatouille choisie parmi les mets À la carte au Café du coin, sinon des toasts (qu’on leur a abandonnées et remplacées par des rôties). La haute société anglaise suit assidûment la mode du prêt-à-porter des grands couturiers. Pour charmer, ils s’inspirent de la fougue des Français et fixent un rendez-vous à une femme fatale, en se souhaitantun coup de foudre.
ndlr: la langue française ayant la réputation d’être est celle de l’amour, avez-vous vu la scène où Charles Aznavour chante la pomme à Miss Piggy dans le Muppet’s Show ? https://www.youtube.com/watch?v=NLEqsii7G1M&ab_channel=kermiecarpaccio
Culture des apparences
Combien de fois entendons-nous un mot, ici et là, pigé (tirer au sort) dans une autre langue, pour jeter de la poudre aux yeux ? Parsemer un discours de mots empruntés, est-ce pour satisfaire l’ego ? Pour bien paraître ?
Laisser son auto au parking de l’aéroport pour prendre un charter direction New York pour faire du shopping sur la Fifth Avenue ! S’arrêter dans un delicatessen pour se choisir des cakes à savourer après un smoked meat avec un breuvage. Vous n’utilisez sûrement jamais ces termes, n’est-ce pas, mais moi, j’en suis encerclée.
La mort lente du français dépend-elle de notre complaisance ? Est-ce le prix à payer pour notre goût du paraître qui – disons le au passage – masque la perte de notre estime de nous-même ?
Cette question, je nous la pose.
L’ascension sociale : la vie en ‘ing’
Marketing, forcing, caravaning, zapping, listing, … snobbing ! Au Québec, l’invasion britannique de 1760 nous a limité dans bien des domaines. (Là réside le principe de la conquête.)
Heureusement, l’Église catholique a débattu notre cause. Sinon, je parlerais anglais et je ferais autre chose qu’écrire cet article. Quelle perte pour vous. En contrepartie, conserver notre langue et notre code de lois diminuait nos possibilités de monter dans la hiérarchie, puisque le pouvoir appartenait à « l’ennemi », installé confortablement avec son argent, sa langue et son… standing.
À l’ère de l’industrialisation, pendant qu’il runnait sa business, installé confortablement, les pieds sur son bureau en dictant son courrier, nous, on se ruinait sur la job en attendant le weekend. Qui voulait devenir foreman devait comprendre le boss (Built On Self Success – créé par son propre succès) et parler sa langue. L’oreille francophone a fait ce qu’elle pouvait avec l’accent anglais. On a travaillé sur des chiffres (shift – changement d’équipe) et célébrer la Pinouillère (l’Happy New Year). De nos jours, on travaille toujours sur des « chif’ », mais on fête le Nouvel an.
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L’Académie s’en mêle (s’emmêle ?)
Chaque année voit apparaître une nouvelle version enjolivée, à la fois augmentée et dégraissée des dictionnaires. Pour enrichir leurs éditeurs ? Agrandir notre collection ? Décorer notre manteau de cheminée ? L’Académie en est le grand décideur et ses raisons sont … énigmatiques quand il s’agit de statuer sur la vie ou la mort des mots, sur leur bons et les mauvaises usages.
Où est-ce qu’on vote?
Le petit peuple n’a de pouvoir sur le vocabulaire que par son usage. Un mot perd de la vitesse ? À peine un au-revoir. Au tour d’un autre de vivre son heure de gloire : être intronisé au temple du dictionnaire.
Au final, c’est l’Académie (du Grec Akadêmos qui avait fait construire un gymnase dans sa cour et où Platon y a enseigné la philosophie) qui se prononce chaque année sur les additions et les soustractions.
Ces grands décideurs sont des poètes, romanciers, dramaturges, philosophes, médecins, hommes de science, d’État ou d’Église. Depuis 1635, ils donnent des règles à la langue française, depuis que le cardinal de Richelieu l’a fondée. Y sont passés Alexandre Dumas, Marguerite Yourcenar, Alain Decaux, Henri Troyat, … Plus de 700 personnes en ont été membres depuis.
Le vocabulaire au purgatoire
L’Académie a publié récemment son 9ème palmarès de mots prêts à être introduits dans les dictionnaires. Après les avoir morgués quelques années, elle les libère de son purgatoire. En d’autres mots, lorsqu’un mot apparait et se répand dans la francophonie, la frileuse Académie le regarde vivoter puis vivre jusqu’à ce qu’il devienne suffisamment patriotique pour faire partie de la famille.
Récemment, parmi ces heureux élus, voici menotte, aérosol, merguez, pense-bête, mélanome et obsessionnel. Au Québec, on est heureux que, depuis 2002, vous aussi puissiez enfin utiliser une débarbouillette.
Grand ménage annuel
Les décrépis, eux, se font montrer la porte. Bon, qui s’ennuiera des distingués carrelure, oxygone et courte-botte qui sont allés se faire voir… nulle part ? !
Quand l’Académie dépoussière ses tablettes, elle se défait des mots que le bon peuple n’utilise plus, selon quelque obscur oracle. Toujours dans sa dernière édition, un attiseur n’est plus. Tout comme Nemesis et Neptune (pas moi qui le dit, allez consulter la liste !), masticatoire, écraseur, imbrisable, gaminer, euh… académiste ?
La langue française, en devenant une langue d’accueil du monde s’enrichissant abondamment d’autres cultures, ne risque-t-elle pas d’y perdre son âme ? De s’oublier et de se fondre dans la masse ? Une question qui appelle une réflexion tout en finesse… à l’image de notre belle langue française.
Diane Lemay
La Québécoise de L’esprit livre
Réponse : Le honteux était la désignation du front. Vous pensiez à quoi ?
Références
Les Académiciens français : http://evene.lefigaro.fr/celebre/palmares/les-academiciens-francais.php
Ces mots français qu’on trouve en russe, Clara Delcoix, Artiche Pure Génération Z, https://cladelcroix.mondoblog.org/mots-francais-en-russe/
Ces mots français utilisés en anglais, blog Éditions Assimil https://blog.assimil.com/ces-mots-francais-utilises-en-anglais/
Des mots d’origine étrangère, Larousse
Dictionnaires des anglicismes Le Colpron, Constance Forest, Denise Boudreau, Éditions Beauchemin, Chenelière Éducation
Les formes de l’échange, François Brizay, Presses universitaires de Rennes
https://www.francaisavecpierre.com/les-mots-anglais-en-francais/
Liste des mots supprimés 2021 : https://www.academie-francaise.fr/le-dictionnaire-la-9e-edition/exemples-de-mots-supprimes
Quand les Anglais parlaient français, André Crépin, Académie des Inscriptions et Belles-lettres, 2004, Diffusion Bocart
Romanesque, Lorant Deutsch, Éditions Michel Lafon Poche
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