Quelle peut bien être la réelle utilité de la critique en écriture ? Nous décourager ? Nous anéantir ? Nous renvoyer à notre clavier ?
On estime souvent, à raison, qu’il est important de soigner chaque aspect de son écriture. Mais en dépit de toute la bonne volonté dont chacun est capable de faire montre, le chantier littéraire est parfois décourageant dans ce qu’il a de vaste. Par où commencer ? Dans quels domaines pèche-t-on le plus ? Parmi de nombreux axes de travail, il en est un qui nous permet d’instaurer la distance nécessaire à l’acceptation de nos carences, et par-là d’y remédier en partie : identifier celles des autres…
Mais…
Les divorces littéraires
Il arrive qu’un roman ne nous plaise pas. Soit que son sujet ne nous touche guère, auquel cas sans remettre en cause le talent de l’auteur une séparation à l’amiable finit par intervenir. On le laisse de côté pour ne plus jamais le fréquenter. Les torts sont partagés, il y a eu un malentendu au départ. Soit que ce dont il traite fasse partie de nos thèmes préférés, et là, on en voudra à l’écrivain de n’avoir pas tenu sa promesse. C’est le point de non-retour au-delà duquel chaque paragraphe que l’on achève est prétexte à ce qu’une nouvelle critique fuse. Mais aussi différentes soient les causes des divorces littéraires sur lesquels notre approche se fonde, elles font naître des réflexions communes…
Persévérance et curiosité
Avant de repérer par le biais d’autres auteurs des pistes de progression pour nous-même, il est nécessaire d’effectuer un constat rarement démenti ; la nature humaine est ainsi faite qu’on ne peut se départir d’une sorte de réflexe lors d’un apprentissage : se reposer sur une compétence acquise au détriment d’une autre dont on n’a aucunement la maîtrise faute d’avoir travaillé en ce sens. Il ne faut pas y voir une volonté d’éviter l’effort que nous réclamerait l’appropriation d’un nouveau savoir-faire, mais le besoin de se rassurer quant à notre capacité à réussir. C’est en effet dans la répétition des choses accomplies avec aisance que s’entretient la persévérance. Mais c’est dans le confort des certitudes que s’amenuise le souffle de la curiosité.
La critique en face
Quand on tourne les pages d’un livre, peu importe ce qu’on est venu y chercher au départ s’il ne nous épargne pas des défauts mettant notre indulgence à rude épreuve. Mansuétude qu’on aurait plutôt tendance à réserver plus ou moins consciemment à nos propres écrits. Ainsi, entre incapacité à voir la poutre qui mettra notre récit sur la paille et déni pur et simple de nos défauts, on peut être tenté de ne se regarder en face que pour mieux rajuster nos œillères. Mais tôt ou tard, la froide réalité de la critique nous prend entre quat’z-yeux.
Pour ces raisons-là
Nous sommes donc plus prompts à débusquer les lacunes tapies chez les autres que celles exposées dans nos textes. La verbalisation de notre désappointement peut varier du « C’est pas mal, mais… » à « Inutile de racheter du papier toilette ». Entre ces deux extrémités de l’arc évaluatif se bousculent des considérations telles que : « L’idée est bonne, mais mal exploitée », « Où l’auteur veut-il en venir ? », « Qui est ce personnage, déjà ? », « L’intrigue patine », « Ça ne tient pas debout », « Les scènes sentimentales sont d’une épouvantable niaiserie ! »… Vous ne sauriez être sujet à l’une de ces critiques ? Qu’à cela ne tienne…
D’autres raisons de s’agacer, et des pleines pages si l’on veut : « Marre des deus ex machina ! », « Les dialogues font du surplace », « les rebondissements sont vraiment trop prévisibles », « Les enjeux sont très mal définis », « Le style est d’une telle indigence ! », « les personnages n’ont aucune profondeur », « La pensée de l’auteur n’est pas claire », « Le récit ne va jamais à l’essentiel ! », etc. Toujours pas concerné ? Vous pensez que ces remarques un rien désobligeantes ne sauraient s’appliquer à la céleste prose d’écrivains tutoyant les étoiles éditoriales ? Voyons ça…
La liste
Méthode
J’ai recoupé plusieurs listes de romans ayant rencontré un vif succès de librairie, et pour la plupart un bon accueil critique. Cela n’aurait présenté que peu d’intérêt si parallèlement à cet engouement il n’y avait eu d’acharnés détracteurs de ces œuvres. Dans la mesure du possible, j’ai essayé d’effectuer un tri parmi ces attaques bien senties. C’est-à-dire, quand il m’a paru que bien que d’une rare virulence pour certaines, elles étaient le plus honnêtement exprimées : non suscitées par un rejet épidermique du succès d’autrui, étayées avec des arguments laissant supposer qu’elles émanaient de lecteurs avertis, visant plus à démontrer qu’à démolir, bref, davantage échafaudées par des aristarques que des contempteurs.
L’urticaire littéraire
Cette petite dizaine de titres est sans ordre, si ce n’est celui dans lequel je les ai notés sur une feuille au hasard de mes recherches. Il n’y a pas non plus de choix particulier de ma part. Je me suis tout bonnement livré à une sélection d’œuvres qui, pour être citées à plusieurs reprises, ont « naturellement » intégrés le cercle envié ou pas des romans que certains aiment détester. On ne dira jamais assez combien des écrivains portés aux nues ont parfois un pouvoir urticant sur l’esprit d’un lecteur…
L’observation de la critique
À titre indicatif, je suis assez d’accord quant à la qualité discutable de quelques-uns de ces bouquins. Si ce n’était qu’anecdotique, je ne mentionnerais pas ce fait. Il s’agit juste de souligner le côté subjectif d’un avis, m’appuyant sur des critères entrant sans doute en contradiction avec l’idée que se font d’autres lecteurs de l’excellence littéraire. Tant qu’on ne m’impose pas de crier au génie sous prétexte qu’un livre a été encensé, ça me va. Je ne hurlerai pas plus de rage si l’on s’en prend sans ménagement à un auteur que j’aime, toute critique pouvant s’observer. Y compris, et c’est là que se tisse le lien ténu mais bien réel entre des auteurs débutants et des écrivains reconnus, celles portant sur nos textes.
Ça n’arrive pas qu’aux autres
Contrairement aux avis reportés ci-dessous, ce sont majoritairement des qualités qui sont mises en avant quand on effectue des recherches sur ces ouvrages. Les remarques assassines ne fleurissent qu’à la marge – dans la boue de fossés remplis de l’eau putride de la jalousie. Enfin, c’est ce que s’écrieront peut-être, horrifiés, ceux convaincus qu’on dénigre leur goût en ne le partageant pas. J’ai le sentiment que l’objectivité, ou ce qui s’en rapproche le plus, nécessite de se forger une vision à travers plusieurs filtres. Comme j’ai eu l’occasion de le dire dans un autre article, il est parfois bon de penser contre soi-même quand on veut s’améliorer. Avant d’aller plus loin, dites-vous qu’on peut voir dans les critiques adressées aux autres le reflet envisageable de celles dont on aurait pu être l’objet…
Huit romans sous le feu roulant
L’alchimiste – Paulo Coelho
« Pseudo fable sur la réalisation de soi. »
« Un récit initiatique de plus, avec le vieux sage et le jeune ingénu qui ne connaît rien à la vie. »
« L’auteur prend une vieille idée (j’ai fait le tour du monde à la recherche d’un trésor pour m’apercevoir qu’il est dans mon jardin), et on l’écrit en faisant un maximum de remplissage, en s’aidant de formules à l’emporte-pièce. Je n’ai pas compté, mais certaines phrases doivent être répétées cinquante fois dans le bouquin. Ça ajoute à l’aspect hypnotique de cette littérature de gare. »
Ubik – Philip K. Dick
« Le manque d’exploitation de bonnes idées m’a cruellement laissé sur ma faim. »
« Qualifier ce roman de surfait est un compliment. Il ne contient qu’un seul rebondissement digne de ce nom. […] L’auteur a étiré son texte en un roman, à coups de répétitions et de remplissage. Le résultat est épouvantable. »
« Tout est brouillon, en plus des pouvoirs précités, l’histoire mélange cryogénie et voyage temporel. C’est d’une complexité. Si on rajoute à cela un produit appelé « Ubik » évolutif […] on obtient un récit indigeste. On est dans le pur délire de l’auteur. Sur l’ensemble du récit, seule une cinquantaine de pages sont intéressantes. »
Cinquante nuances de Grey
« Ce roman est ridicule, mal écrit, et drôle à ses propres dépens. »
« On ne fait donc que survoler cet univers controversé, nous gavant de clichés éculés […] Cette étudiante en lettres ne lisant jamais. »
« Il y a tellement de beaux romans érotiques par ailleurs que l’on peut sans difficulté oublier ces « Cinquante nuances de Grey » qui ne présentent malheureusement aucun intérêt, malgré le foin qui a entouré leur publication. Pour ma part, le livre m’est tombé des mains au bout de 50 pages, n’ayant jamais accroché aux soupirs enamourés de l’ado naïve tombant entre les griffes du méchant tombeur. »
La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert – Joël Dicker
« Ce qui est intéressant dans ce bouquin c’est qu’il offre un méta-discours sur sa propre médiocrité. Dicker nous raconte l’histoire […] de deux écrivains mauvais mais qui sont soutenus par les mass-medias, c’est comme si Dicker écrivait sur lui-même et sur son livre. »
« Évoquer au sein du récit un roman sublime et inégalable pour le doubler d’une écriture aussi pauvre, d’un romantisme aussi mièvre, il faut être au mieux très sûr de soi, au pire complètement inconscient. »
« L’intrigue, qu’on m’avait vantée, est pavée de clichés tous plus maladroits les uns que les autres. »
Cent ans de solitude – Gabriel García Márquez
« Après 50 pages, j’étais emballé. […]Puis je me suis lassé. Tout d’abord, la nécessité d’avoir constamment sous les yeux l’arbre généalogique de la famille m’a contrarié. Difficile d’accrocher vraiment aux personnages dans ces conditions. […] Bien que les talents de conteur de García Márquez soient indéniables, j’ai trouvé le livre incroyablement lourd à lire en raison de l’absence de respiration dans le texte, avec de gros pavés en guise de paragraphes, sans quasiment aucun dialogue. »
« Mais globalement, je n’ai pas réussi à accrocher ni à m’attacher aux personnages. Il faut dire qu’ils sont nombreux les personnages, et qu’ils ont des noms très similaires. Aussi, à moins de bien vous accrocher, vous aurez parfois (souvent) du mal à savoir de qui on parle. »
« Les premiers chapitres m’ont plu, beaucoup plu même mais l’histoire s’essouffle vite. On ne sent pas de progression, on tourne en rond. De l’inceste, des guerres, des « mégères ». Une génération puis une autre. Et encore une autre. On n’en finit jamais ! Les personnages passent, repassent, naissent, meurent mais aucun ne laisse de trace dans l’esprit du lecteur. »
« Le style de l’auteur est imbuvable, trop de mots inutiles, trop de phrases qui partent dans tous les sens, on se perd dans les figures de styles qui alourdissent le discours : des métaphores, des allégories, des antithèses, des gradations, des hyperboles toutes plus absurdes/exagérées les unes que les autres. L’auteur s’est livré à un exercice de style complètement farfelu. »
Madame Bovary – Gustave Flaubert
« Je n’ai jamais pu aller plus loin que le mariage. Ça m’ennuyait trop. Un livre qui ne tient que par son style, ça ne m’intéresse pas. Il faut qu’il se passe des choses. »
« Triomphe du style, dit-on. Certes. On le sait, Flaubert a mis des années à écrire ce roman, ciselant chaque phrase pour que cela atteigne la perfection.
Mais le résultat me paraît être contraire à l’objectif. Madame Bovary m’a constamment apparu être une sorte de diamant superbe mais entièrement froid, dénué de la moindre émotion. […] Loin des révoltes de Zola, Flaubert reste glacial et déplaisant. »
« Flaubert emploie son style habituellement superbe pour décrire la vie ennuyante d’Emma Bovary. Mais un problème se pose au-delà de la beauté même des phrases de Flaubert : comment apprécier un roman dont le sujet principal est la médiocrité humaine ? […]Qui voudrait partager l’évolution psychologique et les pensées d’un tel personnage, dont l’immoralité et la naïveté feraient tressaillir les Gomorrhéens eux-mêmes? Que peut-on répondre à un auteur qui, croyant nous dire quelque chose sur l’homme et sur la vie, ne nous montre qu’un monde glacial, sans justice ni bonheur ni joie ? »
À la recherche du temps perdu – Marcel Proust
« C’est illisible. Des paragraphes qui font cinq pages, des phrases qui n’en finissent jamais… »
« Le héros est passif, les personnages n’ont aucun but, on n’y suit aucune trajectoire. Quant aux descriptions minutieuses, elles révèlent seulement une hypertrophie pathologique de la sensibilité. »
« Son ampleur peut inquiéter le lecteur […], la personnalité même de l’auteur, dandy oisif et casanier, l’étroitesse de son monde, sa faible curiosité pour les questions sociales, son style même qu’on peut juger précieux, la fréquence déconcertante des métaphores et comparaisons, la longueur de ses phrases enfin, devenue légendaire. »
Le Rouge et le Noir – Stendhal
« J’avoue que je ne supporte plus Julien Sorel et encore moins cette pimbêche de la Mole. Et toutes ces interminables pages consacrées à leurs atermoiements amoureux m’énervent. Leurs ‘‘délires’’ psychologiques et leur ‘‘je t’aime moi non plus’’ ne m’intéressent absolument pas et je les trouve même ridicules. »
« Outre la longueur du roman qui ne me dérangerait pas en soit, l’histoire est creuse et vide de sens. La seule action qu’il y a est à la toute fin […] Le pire est que comme le résumé nous le dit, on penserait que le récit serait centré sur cet événement, mais non le roman se termine quasiment sur ça et tout est précipité. »
« J’avais en permanence envie de secouer les protagonistes, insupportables de mollesse, à contempler leurs sentiments et émotions sous toutes les coutures […]. J’ai fini par jeter l’éponge, ce qui ne m’arrive jamais. »
L’échantillon des siècles
Cet échantillon de critiques possède à la fois un caractère universel et une constance à travers les siècles. Difficile donc de toutes les rejeter en bloc en leur niant une forme de légitimité. Elles n’ont ni le mérite ni le tort d’exister, mais on ne peut contester leur apport au discours littéraire. Ce pourquoi il est intéressant de les étudier afin de se demander si notre écriture y prête flanc, et si oui dans quelle mesure.
Des critiques dures comme la pierre
De la part de son entourage proche, un auteur est amené à recueillir des remarques tant pertinentes que dépassionnées, ou si l’on préfère franches sans être abrasives. Même si celles compilées ci-dessus ont l’air de ne pas nous impliquer directement, nul doute que par ricochet ce seront des pierres qui pourront un jour ou l’autre atterrir dans notre jardin d’écrivain. Au lieu de craindre des écorchures à notre ego, il faut y voir une occasion de réfléchir au meilleur moyen d’épierrer notre écriture…
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