Votre personnage est un écrivain ? Voyez les avantages et les inconvénients d’être soi quand on parle d’un autre. Et vice versa.
Le personnage-écrivain : soyez vous, devenez l’autre
Un personnage-écrivain, comme son nom l’indique, est dans une histoire quelle qu’elle soit celui qui vit ou tente de vivre de sa plume. Dédicaçant ses œuvres à tour de bras ou bouffant de la vache enragée, il offre à son auteur l’occasion de s’exprimer à travers le plus mince des filtres, puisqu’il en est l’émanation la plus directe. Cette proximité favorise la complicité avec le lecteur essayant de deviner quelle part de vérité entre dans la fiction. Je vous propose d’examiner les avantages et les inconvénients d’être soi quand on parle d’un autre. Et vice versa.
Le personnage-écrivain, ou comment voir double, mais pas flou
Pour un auteur, décider de confier les rênes de son histoire à un personnage-écrivain n’est pas anodin. Difficile de croire que dans une certaine mesure il ne va pas se questionner lui-même à travers ce que ce héros un peu particulier va vivre. On dit que chaque romancier projette un peu de sa propre personnalité dans ses protagonistes, les événements qu’ils subissent ou provoquent, les motifs qui les animent. Mais le degré d’identification se double ici, c’est le bon verbe, d’une promiscuité intellectuelle n’existant pas avec les personnages plus « neutres ». La double vision de l’auteur et du personnage-écrivain doit se confondre sans rien céder au flou.
Soyez réaliste, gagnez du temps !
Il est un conseil de bon sens revenant souvent chez les gens du métier : écrivez sur ce que vous connaissez. L’un des bénéfices immédiats à aborder un domaine qu’on pratique ou auquel on s’est toujours intéressé est le gain de temps sur le travail de recherche. Sans oublier ce que le vécu a d’irremplaçable si on considère que du point de vue du réalisme se remémorer puisse être supérieur à imaginer. Bien entendu, un écrivain de talent ayant réuni la documentation nécessaire à l’exploitation de son sujet saura nous faire habilement croire que chacune des lignes qu’il écrit est le fruit de sa propre expérience. Menteur !
Faites mordre le lecteur à l’hameçon
Qu’il s’agisse de littérature ou d’autre chose, un auteur pourra donc compenser une imagination moindre en relatant fidèlement ses souvenirs, obtenant grâce à des détails qu’il aura conservés à l’esprit une puissante force évocatrice. On peut brûler d’envie d’écrire une incroyable histoire de pêche une fois lu Moby Dick ou Le vieil homme et la mer. Mais la tâche se révélera ardue si on n’a jamais mis un pied sur un bateau ni manié un moulinet. A contrario, une personne ayant passé dix ans dans la marine marchande, sachant confectionner une mouche ou accrocher un appât à l’hameçon les yeux fermés partira bien sûr avec plusieurs longueurs d’avance. Les souvenirs d’un écrivain grouillant comme des asticots, croyez-moi, ça devrait mordre !
Le travail extraordinaire du personnage-écrivain
Être romancier présente cette singularité, quand on utilise un personnage-écrivain, d’exercer son métier rien qu’en l’évoquant. Il ne me vient pas en tête une autre profession où cela se passe ainsi. Un ébéniste peut parler à l’envi de la façon dont on façonne une commode, ça n’en fabriquera pas une pour autant, pourtant ce serait bien pratique ! Tandis que dès le moment où un écrivain raconte de quoi retourne son labeur quotidien grâce à son personnage-écrivain, il crée bel et bien un nouveau livre. Un auteur a donc en soi, de par le simple fait de bavarder du métier qu’il a choisi, la matière première nécessaire à sa pratique. Comme si notre ébéniste pouvait faire apparaître n’importe quelle essence de bois rien qu’en expliquant comment il sculpte un meuble. Et mieux encore, qu’il s’assemble sous ses yeux. N’est-ce pas extraordinaire ? Si, ça l’est.
Stephen King, ou la réflexion sur l’écriture d’un père de famille nombreuse
Parmi les auteurs ayant recouru à un personnage-écrivain, Stephen King est probablement l’un de ceux à s’être montré le plus prolifique dans ce domaine précis, qu’on pourrait d’ailleurs apparenter à un sous-genre. Les héros de Misery, Le roman de Lisey, Shining, La part des ténèbres, Salem, Sac d’os, Désolation,plus les personnages-écrivains tenant le rôle central dans ses nouvelles seraient un peu à l’étroit si on les regroupait dans une pièce tant ils sont nombreux. Ils ont permis à King d’interroger son art en profondeur tout en se penchant sur ses obsessions d’auteur. Sa réflexion sur la création s’exprime plus formellement – mais avec humour – dans l’essai Écriture.
Le regard rassembleur du personnage-écrivain
D’autres romanciers ont écrit des ouvrages fort célèbres les mettant – ou non – plus ou moins véridiquement en scène : Ernest Hemingway avec Paris est une fête, Jack London avec Martin Eden, John Irving avec Le monde selon Garp, Joël Dicker avec La vérité sur l’affaire Harry Quebert, Honoré de Balzac avec La peau de chagrin, John Fante avec Demande à la poussière, etc. S’il serait vain d’établir des parallèles entre ces différents livres tant leurs contenus diffèrent, il existe cependant un point de convergence entre eux : le regard de l’écrivain sur le monde qui l’entoure. Votre regard, en l’occurrence, celui d’une personne habituée à inventer des situations en partie arrachées au réel et qui s’incarnent de manière fictive par l’intermédiaire de votre personnage-écrivain.
L’apprentissage du partage avec le personnage-écrivain
Le piège à éviter quand on utilise un personnage-écrivain est de mordre la frontière entre évoquer son métier et étaler sa science. On s’imagine tous (ou presque) confits de modestie, mais il est à craindre que dans le discours adressé au lecteur transpire un peu de suffisance, comme pour lui dire : « Voyez, écrire c’est ça, et moi je sais faire. » S’il est évident que ce ne sera pas formulé en ces termes, le ton employé, l’insistance à prouver qu’on maîtrise son sujet, pourraient faire passer la peur de n’être pas compris pour de l’arrogance. Plutôt que de vouloir apprendre quelque chose à son lecteur, il est préférable de le lui faire partager.
Ne mettez pas votre personnage-écrivain sur la paille
Le personnage-écrivain ne doit surtout pas être votre homme de paille. Bien sûr, ce sera toujours vous qui tirerez les ficelles, comment pourrait-il en être autrement ? Seulement, ne lui faites pas tenir un discours qui même sous les dehors les plus subtils ne visera au final qu’à vous couvrir de louanges ou à servir vos seuls intérêts. Dans le paragraphe précédent, on a vu le danger d’instaurer avec votre lecteur un rapport de maître à élève – pour la dernière fois, fuyez cette idée ! Il n’apprécierait pas de se voir soumettre un vécu sous le vernis du fictif sans être traité comme votre égal, ce qui est normal. De la même manière, il n’adhérerait pas à une représentation enjolivée à l’extrême de qui vous êtes par le biais de votre personnage-écrivain. Ne ruinez pas votre réputation d’écrivain honnête, car le lecteur ne fait pas crédit.
Les 10 raisons pour lesquelles votre lecteur aimera votre personnage-écrivain
1 – Parce qu’il lui dévoilera une ou deux ficelles pour raconter une bonne histoire.
2 – Parce qu’il n’aura pas l’air de détenir la science infuse quand il parlera boutique.
3 – Parce qu’il fera état du problème principal rencontré quand il doit débuter un roman.
4 – Parce qu’il lui donnera envie d’écrire à son tour si ce n’est pas déjà le cas, et d’écrire plus encore si ça l’est.
5 – Parce qu’il l’incitera à réfléchir sur le processus créatif en lui faisant part de sa propre réflexion à ce sujet.
6 – Parce qu’il démythifiera l’acte d’écrire afin de lui assurer qu’il n’est pas réservé à une élite.
7 – Parce qu’il lui prêtera sa lorgnette en lui disant par quel bout regarder le petit monde littéraire.
8 – Parce qu’il lui expliquera qu’on doit mettre les croyances du métier en échec pour connaître le succès.
9 – Parce qu’il lui dira quelles sont ces croyances.
10 – Parce qu’à défaut d’être toujours pertinent, il ne sera jamais insincère.
Pour finir, si vous choisissez ce genre de héros, ne parlez de votre métier que si vous avez quelque chose d’intéressant à en dire. Un bon personnage ne tolère pas les écrits vains…
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