Enrichir son vocabulaire, certes ; mais que faire de l’écriture (très) littéraire ? Bien écrire, c’est respecter son lecteur. Mais entre une écriture n’offrant que le strict nécessaire au détriment de la richesse stylistique et une prose littéraire jusqu’à l’excès – dans le sens où les mots qui la nourrissent semblent plus destinés à épater qu’à raconter –, comment parvenir à un équilibre ? Et quel bénéfice tirer d’un texte dont l’accès ne nous est pas aisé ? D’ailleurs, pourquoi sommes-nous hermétiques à certaines écritures ? Par ailleurs, quel intérêt a-t-on à utiliser des mots plus rares que d’autres ? Il semblerait bien que la littérature ait notamment été inventée pour qu’on se pose un tas de questions comme celles-ci…
Comment se préparer à lire
Le miroir cérébral
Si l’on passe un instant de l’autre côté du miroir, une question se pose : est-il souhaitable pour un auteur d’aborder l’écriture très littéraire en tant que lecteur ambitionnant de s’y frotter un jour, ou est-ce un domaine réservé de toute façon à une élite intellectuelle ? De prime abord, cette interrogation pourrait sembler saugrenue : quand on sait lire, on peut tout lire, n’est-ce pas ? Donc, tout écrire ? Côté lecture, il est raisonnable de penser qu’il suffit de consacrer les habituels efforts nécessaires à l’appréhension d’un texte, et avec un peu de bonne volonté, le tour est joué. Pourtant, l’investissement cérébral que l’on consacre d’ordinaire à des livres relativement accessibles ne suffit pas toujours à apprivoiser des textes au contenu plus soutenu. Alors tout lire, oui, mais tout comprendre, c’est autre chose, sans que bien souvent l’intelligence ait grand-chose à y voir.
Les trous noirs du système scolaire
Être un minimum préparé avant d’aborder une œuvre assez exigeante me paraît aller de soi, comme il convient de l’être avant de se lancer dans tout ce qui représente un défi. Car c’en est un, du moins pour beaucoup avons-nous été conditionnés afin que ça le soit. Combien d’entre nous ont en effet été durablement rebutés par d’excellents auteurs découverts dans le cadre scolaire au seul prétexte qu’ils étaient au programme ? Sans parler de ceux ayant été dégoûtés de la lecture à vie suite à des réflexions désobligeantes par rapport à leur incapacité du moment à s’approprier un texte ? Des reproches, voire des moqueries ayant entraîné une telle dégradation de leur propre image que ce qui l’a causée a plus tard consisté en un frein mental. Après tout, qui, de gaieté de cœur, souhaiterait refaire un pas vers ce qui a entraîné chez lui un sentiment de dévalorisation ? Qui aimerait retrouver le trou noir que le système scolaire a créé pour engloutir son envie de lire ?
Les jarrets complexés
Même en ayant eu la chance de croiser la route d’enseignants permettant l’ascension progressive jusqu’au pinacle sur lequel ils plaçaient la littérature, l’obstacle peut s’avérer compliqué à surmonter. L’obstacle ? Oui, certains textes le sont tant leur caractère érudit révèle nos lacunes. Pour effacer cet écueil, il ne faut pas s’élancer les jarrets cérébraux paralysés de complexes : l’auteur ne nous jugera pas si l’on renonce à le lire, provisoirement ou pas. Nous serons seuls dans le secret de notre bureau ou de notre salon à admettre que pour ce coup-ci, la marche était trop haute. Et alors ? Ça ne signe pas notre capitulation, loin s’en faut. Mais pour accepter un échec en vue d’en triompher plus tard, il convient d’en analyser les raisons.
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L’écriture, cette forteresse
Les gouffres et les douleurs, ça ne se discute pas
J’ai eu l’occasion à de nombreuses reprises d’employer l’image suivante pour évoquer la façon dont les problèmes se posent à nous en littérature (et qui vaut sur un plan général) et quelles réponses on peut y apporter : il n’y a pas de forteresse imprenable, il n’y a que des forteresses mal attaquées. C’est pour l’essentiel une question de moyens mis en œuvre. Je pense qu’il ne viendrait à personne l’idée d’employer un lance-pierre plutôt qu’une catapulte pour assiéger un château fort. Quand on s’estime insuffisamment armé, mieux vaut reporter le combat plutôt que d’éprouver inutilement la douleur de la défaite. On trouve évident l’existence d’ouvrages de vulgarisation scientifique pour la bonne raison qu’on ne peut saisir les subtilités de domaines très pointus qu’après en avoir intégré les bases. En clair, il existe autant de gouffres que de ponts pour les franchir.
Lecture, littérature, et tout le barda
Quand un auteur choisit de traiter un sujet qui l’intéresse mais dont il ne maîtrise pas parfaitement les grandes lignes, il se documente un minimum avant qu’un lecteur mieux informé ne s’empresse de lui tirer les oreilles pour cause d’amateurisme coupable. Suivant cette logique, il me paraîtrait normal qu’un lecteur tenté de se tourner vers une littérature d’approche plus ardue que celle à laquelle il s’intéresse d’ordinaire se dote du fourniment indispensable pour mener un tel assaut. Qu’il soit couronné de succès pourrait pour ainsi dire avoir une valeur thérapeutique au regard d’anciens blocages évoqués plus avant. Vous l’avez, le tel assaut thérapie ? Passons.
Pourquoi faire compliqué quand on peut faire très compliqué ?
Je pars du principe qu’on s’attaque à un auteur dont la satisfaction première n’est pas d’être incompris – oui, il y en a qui le font exprès. Ceux truffant leur prose d’ekphrasis destinées à provoquer des agrypnies chez leur lecteur, ce dernier ne sachant plus comment s’extirper de ce barathre et vouant en pleine nuit aux gémonies ces écrivains soucieux d’acribologie. L’occasion pour moi, au passage, de vous conseiller une fois encore la lecture du savoureux 200 drôles de mots… (1). Mais pour ce qui est d’un auteur se servant couramment de mots dont pour certains nous les découvrons à l’instant où on les lit, quel reproche pourrait-on lui adresser ? D’en savoir plus que nous ? Et à nous-même, que devrions-nous nous dire ? Que nous manquons de vocabulaire ? Ni l’un ni l’autre : je le redis, là où il y a gouffre, il y a pont. Nous verrons dans la suite de cet article comment en empruntant le second on peut vaincre la peur du vide lexical provoquée par le premier…
- 200 drôles de mots à ressusciter pour vaincre la morosité, Jean-Christophe Tomasi, François Rollin, Éditions Le Robert.