Comment écrire un livre quand on est un auteur pressé ? Faire l’impasse sur la formation, au motif que « c’est trop long » conduit souvent à des culs-de-sac littéraires. Ceux qui font l’effort de les suivre ces formations sont eux aussi soumis à la tentation de couper court. Si la vitesse ne rime pas avec efficacité, d’autres tentations sont de nature à tourmenter bien des auteurs en devenir comme l’idolâtrie ou encore l’insatisfaction chronique. Dans cet article, Frédéric Barbas, partage ses expériences de correcteur d’édition et d’accompagnement d’auteur, avec humour et tendresse.
Cet article est la suite de celui-ci
Poursuivons l’exploration des différentes facettes de celles et ceux qui un jour ou l’autre garniront peut-être les rayons des librairies. Ils ont plus de doutes que de défauts, se demandent si dix kilos d’adverbes sont plus lourds que dix kilos d’adjectifs, sont en apnée quand un de leurs lecteurs ne leur a pas confirmé que le troisième paragraphe de l’introduction prenait sa véritable dimension à la fin du deuxième chapitre…
Tout le monde tirera profit de ce qui ne lui est pas encore arrivé, ou de se souvenir ce qui un temps l’a empêché d’exploiter son talent.
Bref, (re)découvrons qui nous avons été et ce que les autres sont afin de comprendre quel écrivain nous sommes ou allons devenir !
Vite fait…
Le lièvre et la torture
Je vais parler du stagiaire (l’auteur en formation) voulant filer comme un lièvre vers la conclusion d’une nouvelle dont chaque halte le séparant de la fin est une torture. Des personnes extérieures à l’acte d’écrire se moqueront volontiers de ces trépignements d’auteur, sans comprendre que le futur d’un texte est le fruit d’attentes passées qui trouveront – enfin – leur raison d’être une fois la ligne d’arrivée franchie. Nous qui écrivons sommes tendus vers cet unique but sitôt les premiers mots alignés. Plus que de simples phrases, ce sont autant de promesses qu’on se fait à soi-même, celles qui nous motivent pour raconter une histoire de la meilleure des façons.
Prendre le temps de découvrir son écriture dans le regard de l’autre
Vouloir finir avant d’avoir commencé traduit l’impatience légitime de qui, l’acquisition des ficelles du métier aidant, réussit à donner un sens nouveau à son écriture. Ce qui n’était qu’un loisir à un stade quasi larvaire devient par une approche professionnelle le prolongement structuré de sa pensée. Dès lors, le désir d’écrire ne correspond plus seulement à l’envie de coucher des idées sur le papier mais aussi à celui de voir si elles plairont une fois mises en forme. Et de savoir au plus vite à travers elles si ce qui sommeillait en nous éveillera quelque chose chez l’autre. Et quoi.
Ne vous précipitez pas, personne ne vous attend
Il est rare qu’écrire soit une fin en soi, comme il est rare de marcher sans destination. On veut tous aller le plus rapidement possible, quitte à brûler des étapes. Quitte à oublier où on voulait aller et à qui l’on souhaitait s’adresser. C’est en forçant le pas qu’on trébuche et en trouvant un bon rythme qu’on progresse. Ce siècle réclame qu’on soit pressé, pas hâtif, ou alors selon le précepte de Boileau qui donna sûrement aux écrivains l’un des meilleurs conseils qui soient. En les incitant à se hâter lentement, il les protège de bien des efforts inutiles. C’est en se forgeant une carapace de tranquillité qu’on est certain d’atteindre son objectif, monsieur de La Fontaine l’avait aussi bien saisi !
Il n’y en a pas Dieu comme lui
Cet Auteur et pas un autre
J’ai connu des stagiaires qui ne juraient que par un romancier. Le phare éclairant leur nuit littéraire, le mètre étalon seul capable de mesurer la grandeur de leur pensée, leur Dieu pour ainsi dire. Il n’y avait rien au-dessus, et certainement pas moi. Passant sous cette redoutable toise, la portée du moindre de mes conseils rapetissait inexorablement. Que faire ? Un amoureux éconduit ne trouve jamais une oreille attentive quand il tente de dénigrer le parfait amant qu’est son rival. Lorsqu’un apprenant n’a qu’un écrivain à la bouche, on comprend vite que l’assez cité rend aveugle.
J’admire, donc je suis
On a parfois du mal à comprendre l’admiration d’une personne pour un écrivain qui ne nous touche nullement. Mais le goût de chacun est d’autant plus respectable qu’il ne correspond pas au nôtre. Un auteur débutant qui vient vers vous en brandissant le nom d’un auteur confirmé s’en sert autant d’arme que de bouclier. C’est souvent ce qui lui a permis de se jeter dans la mêlée, d’affronter sa peur des coups qu’il redoutait d’encaisser. S’être reconnu chez un autre ne signifie pas qu’on est incapable d’acquérir son indépendance littéraire. À condition toutefois que de moteur l’écrivain encensé ne devienne pas un frein.
On ne connaît que ce que l’on préfère, et inversement
Il faut donc se méfier du caractère exclusif de la « relation » qu’on peut entretenir vis-à-vis d’un écrivain. Poussée à l’extrême, elle empêche de s’ouvrir à ceux étant en capacité d’enrichir notre écriture. Il est normal de ressentir un profond attachement pour l’œuvre d’un romancier, jusqu’à idéaliser sa personne. Celui à qui on a décidé de décerner le titre honorifique d’écrivain préféré ne saurait être égalé en rien par des scribouillards auxquels on ne daigne pas accorder un seul regard. Et en l’occurrence, une seule lecture. À voir : aduler, c’est bien, comparer, c’est mieux.
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira… ou pas
Le Che Guevara de la littérature
Il est clair qu’il a envie de parfaire son écriture, mais rien de ce qui lui est proposé ne lui convient tout à fait. Il arrive que la méthode de travail le barbe. Les retours sur ses textes le laissent insatisfait, voire l’insupportent. Il va vous apprendre votre métier en deux coups de plume à encrier, si ça continue. « Il » ? Le stagiaire qui a entrepris de révolutionner la littérature, rien de moins. Si j’écris ceci avec une légère pointe d’ironie, il s’y mêle un soupçon de tendresse par égard pour ces personnes dont la sincérité n’est pas à mettre en cause dans leur volonté d’apporter quelque chose de neuf à notre art.
Je veux être Pérec, sinon rien
Ils voient loin, ces Che Guevara de la littérature, et s’agacent parfois de ce que la langue française se révèle insuffisante à leurs yeux pour exprimer tout ce qu’ils ont à dire et surtout pour l’écrire différemment. Car c’est là leur credo : ne pas être comme tout le monde. Ils attendent qu’on leur fournisse les outils non pas pour façonner leur style, mais pour en inventer un. La littérarité n’est pas forcément leur objectif, pourvu qu’ils parviennent à écrire du jamais lu. Se rêvant d’être le nouveau Pérec, c’est hélas la plupart du temps leurs illusions qui finissent par faire l’objet d’une disparition…
Des difficultés plurielles d’être singulier
Quand on emprunte la voie littéraire en ambitionnant d’en redéfinir tous les contours, on se heurte rapidement à la réalité de ce qui a déjà été écrit et qui couvre tous les genres, tous les thèmes, tous les styles. Tout. On ne peut vivre éternellement à l’ombre de cette chimère qui voudrait qu’en littérature il reste quelque chose à créer de toutes pièces. Du moins, pas sans pâtir du côté inhibant que cette idée recèle. Bien sûr, il est au départ enthousiasmant d’imaginer que ce qui jaillira de notre esprit fera date dans l’Histoire des livres par son originalité inégalée. Mais la singularité affranchie de toutes les règles n’existe pas, ou alors, on m’aurait menti…