(Il n’y a pas de mais qui tienne !) – 1ère partie de l’article
Pourquoi écrire ? Cette question a été posée des millions de fois aux écrivains par des journalistes. Les auteurs en herbe s’en sont servi pour examiner leurs doutes en se demandant si cela valait vraiment la peine de s’y mettre. À croire que l’écriture est un graal qui ne se laisse pas facilement approcher des néophytes.
Dans certains arts martiaux, on dit que pour maîtriser un geste, il faut l’avoir accompli mille fois à la perfection. Est-ce qu’en posant mille fois la même question on finit par obtenir une réponse parfaite, ou bien celles apportées au fameux Pourquoi écrire ? sont-elles trop souvent suivies d’un oui, mais pour être satisfaisantes ?
L’écriture ne répond plus
Pourquoi écrire : connaître la question sur le bout des ongles
S’il est un acte dont la finalité se pare de contours incertains au point de confiner au mystère, celui d’écrire se pose là. C’est un geste mental dont nul ne peut se targuer de saisir chaque articulation. On ne cesse d’avancer des explications pour le cerner sans gagner un pouce de terrain, à peine un ongle, les meilleurs jours. Et encore est-il aussitôt rogné jusqu’à la lunule par un autre éclairage venant le mettre en brèche, un oui, mais. C’est qu’on a beau cogiter sur le sujet, écouter les experts s’éreinter dans des flots de supputations, les raisons d’écrire – et les conséquences de l’écriture – s’ancrent dans quelques fonds cartographiés pour mieux dériver vers des archipels inexplorés.
L’abscisse de l’écrivain, l’ordonnée du lecteur
La géométrie intellectuelle des cercles de réflexion a par exemple souvent fait pâle figure quand il s’est agi d’expliquer sur quel plan, en écrivant, on occupait l’espace des autres. Quelle part de nous s’impose au lecteur ? Et dans quelle mesure notre message est-il altéré par la personnalité de celui qui le lit ? Que motive la démarche d’un auteur délivrant un discours dont il sait qu’il échappera à son emprise une fois figé sur la page ? Une force le prédestine-t-elle à ce saut dans le vide qu’est de laisser son texte à la merci de critiques acérées que faute d’y pouvoir répondre il ne peut émousser ? Est-ce une trop grande confiance en soi ou en la capacité de compréhension d’autrui qui l’incite à franchir ce pas ? Qui le pousse à confier à des inconnus le fruit de ses observations au risque qu’ils y introduisent le plus pinailleur des vers ?
Pourquoi écrire, pourquoi j’écris
Ce Pourquoi écrire ? a donc fait l’objet d’articles, de thèses, d’études, de romans, d’essais, de colloques, etc., sans que rien de définitif ne mette d’accord les contributeurs à ce débat – autant de points de vue que d’écrivains ou presque ne facilitant pas un consensus. Pourtant, une approche qu’on pourrait identifier comme une méthode de recherche acceptable est assez répandue. Partant de l’interrogation Pourquoi écrire ? complexe tant par sa nature qu’en raison de ses innombrables ramifications, la tentative est fréquente, dans l’espoir de la simplifier, de la ramener à une échelle plus modeste : le Pourquoi j’écris. Ce n’est pas la première fois qu’on essaie de discerner les composantes d’une généralité en parlant de soi, comme on le ferait des essences d’un parfum en se référant à sa propre odeur. Est-ce une façon pertinente de procéder ? Je pense en tout cas qu’elle représente un moyen de progresser dans sa propre écriture.
Les pièces manquantes de l’écriture
Le passe-temps et le temps qui passe
Interroger les raisons pour lesquelles on est prêt à consacrer des heures penché sur un texte quand on pourrait se la couler douce aide à comprendre pourquoi l’écriture est constitutive de qui nous sommes. C’est, une fois établi qu’elle échappe à la superficialité d’une tocade, lui donner toute son importance dans notre vie et en appréhender les bénéfices comme les efforts qu’elle réclame. Si écrire ne consistait qu’en une activité destinée à tromper l’ennui, elle serait facilement remplaçable par une autre. D’autant plus que nombre de passe-temps fort distrayants n’exigent pas, loin s’en faut, l’investissement permanent requis par l’écriture année après année.
Le puzzle et la nouvelle
Ainsi, beaucoup préféreront nettement s’attaquer à un puzzle de 10 000 pièces qu’à une nouvelle de 10 000 signes, croyez-moi ! Avec, j’en ai bien peur, une garantie de résultat proche de zéro dans le second cas. Ceci considéré, porter son choix sur le puzzle au lieu de s’aventurer dans la rédaction d’une nouvelle paraît plus approprié à qui veut se désencombrer l’esprit plutôt que d’y faire des nœuds. Tout ne s’assemble en effet pas toujours comme on le souhaiterait, dans un texte ; c’est pourquoi il nous arrive d’y renoncer et d’en commencer un autre en espérant voir notre persévérance récompensée. Sans plus d’assurance d’aboutir que précédemment, je ne vous apprends rien. Oui, vraiment, pourquoi écrire…
Une âme comblée
Hors, on se rend assez vite compte du vide que laissent les périodes nous tenant trop longtemps éloigné d’un carnet ou d’un clavier. Du manque engendré par l’absence prolongée d’un effort créatif – à plus forte raison quand il est couronné de succès. Du moins les personnes étant attachées viscéralement à l’écriture s’en aperçoivent-elles. Les autres, pour qui cela revient au même de finir de noircir une page que de poser la dernière pièce permettant de reconstituer le motif d’un puzzle ne ressentiront aucunement ce creux à l’âme, ou sera-t-il vite comblé par une autre distraction.
Ne mettons pas les céphaloclastophiles en pièces
N’allez surtout pas penser que mes propos dissimulent à grand peine une haine larvée envers les céphaloclastophiles, non. Ni que le fait de n’être jamais moi-même parvenu à terminer un puzzle de 100 pièces oriente négativement mon discours, pas du tout. Simplement, pour redevenir sérieux, on ne saurait raisonnablement placer sur le même plan un loisir et une raison de vivre. Ce qui semblerait concilier les deux, dans le domaine qui nous occupe, est bien entendu la lecture.
La lecture mieux vue que l’écriture ?
Lire le réel
La question de l’utilité de la lecture ne se pose pour ainsi dire jamais avec la même acuité – pour ne pas dire le même soupçon – que la nécessité qu’on a d’écrire. S’il peut subsister chez certains des réserves, voire des réticences quant à l’intérêt de dévorer des romans, cela demeure tout de même au minimum un loisir fédérateur à travers le monde. Il est bien rare désormais qu’une personne passant son temps plongée dans les livres soit considérée comme totalement déconnectée de la réalité, ou pire, supposée n’être bonne à rien d’autre qu’à imaginer sa vie à travers celles d’êtres de papier au détriment de toute implication dans la société. Si lire a été un temps considéré comme une absence d’investissement dans le réel, écrire traduirait pour certains la volonté de le déconstruire, alors, s’il vous plaît, pourquoi écrire ?
Restons amis, ne me lis pas
La réponse au Pourquoi lire ? semblant désormais ne plus se poser, ou si peu, comment se fait-il que ce qui en découle somme toute naturellement, l’envie d’écrire, ne soit pas perçue comme allant de soi ? Il semblerait que dans l’esprit de bon nombre de gens, là où devrait se situer un prolongement s’est installé un hiatus : lire, bien sûr, écrire, pourquoi faire ? Encore et toujours. Par ailleurs, on demande plus souvent à ses amis ce qu’ils sont en train de lire que ce qu’ils sont en train d’écrire, lire étant censé relever du partage quand écrire serait de l’ordre de l’intime. J’y vois une explication connexe, plus pragmatique peut-être : parler d’un auteur est moins susceptible, c’est le mot, d’entraîner une vexation que de juger une personne de notre entourage à travers ses écrits. D’un écrivain dont on n’a pas aimé le bouquin, on ne se gênera pas pour affirmer qu’on le trouve mauvais. D’un ami, si on veut qu’il le reste…
On aime tous les compliments de son petit tamis
À propos, pense-t-on à ses amis, quand on écrit ? À sa famille ? Je veux dire, autrement que comme à une source de compliments… Car avouons-le : un écrivain qui n’espère pas de félicitations est aussi rare qu’un orpailleur ne rêvant pas de pépites. Mais si tamiser les alluvions de notre esprit afin d’en extraire la pensée la plus éclatante pour ensuite l’exposer fièrement au regard nous rapproche d’un chercheur d’or, est-ce notre moteur à tous ? Non, bien sûr, seulement un des nombreux carburants qui l’alimentent. Quels sont les autres ?
Je tâcherai de répondre à cela dans la suite de cet article, la semaine prochaine. Ainsi qu’au corollaire de la question Pourquoi écrire, à peine effleuré ici : quel profit tirer de la compréhension de notre désir d’écrire. Si jamais vous vous demandiez pourquoi me lire…
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