Il y a quelqu’un de particulier dans une histoire. Une personne autour de laquelle tout ou presque se concentre. Personnage principal, héros, témoin d’une époque, figure incarnant un courant sociétal, être hors norme, etc., peu importe ce qu’il représente : il est incontournable. L’histoire, ce n’est pas lui, mais pour partie, c’est la sienne. Voilà pourquoi avant de créer l’univers fictif où il est appelé à évoluer, il est primordial de se souvenir qu’il a vécu avant même d’apparaître la première fois dans le récit…

Né hors du livre

Ce pourquoi venant de quelque part

Un personnage ne sort pas de nulle part. Même dans une intrigue où ça semble être le cas, arrive un moment où l’on s’aperçoit que sa présence trouve sa justification. Du moins celle-ci s’impose-t-elle pour lui conférer un surcroît d’épaisseur expliquant pourquoi il possède un rôle pivot. Dans son passé, en raison d’un écrit retrouvé par hasard, pour se venger, suite à une promesse faite dans l’enfance, sans savoir comment il a atterri là mais en se rendant compte que c’est sa destinée, il ne manque pas de motifs pour qu’il apparaisse au cœur de l’intrigue. Et tous ces éléments précédant sa naissance de papier peuvent se concevoir hors du livre.

Les réponses derrière les barreaux

Une fois admis que le personnage ait bel et bien quelque chose à faire dans un roman, il faut lui trouver un objectif et des ramifications à ce qui l’a amené à fréquenter vos pages. Par exemple, un détenu dont on ignore les raisons de son incarcération et qui aurait pour seule idée en tête de se faire la belle, ce qui créera au moins deux sujets d’intérêt pour le lecteur : quel crime a-t-il commis, et réussira-t-il son évasion. À ce stade du récit, à supposer que ces questions se situent dès le départ de l’histoire, l’auteur, lui, en détient déjà les réponses. C’est d’ailleurs l’une des données sur laquelle sa narration s’appuiera.

Une différence structurelle

Il y a toutefois une différence entre un personnage dont on aurait seulement déterminé la trajectoire linéaire crime-emprisonnement-évasion et un personnage dont on sait avant même d’avoir écrit la première ligne du livre quelles sont les motivations, les éléments déclencheurs ayant influer sur son parcours de vie, les défauts qui lui causent du tort comme les atouts dont quelques-uns peuvent en faire un homme hors du commun. Toutes ces choses-là. Si avant de partager avec votre lecteur la complexité de notre détenu vous ne possédez pas une idée claire des précédents alimentant le caractère de ce protagoniste, il risque d’y avoir un hiatus dans la structure de sa personnalité que vous aurez en charge d’élaborer.

Les impostures de Russel

Steven et ses feutres

Croyez-moi, rien ne nous manque plus dans la construction d’un personnage que l’inconnaissance de ce qui a marqué sa vie. J’en veux pour exemple le prisonnier Steve Jay Russel, célèbre pour avoir faussé compagnie à ses gardiens à plusieurs reprises, notablement la fois où il s’est armé de patience et de stylos-feutres verts. Eh oui. Vous comprendrez comment – et pourquoi – en cliquant sur le lien ci-dessous. Ça ne vous prendra qu’une petite quinzaine de minutes d’écoute qui ne constitueront pas une perte de temps même si vous connaissez déjà les tours abracadabrantesques de cet homme. Ce qui prend la réalité au dépourvu conserve toujours l’inégalable saveur des choses surprenantes

https://podtail.com/fr/podcast/true-story-2/steven-jay-russell-le-roi-de-l-evasion/

L’assemblage

Ç’aurait été dommage, possédant un tel matériau, de ne pas l’incorporer dans une histoire, n’est-ce pas ? C’est un cas exceptionnel ? Oui, et alors ? Qui diable souhaite lire des banalités ? Je l’ignore, mais il ne serait pas bien curieux, celui-là ! M’avancé-je si j’affirme que votre plus cher désir est d’éveiller au plus haut point l’intérêt de votre lecteur ? Je pense que non. Aussi quand vous réfléchirez à l’écriture d’un personnage en amont de sa mise en mots, pensez à Russel. Un assemblage de passion, d’astuces, de traumatismes, de savoir-faire et d’audace, c’est déjà une histoire n’attendant plus que de faire partie d’une autre, ici celle d’une romance où le cœur est honnête et l’esprit mensonger.

Un artefact dans l’univers

En disant de penser à Russel pour préparer l’intégration de l’histoire d’un personnage dans une autre, j’entends le travail de préparation que cela suppose. Et il n’est pas à prendre à la légère. Il vous appartient en effet de trouver la bonne combinaison d’événements existentiels, de rencontres, de traits de caractère et de marqueurs psychologiques. Et de fondre tout cela en un artefact littéraire dont l’apport à votre univers fictionnel sera considérable.

Le poids du bourlingueur

La part de magie du lecteur

Il est important qu’on ressente le vécu d’un personnage telle une manifestation de la réalité, celle qui frappe l’esprit par ce qu’elle dégage de plausible. Comme si, étant en relation avec quelqu’un pour la première fois, on percevait intuitivement de lui qu’il a bourlingué et vu des choses dont on ne soupçonne même pas l’existence. Qu’il a une histoire. Et qu’elle pourrait faire partie de la nôtre. C’est en partie dans cette forme de découverte qu’opère toute la magie de la rencontre d’un personnage avec son lecteur.

Les souvenirs du vide

Rappelez-vous d’une chose : vous êtes la mémoire de votre personnage. Avant qu’il fasse ses premiers pas sur le fil tendu d’un récit, funambule imaginaire y cherchant son équilibre au gré de votre créativité, vous devrez le lester des souvenirs que vous lui avait inventés. Le poids du passé, c’est en littérature ce qui précipite un personnage vers son destin, qu’il s’apparente ou non à un saut dans le vide…