Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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Comment forme-t-on un écrivain ? Concilier apprentissage, invention et affirmation de soi – volet 2

Sommaire

Un dossier en 3 volets

Volet 1 : Apprendre à écrire pour être lu
Volet 2 : La formation : Concilier apprentissage, invention et affirmation de soi
Volet 3 : La formule de L’esprit livre : De la formation à l’élaboration d’une plateforme d’e-learning

Le modèle d’apprentissage en question

Nous avons tous en mémoire le modèle d’apprentissage scolaire : d’abord la théorie ensuite la pratique. Ce modèle éducatif est inopérant pour les écrivains. On ne peut pas fondre son esprit dans des moules culturels, ce serait la meilleure manière d’étouffer sa propre personnalité. De plus, il n’existe pas un modèle préétabli idéal qui permettrait de rédiger un bestseller à tous les coups.

L’écriture s’apprend selon la formule du tâtonnement expérimental de Freinet. Cet instituteur apprenait la langue française en faisant réaliser des journaux scolaires à ses élèves. Ceux-ci-bénéficiaient de leur liberté d’expression et s’impliquaient dans l’organisation, la fabrication et même la diffusion. Le maître encourageait les essais et les erreurs, endossait le rôle de tuteur afin d’apporter la technique, le recul et une aide à la résolution pour des difficultés rencontrées. Il a transformé le contexte de la formation en l’ouvrant sur le monde extérieur et en le soulageant du poids institutionnel afin d’élargir les esprits et placer l’enfant au centre de toutes les activités de formation et en stimulant les interactions et les initiatives avec leur environnement. La formule a été non seulement efficace mais particulièrement agréable. « Ce n’est que par la libre expression que plaisir d’écrire et art d’écrire finissent par se confondre. » Célestin Freinet

Cette pédagogie humaniste fait confiance au génie humain et à la vie qui se trouve en chacun de nous. « Réhabituez-les à regarder en eux, à écouter les yeux fermés le bruissement des aiguilles de pin qu’agite le vent, le choc régulier des gouttes de pluie tombant dans la mare, cet aboiement fugitif nostalgique et même, pourquoi pas le battement de cœur sous la main attentive. Entraînez-les à s’analyser, c’est-à-dire à suivre l’écho proche ou lointain de leurs pensées et de leurs rêves. Vous exhumerez alors de vraies richesses, celles qui sont à la source même de l’émotion personnelle, exceptionnelle. »

Cette formule correspond à la pédagogie des ateliers d’écriture et instaure une autre perception de la formation : le savoir se construit en fonction d’un projet personnel dans un environnement propice. Il s’agit donc d’inverser les étapes de la formation : commencer par la pratique et se servir de la théorie par nécessité.

« Il est important de préciser la part de l’enseignant dans ce qui n’est que du tâtonnement. Le rôle de l’instituteur est de transformer cela en foisonnement organisé. Il suffit de beaucoup d’écoute et de quelques interventions au bon moment, soit pour donner un petit coup de pouce à une idée intéressante émise par un élève et qui ouvre des portes sur la compréhension du phénomène observé, soit, mais le plus rarement possible, pour proposer un changement de cap si la recherche ou la discussion s’enlisent ou partent dans une direction vraiment stérile, soit pour indiquer des pistes documentaires pour poursuivre la recherche ou valider des intuitions ; dictionnaire, livre, Internet. » Wikipédia.

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Du tâtonnement à l’atelier d’écriture

Les techniques et méthodes d’écrivain constituent un savoir éparpillé dans toute la littérature au fil des siècles et pour l’essentiel non écrites. Les rares manuels restent des objets de curiosité et les chefs d’œuvres de vastes territoires à explorer. Chaque écrivain invente une partie de ce savoir. Il n’est pas dans nos habitudes d’accepter une discipline aux contours flous, car immense. L’exhaustivité est impossible.

La formation s’attache donc à se concentrer sur les notions fondamentales tout en incitant à l’invention et à la découverte d’autres manières de procéder au fil de ses lectures. Là encore, il ne s’agit pas de se disperser sous l’effet de la curiosité mais de parvenir à se trouver en tant que créateur.

« Enseigner la littérature sera un jour, peut-être, enseigner à fabriquer du texte dans ce qu’on pourrait appeler des ateliers d’écriture. On y ecrira un texte en se demandant quel procédé employer : l’enseignement sera une production conjointe de pratique et de théorie. » Jean Ricardou

Cette démarche incitera peut-être les écrivains à écrire davantage sur leurs pratiques et à en extraire des techniques transmissibles.  A moins qu’ils s’agissent de critiques littéraires ou de pédagogues spécialisés. Finalement, comme le faisait observer Benjamin Constant : « La théorie n’est pas autre chose que la pratique réduite en règle par l’expérience, et la pratique n’est que de la théorie appliquée. »

La pédagogie de la création : libérer son esprit

Les habitudes d’écriture prises dès le plus jeune âge et dans sa vie professionnelle nous enferment dans une routine et ne sollicitent plus notre intelligence. Celle-ci peut se trouver anesthésiée par des émotions négatives qui nuisent à la réflexion : la colère, la peur, l’inhibition…  C’est un vrai travail que de se démarquer des clichés, des formules toutes faites, des convictions, d’un prêt à penser qui inonde notre esprit à tout moment.

Il faut souvent vider son esprit avant de le remplir, désapprendre en quelque sorte pour s’ouvrir à la nouveauté.

La lecture permet à la fois de se déconnecter et de se ressourcer. « Il faut lire les grand maîtres pour prendre des leçons de liberté afin de voir toutes les libertés qu’on peut se permettre. (…) La pratique des grands auteurs est libératrice. Elle incline non à les imiter mais à les suivre, suivre la leçon qu’ils donnent tous : une leçon d’audace. » Jacques Laurent. On lit pour écrire mieux, on écrit pour lire avec un regard affûté. « La lecture dissipe la sécheresse, active les facultés, déchrysalide l’intelligence et met en liberté l’imagination. » Antoine Albalat

Ce n’est qu’ensuite qu’il devient possible de disposer d’un cerveau créatif. Libérer son esprit devrait être un exercice quotidien. Ce n’est qu’à cette condition que l’on peut trouver le cheminement de sa propre pensée et de son originalité.

 « C’est une tâche ardue de transmuer la sensation en langage, écrit ou parlé, de la transmettre sans l’affadir au lecteur ou à l’auditeur. » Jack London

L’apprentissage libère le style : le rôle du critique

 « Littérairement, personne ne se connaît, personne ne se voit. Pour se connaître et pour se voir, il faut faire appel aux lumières d’autrui. Les plus grands maîtres ont éprouvé le besoin de soumettre leurs œuvres à des personnes éclairées. Il n’y a que les esprits médiocres qui sont toujours sûrs d’eux-mêmes. «  A. Albalat.

Rappelons que le style est aussi une manière de se servir de la technique. Etonnamment, la plupart des écrivains ne connaissent ni la stylistique, ni la dramaturgie, ni le marketing éditorial mais les pratiquent avec une rare finesse ! S’ils ne savent pas nommer le procédé savant, ils l’utilisent d’instinct, à force de pratique et de lectures, de conseils entre pairs mais aussi d’essais et de corrections successives.

A titre d’exemple, voici le conseil que Flaubert donnait au jeune Guy De Maupassant à propos de traiter un sujet avec style : « Il s’agit de regarder ce qu’on veut exprimer assez longtemps et avec assez d’attention pour en découvrir un aspect qui n’ait été vu et dit par personne… » Qu’auriez-vous fait avec un tel conseil ? Comme vous le savez, Guy de Maupassant s’en est bien tiré. Il a eu pour professeur le plus grand styliste de la langue française… Le conseil du maître invite à la patience, la persévérance et au développement de l’acuité intellectuelle. Pas de recettes prêtes à l’emploi : il faut passer inévitablement par le prisme de l’expérience personnelle.

Ce regard extérieur est essentiel. « Il est de votre intérêt que le public ne soit pas trompé, et, pour ne pas tromper les autres, il faut d’abord ne pas se tromper soi-même. Donc choisissez un juge. C’est de toute nécessité. Mais qui choisir ?. Un professionnel ou un simple amateur ? L’un ou l’autre, tous les deux même, si c’est possible. L’essentiel est de choisir quelqu’un d’intelligent, qui ait sincèrement le souci de votre réputation et de votre avenir. L’avis d’un professionnel pourrait être plus profitable, parce qu’un professionnel mêle à ses conseils d’intéressantes raisons techniques d’exécution et de facture. C’est un grand bonheur, pour un homme de lettres de rencontrer un pareil guide. Il faut tout faire pour le trouver. » Ainsi termine Albalat son essai sur « comment on devient écrivain. »

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