René Godenne historien de la nouvelle et pape du short
La nouvelle a mauvaise presse ! Un paradoxe… Les lecteurs préfèrent les romans. Combien d’écrivains ont révélé leur talent en écrivant des nouvelles ? Ils sont si nombreux : Jack London, Prosper Mérimée, Alice Monroe, Guy de Maupassant, Stephen King, Annie Saumont…
Etape clé dans la formation des écrivains et des romanciers, la nouvelle est un genre littéraire épris de liberté et de sensations. Cet article parle de l’histoire de cette mal-aimée et de son ambassadeur : René Godenne.
La nouvelle : la mal-aimée de la littérature
La nouvelle est celle dont on ne doit pas prononcer le nom ! Parlez plutôt d’histoire en lui collant un adjectif sur le dos ! Histoire courte, histoire drôle, histoire fantastique, histoire extraordinaire… Mieux, parlez-en en anglais : « la short story ! ». Sans cette précaution oratoire, votre texte risque d’être méprisé.
On retient d’elle le plus souvent sa brièveté, au point de l’acoquiner parfois avec son « bourreau » en la qualifiant de « roman court ». Une manière de la dévaloriser et de lui infliger le complexe de ne jamais être assez longue pour satisfaire pleinement le lecteur.
Son statut à part la tient à bonne distances des formes littéraires répertoriées dans les manuels de littérature. On la distingue généralement des autres textes courts : le conte, la fable, le récit, le fragment, le reportage, la chronique, l’anecdote, la conversation… Des genres littéraires qui se sont laissés apprivoisés par les théoriciens. Cette vision est pour le moins étroite : la nouvelle, protéiforme et inventive, les chapeaute tous…
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« Car la nouvelle, c’est le grand vertige de la création littéraire. La nouvelle, c’est la guérilla ; non seulement contre les genres institués et dominants qui forcent le nouvelliste à adopter une position de franc-tireur, mais aussi contre soi-même. Car la nouvelle entend réaliser la gageure de se pencher au plus près du bord de ce gouffre d’où l’écriture sourd et brusquement surgit. Et ce qui lui donne précisément sa texture et sa spécificité, c’est que la position est à ce point stratégique et intenable qu’on ne peut s’y accrocher guère plus de quelques pages. Voilà une des raisons essentielles de sa brièveté. » Alain Nadaud, Préface, Voyage au pays des bords du gouffre, Denoël, 1986
Ce vertige et cette fulgurance bien connus des créateurs, ont été aussi décrits en d’autres termes par Geneviève Serreau (1). Cette brièveté vient d’un sentiment d’urgence qui anime l’auteur : « Pourquoi des textes courts ? Parce que je ressentais le besoin de capter un instant ressenti comme essentiel et le restituer […] l’instant, qui me fut essentiel, sera peut-être submergé par d’autres réalités contradictoires, et il n’en restera rien si l’écriture ne parvient pas à fixer ce vertige ». (1)
Cette ingratitude de l’Histoire n’a pas découragé René Godenne. Il a endossé le rôle d’historien de la nouvelle, accompagné de sa pipe, tel un Sherlock Holmes fureteur au pays des théories littéraires. Surnommé « L’abbé Pierre de la nouvelle », « Le Pape de la nouvelle », et par lui-même : « Le Mathusalem de la nouvelle » (53 ans de publication sur le même sujet… faut le faire !). Vous préférerez sans doute, ce titre truculent et branché qu’il s’est aussi donné « Le Pape du short ».
Allez en paix avec vos définitions !
Les universitaires et les théoriciens de la littérature aiment définir les objets littéraires. Ils fixent des caractéristiques, des règles de composition ; dessinent les contours d’un esthétisme en se référant aux auteurs reconnus, limitant du même coup l’invention des auteurs à venir. A la plus grande surprise des écrivains qui eux ne théorisent pas mais œuvrent. On comprend pourquoi la création a toujours rimé avec « transgression ». La guerre de la définition sévit toujours. La nouvelle échappe à toutes les définitions dans lesquelles on voudrait l’enfermer. René Godenne, lui-même universitaire, en a vite pris conscience :
« il ne m’aura pas fallu attendre longtemps lorsque je commençais à m’intéresser à la nouvelle pour me rendre compte que si la nouvelle avait peu de lecteurs, tout le monde par contre savait ce qu’était une nouvelle. Autant dire : tout le monde avait son avis sur la question. Mais attention : un avis qu’il ne partageait avec quasiment personne tant les opinions tranchées, divergentes, contradictoires (et de quel ton parfois péremptoire les énonçait-on !). Pour l’un, la nouvelle est un sous-produit de roman ; pour l’autre, la nouvelle n’est surtout pas un roman.
Pour l’un, la nouvelle est une histoire ; pour l’autre, elle n’est pas une histoire. Pour l’un, c’est par le sujet que se différencient la nouvelle et le conte ; pour l’autre, c’est par les dimensions. Etc., etc. En somme, chacun de proposer les éléments d’une définition du genre sur la seule foi de sa propre conception des choses, les auteurs qui se fient à leur pratique, les théoriciens qui se reposent sur des principes critiques établis. Le tout est de voir si les éléments proposés sont probants et en nombre suffisant. » (2)
« Je me suis interdit de m’engager dans ces vains débats concernant la terminologie ou la confrontation avec les autres genres narratifs, tant l’on a du mal à s’accorder sur le moindre élément, débats qui surtout éloignent de ce qui devrait être l’essentiel : faire aimer, faire lire la nouvelle. » (3)
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Ces frictions de théoriciens ont fait de la nouvelle un genre narratif certes mal-aimé, mais libéré des contingences littéraires. Que cette absence d’étiquette ne nous fasse pas oublier les titres de René Godenne, ceux de ses encyclopédies. Ils sont à eux seuls une invitation à un voyage littéraire à travers les époques et le monde : « Le tour du monde en 80 recueils », « Nouvelles des Siècles ». La lecture de ses ouvrages recèle bien des découvertes et des révélations…
Qui a rédigé le premier recueil de nouvelles ?
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le premier recueil de nouvelles n’a été écrit ni par Guy de Maupassant, ni par Prosper Mérimée, ni encore par Honoré de Balzac. L’auteur ne se dénoncera pas ! Il s’agissait d’une œuvre collective d’anonymes !
« S’inspirant du Décaméron (entre 1350-1355), Les Cent Nouvelles Nouvelles (aux environs de 1460), ouvrage anonyme et collectif, est le premier recueil français en date. Cet ensemble d’histoires a comme propos essentiel – personne ne devrait s’en plaindre – de divertir, d’amuser, de faire rire : tant par le sujet (mésaventures de maris balourds et cocus, astuces de moines paillards pour ravir la vertu de leurs ouailles, épouses rusées et ingénieuses, seigneurs friands de pucelles…) que par une expression enjouée, truculente (l’esprit gaulois ! mais d’un goût parfois douteux), sans fard, où un chat s’appelle un chat.
« Elle le conduisit alors dans une très jolie petite pièce où l’on rangeait les habits, ferma la porte et s’allongea sur le lit. Maître moine souleva ses vêtements et, en guise du doigt de la main, enfila sa trique, raide et dure. Quand elle la sentit entrer, si grosse, elle lui dit : « Comment ! Mais c’est là votre doigt ! Comment peut-il être si gros ? Je n’ai jamais entendu parler d’un doigt pareil !… »
Les Cent Nouvelles Nouvelles fixe d’emblée une image indélébile de la nouvelle : un récit court, qui repose sur deux grands principes narratifs : la rapidité dans le déroulement, le resserrement dans l’exposition ; et la rigueur témoignée (pas de détails inutiles) est d’autant plus apparente que la structure narrative est claire et nette (quelques lignes d’introduction qui susciteront l’intérêt, un récit chronologique limité à l’essentiel du sujet, quelques lignes de conclusion). » (4)
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Aux frontières des autres genres
Le titre de transcription des interventions lors du colloque des spécialistes de la nouvelle qui s’est déroulé à Metz en 1996 donne une clé : « La nouvelle aux frontières des autres genres. » Ce collectif d’auteurs affiche enfin une géolocalisation dans le paysage littéraire aussi précise… qu’indisciplinée.
« Une nouvelle est le récit, le plus souvent bref, d’une aventure, en général récente et présentée comme réelle ». Ce que la langue moderne qualifie d’« événement » n’est autre chose que ce que tout le Moyen Âge a appelé l’« aventure » : d’un mot, tout ce qui peut intéresser par son caractère plus ou moins extraordinaire, tout ce qui est avant tout inattendu. » (5)
« La nouvelle n’est plus seulement une histoire mais aussi l’expression d’un moment de vie, plus limité dans le temps que l’épisode du XIXe siècle (« Le roman, c’est le temps. La nouvelle, c’est l’instant », énonce Roger Grenier). Ici, la rupture est totale avec le roman : « Le plaisir d’écrire des nouvelles, c’est explorer la diversité de ses images, s’aventurer sur de multiples chimères, ne pas épuiser les thèmes ni les personnages, mais s’efforcer de les cerner, de les saisir, en des moments essentiels et cruciaux ». A Chédid (6)
La nouvelle s’associe avec tous les genres, tous les styles. Elle se pare de toutes les couleurs de la littérature : blanche (la littérature de haute tenue littéraire), rose ( les coquineries), noire pour le polar… Elle peut être fantastique, poétique, lyrique, didactique, photographique… S’écrire sur tous les tons du tragique au comique et épingler toutes les émotions humaines.
Et ce n’est pas tout, elle a aussi longtemps flirté avec le journalisme : nouvelle d’une seule parution, ou épisodes de roman feuilleton, elle a contribué à attirer des lecteurs occasionnels. Sans compter les nombreux journalistes qui se sont essayés à des développements plus longs lors d’enquêtes poussées ; des « romans courts » inspirés de faits réels…
« … « roman avorté », « roman raté », « brouillon de roman », la nouvelle jouit à peine d’un statut propre. L’histoire du genre à travers les siècles, c’est l’histoire d’un handicap jamais comblé. »
René Godenne
Ce que la nouvelle a à dire au roman
La nouvelle continue à talonner le roman, au point de devenir chez certains romanciers des chapitres, des épisodes mobilisant des personnages récurrents.
« Ce n’est qu’une question de longueur qui distingue les genres : La nouvelle a cela de commun avec le roman, que l’un et l’autre est une fiction ingénieuse, et que les aventures qu’on décrit doivent être intriguées et ménagées de telle manière, que le lecteur s’intéresse en faveur de la personne qui en fait le principal sujet, sache mauvais gré à ceux qui lui suscitent des traverses, et ait de l’impatience de les voir heureusement sortir d’embarras ; cela également doit se trouver dans le roman et dans la nouvelle. Leur différence, ce me semble, ne consiste que dans l’étendue. » (7)
« La matière de la nouvelle est un épisode, celle du roman une suite d’épisodes » ; « Une nouvelle n’est ni l’ébauche ni le résumé d’un roman » ; « La nouvelle est courte, cela va sans dire ; mais ce qui la distingue du roman, ce n’est pas une différence de métrage ; en vérité, c’est une différence d’essence ». (8).
Il faut le reconnaître aussi que bien des romans trop longs auraient gagné à être des nouvelles pour parvenir à captiver le lecteur. Les lecteurs aiment les histoires rondement racontées avec une écriture nerveuse, saisissante, fulgurante… comme une nouvelle. N’en doutons plus : « La nouvelle est un genre mineur, car elle va au fond des choses », Frédéric Barbas, et bien que mal-aimée elle restera « la grande école du roman », pour citer Hervé Bazin. La Nouvelle a l’arrogance de celles qui donnent des leçons de liberté aux puissants.
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Notes
(1) Citation de Geneviève Serreau, lettre inédite du 25 octobre 1979, citée p 138 par René Godenne dans son ouvrage : La nouvelle de A à Z
(2) La première nouvelle publiée
http://www.edern.be/renegodenne/contenu/Un_tour_du_monde_de_la_nouvelle_en_80_recueils/01-Les_cent_nouvelles_nouvelles.html
(3) La nouvelle de A à Z, René Godenne, édition Rhubarbe
(4) René Godenne, La nouvelle de langue française aux frontières des autres genres, du Moyen Âge à nos jours, tome 1, p.332
(5) La nouvelle de langue française aux frontières des autres genres, du Moyen Âge à nos jours, tome 1, p 19 , intervention de Roger Dubuis
(6) La nouvelle de langue française aux frontières des autres genres, du Moyen Âge à nos jours, tome 1, p 48
(7) La nouvelle de langue française aux frontières des autres genres, du Moyen Âge à nos jours, tome 1, p 400
(8) La nouvelle de langue française aux frontières des autres genres, du Moyen Âge à nos jours, tome 1, p 406
Ressources
♦ En savoir plus sur René Godenne
http://www.edern.be/renegodenne/Rene_Godenne/Bienvenue.html
♦ Blog de René Godenne, la rétrospective de ses travaux encyclopédiques
http://renegodenne.be/?p=860
Bibliographie sélective
♦ Etude sur la nouvelle française, René Godenne, Ed Slatkine Reprints
https://livre.fnac.com/a8297106/Rene-Godenne-Etudes-sur-la-nouvelle-francaise
♦ Nouvellistes contemporains de langue française, René Godenne
https://www.amazon.fr/Nouvellistes-contemporains-langue-française-Godenne