La concision du style préconise la brièveté. Cette grosse ficelle n’est pas suffisante : faut-il encore savoir ce que l’on doit retrancher et comment s’y prendre pour ne pas gêner l’expression de sa pensée. Dans cette 6 e leçon, revisitée par Frédéric Barbas, ex-correcteur d’édition pour L’esprit livre, aujourd’hui auteur et blogueur, vous trouverez des solutions intéressantes, exemples décortiqués à l’appuis.
Leçon 4
Sixième Leçon : la concision du style
« La seconde qualité essentielle d’un bon style, c’est la concision, c’est-à-dire l’art de renfermer une pensée dans le moins de mots possible. […] (la concision) ne consiste pas dans les phrases courtes plutôt que dans les phrases longues. Chacun a sa mesure ; le moule importe peu, menue phrase hachée des portraits de La Bruyère, ou belle période des discours de Bossuet. »
Un carcan confortable
Il ne faut donc pas se brider au niveau du nombre de mots au risque de biaiser sa pensée, mais lui trouver un carcan confortable, soit suffisamment de rigueur pour ne pas verser dans le verbiage, et la souplesse indispensable à la bonne respiration de la phrase. Chaussant du quarante-deux, on n’achètera pas une pointure au-dessous ou au-dessus.
Mèche rebelle et genre hirsute
L’une des premières règles d’écriture est celle de la brièveté: exprimer sa pensée en utilisant un minimum de mots. Cette économie de moyens renforce l’expression de votre pensée. Prenons un exemple : « […] je passai sur cette route et je fis une rencontre que je n’ai plus oubliée depuis. » Alfred de Vigny. On pourrait penser qu’il n’y a rien en trop dans la phrase ci-dessus, et pourtant, Albalat met le doigt sur le grain de sable qui déstabilise l’ensemble : « Le mot depuis est inutile et reste en l’air. Il n’ajoute rien, aucune idée, aucune nuance et retient, qu’on me passe le mot, la phrase par la patte. »
On voit à travers cet extrait d’Alfred de Vigny que le diable se niche dans les détails, ici un adverbe qui, en effet, ne propose pas de valeur ajoutée à la phrase. Au contraire, il l’encombre. Si cet exemple est parlant, c’est parce qu’il met en lumière ce que, même à la marge puisqu’un seul mot est en cause, il faut éviter. On se doit de fixer sa pensée, quand on se relit, sur cette vérité toute simple soulignée par Albalat et qui vous permettra de débusquer l’intrus dans votre phrase : il n’ajoute rien. On doit pour cela décortiquer sa prose au pied à coulisse afin d’être certain que rien ne dépasse ; si le mot saillant, la mèche rebelle en quelque sorte sont conseillés pour donner du volume au style, on ne versera pas dans le genre hirsute de la littérature, où l’on ébouriffe les mots au détriment d’une structure cohérente à même de véhiculer son idée du mieux possible. Ne pas dénaturer sa pensée par le manque de concision doit constituer l’un des objectifs principaux de l’écrivain, aussi doit-il s’astreindre à une discipline de fer afin de l’atteindre.
L’adverbe et ses échardes
À propos des adverbes, on ne s’en méfiera jamais assez, qui dans le séduisant prolongement qu’ils offrent à une tournure la contaminent aussitôt sans autre espoir de rémission que l’ablation pure et simple. L’adverbe n’est pas un ennemi, mais sait se montrer sournois pour écorcher un style d’illusoires enchantements.
C’est une des premières facilités dont l’auteur, débutant ou plus aguerri, a de la peine à se départir. Et donc, ce qu’il doit combattre. On a vu à quelle dérive langagière peuvent entraîner les épithètes ; les adverbes sont faits du même bois, avec les échardes qui les accompagnent.
La Chandeleur des idées
« N’oubliez pas que les phrases sont faites les unes pour les autres et que c’est leur enchaînement serré qui fait une des beautés générales du style. Que vos phrases ne paraissent pas greffées, en surcharges, mais engendrées ; non pas juxtaposées facticement, mais logiquement déduites. »
Comme le suggère Albalat, on doit agencer ses phrases de telle façon qu’elles offrent une continuité, un déploiement de l’idée principale évitant son ressassement : « Il y a des écrivains qui ne peuvent quitter une idée sans l’avoir mâchée dans tous les sens, jusqu’à ce qu’elle n’ait plus de goût. ». Il faut fuir cette tentation de retourner sans cesse son idée, ce n’est pas une crêpe ! Il convient de renoncer à cette profusion qui sous des dehors faussement riches cache une incapacité à cerner son sujet, à dire, tout simplement, ce que l’on voudrait dire.
Les développements sont bien sûr nécessaires si l’on veut conforter son propos, mais il ne s’agit pas d’empiéter sur le terrain que l’on vient d’ensemencer : ne pas confondre élargir sa pensée et la faire tourner en boucle est la garantie de ne pas ennuyer son lecteur. Quand Albalat emploie les participes passés « engendrées » et « déduites », on peut y voir la recherche de quelque chose de fécond, de neuf, pas du rabâchage. On l’aura compris, l’erreur qu’on peut commettre en tentant de ranger le lecteur à nos arguments est d’expliciter sa pensée plus que de raison et, au lieu de l’affiner, la rendre indigeste.
Cassez l’horizontalité du style
De la concision, pas de la censure !
« L’obligation d’être concis ne signifie pas qu’il faille couper les ailes à la fantaisie et à l’imagination, et renoncer à la couleur ou à la magie des mots ; mais encore faut-il que ces mots soient magiques ; qu’ils surenchérissent supérieurement sur la chose dite ».
Surenchérir supérieurement sur la chose dite n’est pas qu’une formule, c’est une obligation que tout écrivain doit avoir constamment en tête. À l’aune d’un paragraphe, cela se traduit par la montée en puissance de la scène que l’on veut décrire ou du sentiment qu’on souhaite exprimer ; ce phénomène de graduation peut s’effectuer de façon simple, en préférant par exemple écrire si l’on veut louer la beauté d’une femme : « elle est jolie, et même magnifique » plutôt que l’inverse ; mais aussi de manière plus complexe en faisant évoluer la psychologie d’un personnage ou en passant d’un registre à un autre (de la sérénité à l’angoisse, de la normalité au fantastique, de l’amitié à l’amour, etc.). Il est parfois utile d’user d’un style relativement neutre pour que dans la phrase d’après rejaillisse la force d’une métaphore ou le tranchant, l’originalité d’une réplique :
« Auriez-vous une cigarette ?
— Allez vous faire voir ! Excusez-moi, je suis sans filtre… »
La cocasserie ici réside dans l’emploi du mot filtre, qui fait double sens. On a déjà vu qu’un vocable pouvait rabaisser une phrase, quand un autre l’élève. Pour reprendre un terme d’imprimeur, il faut piocher dans la casse pour sélectionner, quasiment à la lettre près, le mot qui rehaussera le discours en temps voulu. Il s’agit plus de se montrer pertinent que pointilleux dès lors qu’on aspire à modifier un contenu en vue de le valoriser. Être concis exige du discernement, le talent va de pair avec le choix que l’on peut s’offrir selon l’étendue du vocabulaire qu’on possède ; les dictionnaires nous laissent rarement en détresse, aussi faut-il les compulser à l’envi.
Relecture au rabot
Mais c’est aussi en retranchant que la concision naît, comme le montre ce passage d’un auteur « qui passe pour bien écrire » retravaillé par Albalat :
« Son vieil ami le docteur, lui conseilla un air plus doux, un climat plus chaud, un ciel plus pur, une lumière plus tiède, un séjour plus calmant. L’hiver est rigoureux, âpre, très rude sur les côtes de Bretagne, le long de ces falaises abruptes, dans ce froid pays du nord. Ce serait si bon, si reposant, si réconfortant, un rayon de soleil méridional ! Mais le docteur en parle à son aise !… Son malade est un prêtre, un serviteur de l’autel, astreint à un service pieux, qui ne peut quitter son poste, déserter son devoir, abandonner le foyer de Dieu où ses ouailles viennent se grouper, se réunir et se réchauffer. »
Ces mêmes lignes passées au rabot :
« Son vieil ami le docteur lui conseilla un air plus doux. L’hiver est rigoureux sur les côtes de Bretagne, dans ce froid pays du Nord. Ce serait si bon, un rayon de soleil méridional ! Mais le docteur en parle à son aise ! Son malade est un prêtre, qui ne peut quitter son poste. »
Réduit de moitié, le texte demeure parfaitement intelligible et gagne en fluidité. Le style de cet auteur, qui donnait l’impression de dégouliner de redondances, est à présent sec. Si l’on observe de près, on constate que dans la seconde version aucune information indispensable ne manque à l’appel, signe d’une incapacité à cristalliser sa pensée dans la première, ce qui condamne un style.
Répétition : comment ne pas bégayer sa littérature
Ne pas répéter ! Sur quelle longueur ?
« Certains auteurs, comme Chateaubriand et Flaubert, ont pourchassé les répétitions jusqu’à ne pas les tolérer dans la même page. La limite de cette exigence est affaire de goût, mais il vaut mieux pécher par sévérité. »
Certes, un roman exsangue ne présentera pas un grand attrait, pas plus que son opposé où les veines du discours son gorgées d’encre au point qu’elles paraissent prêtes à éclater. Il faut, dans un texte, savoir pratiquer des saignées tout en évitant l’hémorragie. Chateaubriand et Flaubert, que leur style plaise ou non, sont tout sauf des auteurs arides, et on leur reconnaîtra volontiers cette capacité à ne pas bégayer leur littérature. Sans verser dans ce dégoût obsessionnel qu’ils possédaient de la répétition, bien qu’il soit bon de s’en inspirer, on peut en tout cas tâcher d’éviter certaines redites dont Albalat dit que ce sont « des négligences impardonnables. ». Par exemple, dans cette phrase de Philarète Chasles peignant le portrait d’un auteur :
« Faisant le tour de tout, s’y incarnant un moment pour tout détruire, naturellement faux, insincère, cancanier, amoureux du petit, capable de transformer pour pénétrer tout, incapable de rien saisir au cœur, d’atteindre le centre et l’essence de quoi que ce soit ; fin jusqu’à la supercherie ; atteignant une solidité apparente… »
En lui-même, ce passage est bien tourné, mais la succession des trois « tout » et la réutilisation du verbe atteindre à une quinzaine de mots d’intervalle gâchent un peu, voire beaucoup selon le degré de tolérance de chacun, l’ensemble. Ce n’est pas pour autant que Philarète Chasles est un mauvais écrivain, Albalat aurait plutôt tendance à en dire du bien. Mais dans ce cas précis, c’est avant tout quelqu’un qui s’est révélé inattentif. On peut imaginer toutes les raisons responsables de son erreur, soit qu’il ait été fatigué ou contraint d’abandonner sa table de travail, perturbant sa concentration, ou bien qu’il ait été préoccupé pour diverses raisons, mais quoi qu’il en soit, il a à un moment estimé à tort que son écriture présentait tous les gages de qualité et, considérant la chose comme acquise, est passé à un autre paragraphe.
Des répétitions excusables
C’est ainsi qu’on peut se faire piéger, en ayant la certitude qu’un passage que l’on pense avoir suffisamment lu, voire trop, est pétrifié dans une sorte de perfection, aussi on n’y revient plus. Bien sûr, on ne peut indéfiniment se relire. Pourtant, c’est maladif chez certains qui, à défaut de procéder à de bonnes révisions de leur texte, s’acharnent jusqu’à ce que les yeux leur brûlent, pensant trouver dans un décorticage obstiné mais sans méthode l’arme absolue contre les répétitions. Or, on peut passer quinze ou trente fois sur la même ligne sans voir la phrase dans son ensemble, sans en avoir une pleine compréhension — et pourtant on en est l’auteur — car on croule sous une avalanche de mots qui finissent par perdre de leur signification.
« Il y a aussi des répétitions excusables. Plutôt que de changer le sens d’une phrase, plutôt que d’y introduire un mot faible, ou d’atténuer un passage, il faut maintenir les répétitions, lorsqu’elles sont exactes, nettes, lumineuses, et qu’elles ne peuvent être remplacées que par des expressions plus faibles. »
Comme pour beaucoup de choses, il faut un juste milieu, et agir avec recul. Celui qui, épuisé par sa journée de labeur, se lancera dans une relecture de son texte qu’il souhaitera définitive s’exposera très probablement à des déconvenues. De même, l’auteur qui pratiquera des relectures successives sans prendre le soin de laisser reposer sa prose, et par la même sans permettre à son esprit critique de se régénérer, ne verra sans doute pas ses efforts récompensés à leur juste valeur. Un autre qui se contentera d’un mot banal aura plus de risques de le voir réapparaître car il est d’un accès facile et reviendra plus aisément, presque mécaniquement, dans ses pensées. Il y a des mots qu’il est compliqué de ne pas réemployer quand on traite d’un sujet précis : je ne pourrais pas faire ici l’économie des termes « lecture (ou relecture) », « auteur », « mot », etc., car ils sont le cœur même de mon discours. Une fois épuisés les synonymes, on veillera à ne pas leur substituer des vocables approchants qui auront tôt fait de tourner son propos au ridicule. On l’a vu dans sa cinquième leçon, quand Albalat décide de parler du style, c’est un terme dont il use aussi souvent que nécessaire.
Auxiliaires de justesse
« Parmi les répétitions qu’on se permet couramment et qui nuisent au style, signalons l’emploi épidémique des auxiliaires avoir et être. […] les auxiliaires doublés d’un participe sont des mots commodes tout trouvés pour remplacer les verbes propres… »
L’arbre était criblé de rayons. Pour : les rayons criblaient l’arbre…
L’horizon était voilé de vapeurs. Pour : l’horizon se voilait de vapeurs, ou mieux : des vapeurs voilaient l’horizon…
Elle n’avait plus le sentiment de sa dignité Pour : elle perdait le sentiment de sa dignité.
Le procédé paraît simple quand Albalat l’expose, mais on a inconsciemment tendance à se satisfaire de ces attelages qui tombent avec naturel sous la plume. Comme il le dit, ce sont des mots commodes, et l’on doit veiller à employer ces auxiliaires avec le plus de justesse possible, pour ne pas dire parcimonie. Il ne s’agit pas de les rejeter en bloc, mais force est de reconnaître qu’en faisant travailler ses méninges, on parvient sans trop de peine à en réduire le nombre. On y verra une similitude, bien qu’étant maniés différemment et n’occupant pas la même fonction au sein de la phrase, avec les épithètes et les adverbes.
Mais où et donc Honni car ?
« Il faut aussi proscrire de son style ce que j’appellerais les parasites, ces conjonctions dont on abuse pour amener les transitions de phrases, comme : en effet, certes, du reste, car, sûrement, etc. […] Les phrases doivent se lier non pas par des amorces factices, mais par la logique de l’idée, par la force de la pensée. […] Il y a des cas, bien entendu, où ces conjonctions sont indispensables et font le meilleur effet ; c’est seulement contre l’abus que nous protestons. »
Le poison est dans l’excès, on l’a vu, aussi peut-on donner raison à Albalat quand il pointe du doigt l’emploi excessif des conjonctions et dans le même temps considérer avec lui que certaines fois, elles proposent des articulations sans lesquelles on n’aurait aucun recours pour unir notre pensée. Il convient donc de trancher quant à leur bon usage et à la façon dont les mots doivent s’emboîter sans heurts ; Albalat ne dit rien de précis à ce sujet, il préfère montrer là où, dans ce domaine, se situe selon lui l’excellence, à travers une phrase de Montesquieu :
« Les vices d’Alexandre étaient extrêmes comme ses vertus : il était terrible dans sa colère ; elle le rendait cruel. Il fit couper les pieds, le nez et les oreilles à Callisthène, ordonna qu’on le mît dans une cage de fer et le fit porter ainsi à la suite de l’armée. »
Tout coulisse à merveille, les jointures ne grincent pas. On tiendrait donc la phrase parfaite… à l’exception, peut-être, de la répétition étaient/était, qu’Albalat ne relève pas. Mais comme ce dernier l’exprime : « Les bonnes phrases n’ont pas besoin d’être boulonnées ; elles font bloc. Le véritable écrivain les plante droites. Une fois debout, elles ne remuent plus. » Celle de Montesquieu semble remplir le cahier des charges.
Pour conclure, ces vers de Boileau cités par Albalat disent beaucoup en peu de mots :
« Tout ce qu’on dit de trop est fade et rebutant ;
L’esprit rassasié le rejette à l’instant. »
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