La formation à l’écriture est souvent ignorée voire boudée par les auteurs, ce qui les empêche de réussir. La tendance commence à s’inverser. « Pour optimiser leurs chances de succès, les auteurs ont de plus en plus recours aux ateliers d’écriture. » peut-on lire dans le très sérieux magazine Livres Hebdo de février 2021. Se remettre en question reste difficile, pourtant les auteurs ont tout à y gagner.
Certains auteurs en herbe, et même dont l’herbe a beaucoup poussé, n’effectuent pas aussi souvent que nécessaire une remise en cause de leur écriture. Pensant posséder toutes les qualités requises pour se faire éditer, ils sont les premiers étonnés d’essuyer des refus, mais aussi parfois les derniers à se demander pourquoi. Leurs progrès littéraires se trouvent bien des fois freinés par cette absence de réelle réflexion sur leur travail. Sans dire qu’il faille se livrer en permanence à un chamboule-tout intellectuel, un brin d’introspection n’a jamais desservi personne…
La faute des éditeurs, etc.
Mes amis me trouvent talentueux
J’ai déjà évoqué cette idée fausse, mais les légendes urbaines dont ne cesse de bruire la planète Littérature depuis des décennies ont la vie dure : les éditeurs seraient incapables de reconnaître le talent alors qu’il s’étale sous leurs yeux celés par l’incompétence. Enfin, surtout s’il s’agit du talent que l’on se prête. Celui que, bizarrement, personne ne reconnaît ou presque (il faut bien que les amis servent à quelque chose). Si l’on n’est pas en mesure d’aller au-delà du regard trop indulgent qu’on porte sur soi et si l’avis des autres ne compte que les seules fois où il nous est favorable, autant faire une croix dans un premier temps sur nos possibilités de progresser dans notre écriture, et dans un second temps, très probablement, sur nos chances de percer dans le milieu littéraire.
Jetez vos croyances à la corbeille
Il y a certes des exceptions qui pourraient conforter certains dans leur adhésion à cette vieille croyance de l’éditeur qui a jeté à tour de bras dans sa corbeille des manuscrits proposés par des génies en y ayant à peine accordé un coup d’œil. L’auteur médiocre qui décroche miraculeusement la timbale, et l’écrivain doué mais poissard qui passe hélas à travers les mailles du filet (on trouvera toujours des exemples pour illustrer les deux cas) sont les piliers de cette croyance. Inutile que je vous rappelle ce qu’on dit des exceptions par rapport à la règle. Il vaut donc mieux s’appuyer sur la réalité la plus répandue que s’accrocher aux certitudes marginales de ceux dont la frustration les incite à rejeter la faute sur les autres, solution confortable, mais stérile.
Quand l’illusion meurt de soif
L’une des principales raisons de la stagnation réside donc dans la démarche consistant à se réfugier derrière des prétextes non rationnels et contredits par les faits. Consentir les efforts pour s’améliorer devient pour ainsi dire spontané si l’on admet que ce n’est pas systématiquement un élément extérieur qui est la cause de nos échecs. Ça semble être une évidence, mais l’expérience que je conserve de l’époque où j’accompagnais des stagiaires montre que ce truisme ne s’impose pas à tous, loin s’en faut. Avec à la clef la désillusion de qui s’était imaginé devenir meilleur en faisant l’économie d’indispensables apprentissages. Nombreux renoncent après avoir parcouru de long en large le désert des excuses sans fin, le mirage d’une oasis n’étant jamais parvenu à étancher leur soif de reconnaissance…
Quand l’écriture vous fait des difficultés
L’isolement des difficultés
Une fois établi que c’est bien vous qui avez les cartes en main pour améliorer votre écriture, il vous revient de dresser le plus honnêtement possible la liste des points où vous pêchez. Attention, ce constat doit être effectué avec le bon état d’esprit, c’est-à-dire en ne sombrant pas dans le découragement mais au contraire en y voyant une base de travail stimulante. Se poser des questions est en soi un facteur de progression. Cela permet de détacher chaque difficulté rencontrée l’une de l’autre et de ne plus les considérer comme une masse n’offrant aucune prise. C’est un passage obligé pour désencombrer un horizon intellectuel jusque-là obstrué par l’impression d’un mur compact de problèmes à résoudre. Prendre isolément une difficulté participe de la simplification de son approche, jusqu’à en venir à bout.
L’identification des difficultés
Je ne vais pas vous demander à la seconde de vous livrer à cet inventaire des tracas littéraires apparus au fil de votre plume, mais je vous invite à vous y mettre le plus tôt possible. Juste après avoir fini la lecture de cet article, par exemple. Une décision comme celle-ci ne supporterait pas un délai plus important, la procrastination rôdant toujours, et à ses basques des compromis néfastes à votre écriture. Puisqu’il s’agit pour vous de franchir des étapes, pourquoi davantage tarder ? J’imagine que de façon dispersée et plus ou moins consciente, vous avez déjà procédé à cet état des lieux. Regrettant par exemple de ne pas parvenir à formuler une idée aussi précisément que vous l’auriez souhaité, vous contentant alors de sa voisine de palier, moins bien lotie mais faisant l’affaire sur le moment. Oui mais…
La réalité des difficultés
…Mais en relisant le passage en question, votre regard insatisfait s’y accrochait, n’est-ce pas ? Alors, tant pis ? C’est à coup sûr ce que se diront les éditeurs décriés par ceux dont nous avons déjà parlé : « Tant pis pour l’auteur, s’il avait fait l’effort de peaufiner sa phrase, j’aurais mis du mien pour voir s’il valait la peine que j’aille plus loin. » Bienvenue dans la corbeille censée avoir accueilli les manuscrits des génies dont il était également question plus avant. Bienvenue dans la réalité. Ne croyez pas que mon discours soit désenchanté, car c’est bien pour vous éviter de voir anéanties d’un geste les heures consacrées à votre texte que je vous mets en garde : la littérature ne supporte pas l’à-peu-près, c’est aussi simple que ça. Et ni le mot juste, ni la formulation idéale, pas plus que la science de la narration ou la gestion de ses personnages ne vont de soi. Ça s’apprend.
Apprendre
L’ombre du mur
Apprendre… Ah, quel verbe terrible renvoyant le talent à ses chères études ! Certains ont le sentiment qu’on les déprécie lorsqu’on l’utilise, persuadés qu’ils sont de contenir tout le savoir nécessaire en eux. Mis au pied du mur de l’apprentissage, ils pensent que celui-ci leur fait de l’ombre, alors que loin de les y acculer, on les incite à toucher du doigt la réalité qu’il représente : se reposer sur ses seules dispositions naturelles en restreint les effets. Voire les affaiblit. J’ai déjà dû employer la formule suivante issue de mes années lycée, autant dire du fond des âges. Autant dire aussi qu’elle m’a marqué par sa justesse au point qu’elle se soit imposée comme une vérité dans ma vie d’adulte : quand on ne progresse pas, on ne reste pas à son niveau ; on régresse. Dois-je vraiment ajouter que pour éviter ce recul, on doit en passer par l’apprentissage de son métier ? Et rappeler qu’écrire en est un ?
Kipling, si et seulement si
Si intuitivement vous savez raconter des histoires, en apprenant des techniques narratives vous deviendrez un conteur captivant. Si des phrases sonnant bien vous viennent facilement, en apprenant comment écrire un paragraphe crescendo vous en optimiserez l’utilisation. Si vous possédez un bon sens de la chute, en apprenant comment l’amorcer dès la première phrase vous en décuplerez l’impact. Si votre écriture est ciselée, en apprenant toutes les subtilités du style elle deviendra remarquable. Si vous êtes à l’aise pour camper des personnages, en apprenant tous les moyens pour leur donner de la chair ils prendront un relief que vous n’auriez su leur donner autrement, etc.
L’iceberg dans l’encrier
Certes, avec des Si on mettrait Kipling dans un encrier. Mais il est fort probable que vous déteniez l’une ou l’autre – voire plusieurs – de ces qualités ne demandant qu’à être bonifiées. La façon dont un texte agit sur un lecteur peut varier dans des proportions qu’on ne soupçonne pas selon qu’on se cantonne à la surface de nos compétences ou que l’on investit du temps dans la partie immergée du travail d’écrivain. Oui, je recours à la seule métaphore en train de fondre, celle de l’iceberg. Mais elle s’applique si bien à la différence de taille existant entre la masse de travail invisible qu’il faut pour rendre la petite part de talent visible que je me permets pour finir d’écorner un peu plus la banquise !
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