On le sait, le métier d’écrivain exige bien plus qu’avoir de l’imagination ou la faculté de formuler quelques jolies phrases au fil de la plume. Des mots tels que travail, rigueur, apprentissage font entre autres partie d’un vaste bagage contenant techniques et expérience, cisèlement de l’expression aussi bien que maîtrise narrative. Il existe également des notions tenant plus de l’impalpable qui président à l’acte d’écrire et, parmi celles-ci, l’état d’esprit dont il faudrait être doté afin de parfaire son art au-delà d’un talent naturel fantasmé…
L’esprit dans tous ses états
Le récit au pas de gymnastique
Il s’effectue bien des connexions dans le cerveau de quelqu’un se mettant à sa table de travail dans l’intention d’écrire une histoire. Par exemple quand il se consacre à la construction d’un récit : que celui-ci en soit à un stade avancée ou encore à inventer, il faut constamment le peaufiner ou l’organiser. Sa structure nécessite des ajustements s’inscrivant dans une réflexion d’ensemble, pas dans une tâche qu’on effectuerait indépendamment du reste. Considérer les choses de la sorte demande une réelle gymnastique tant intellectuelle qu’émotionnelle : un état d’esprit, somme toute.
L’enthousiasme entravé
Certains ne songent pas que l’écriture se découpe ainsi en plusieurs étapes dont quelques-unes peuvent retarder le plaisir que l’on recherche initialement. Envisager le métier d’écrivain sous le seul aspect de la satisfaction qu’il peut nous apporter n’est à mon sens pas le bon état d’esprit à avoir. Un auteur impréparé aux obstacles aura toutes les peines du monde à les franchir, car au lieu d’y trouver des défis stimulants, il y verra une entrave à ce qu’il pensait être l’irrésistible enthousiasme de son talent.
Choix et parasites
De même, lorsqu’il se documente sur un sujet, un écrivain trouve toujours des informations annexes qu’il juge intéressantes. Mais si l’on s’écoutait, on cèderait souvent à l’envie de greffer à notre intrigue de départ des données certes passionnantes mais n’ayant que peu ou pas de rapport avec ce que nous avions prévu de traiter. Ce sont la plupart du temps davantage des idées parasites que des valeurs ajoutées : les choix sont aussi des compétences littéraires dans leur apport à un roman ou une nouvelle. C’est une réalité qu’on doit avoir en tête pour ne pas s’égarer dans d’inutiles dilutions. Un état d’esprit, là encore.
L’état d’écrire
Écrire ne suffit pas
Parce que l’écriture s’apparente parfois au festin de l’ego, certains auteurs imaginent que ceux n’exerçant pas un métier de plume sont réduits à nourrir leur intellect d’une maigre pitance. Un tel état d’esprit participe de l’appauvrissement littéraire lié à la croyance qu’écrire est une marque d’intelligence, alors que c’est ce qu’on écrit qui l’est – dans le meilleur des cas, s’entend. Un distinguo qui, lorsqu’on l’opère, disqualifie la vacuité du paraître au profit de l’émergence d’une pensée finement élaborée. Qu’on écrive ou pas, d’ailleurs.
Cette vérité séduisante
La séduction intellectuelle intègre naturellement l’état d’esprit d’un écrivain pour qui plaire est une valorisation de son travail. Le charme de l’écriture produit son effet par la qualité des idées mises en avant et le brio avec lequel elles sont exposées. Pour se faire charmeur on est souvent flatteur, mais la séduction intellectuelle gagne à s’appuyer sur l’honnêteté plutôt que de recourir à la flagornerie. Nos opinions ne sont jamais aussi bien défendues que lorsqu’elles résonnent des accents de la vérité. Construire notre discours en vue de subjuguer le lecteur ne nécessite donc pas de lui mentir ni de se renier. Le mensonge d’un écrivain doit servir son histoire, pas travestir son point de vue.
La raison d’être de l’état d’esprit
La curiosité de ce qu’on invente
Les quelques points évoqués jusqu’ici ne constituent qu’une infime partie des savoir-faire – et du savoir-être – mobilisés par l’écriture. Cette dernière réclame par ailleurs qu’on l’aborde avec la curiosité de ce qu’on va soi-même inventer pour mieux découvrir qui l’on est. Peut-être n’écrit-on jamais sa propre histoire, mais écrire raconte probablement quelque chose de la nôtre. C’est pourquoi on doit s’attendre à éprouver des changements au plus profond de soi en même temps que notre approche de l’écriture évolue.
Le vernis des non-dits
On trouvera sans doute audacieux ce que je vais à présent affirmer : celui que l’écriture ne transforme pas n’est pas un écrivain. Un raconteur d’histoires, tout au plus ; mais pas quelqu’un dont l’écriture change l’état d’esprit et dont l’état d’esprit modifie l’écriture. S’il ne se produit aucune interaction, si l’on conserve une distance avec ses écrits de peur d’égratigner le vernis de nos non-dits, alors il y a peu de chances que notre inconscient soit sollicité de façon à révéler la personnalité s’exprimant à travers les mots.
L’origami de la pensée
Ce n’est pas s’exhiber sans pudeur que de murmurer, derrière le voile des phrases, à quoi nous ressemblons. Nos traits n’en seront à la fois ni parfaitement discernables, ni dépourvus de contours distincts. Le visage littéraire d’un écrivain est un mystérieux origami dont chaque paragraphe est une pliure. Le détail prête à l’analyse, le tout échappe à la certitude. Si écrire est un état d’esprit, c’est dans l’incessant pliage de nos pensées qu’il se développe et dans la recherche du motif de notre existence qu’il trouve sa raison d’être.
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