Notre écriture organise notre pensée, comme notre pensée stimule notre écriture. Consciemment ou inconsciemment.
De façon plus ou moins intense, à un rythme propre à chacun, des pensées ne cessent de s’entrecroiser dans notre esprit. Entrant parfois en collision, s’absorbant l’une l’autre ou se complétant avec une logique si particulière qu’il est parfois compliqué, voire vain, d’en comprendre le cheminement, elles forment un discours intérieur ininterrompu. L’écriture, si elle ne fournit pas toutes les clefs de cet étrange assemblage mental, nous offre au moins de mettre en ordre sur le papier les approfondissements qui en résultent. Aussi inconscientes et désordonnées qu’elles puissent paraître, à force de persévérance, elles finissent par s’inscrire clairement une ligne après l’autre et à imprégner notre réflexion.
Langue de plume
La faillite oratoire
Faites l’expérience suivante : pensez à un argument que vous n’êtes pas parvenu à exprimer lors d’une conversation et reformulez-le à l’écrit en tendant vers la phrase idéale. Celle qui, concise et dont chaque terme convainc, vous a fait défaut au moment où vous vouliez la prononcer. Puis demandez-vous pourquoi ce que vous êtes capable de coucher sur le papier s’est dérobé à vous lorsqu’il a fallu l’énoncer. L’occasion de se livrer à un petit tour d’horizon des causes d’une faillite oratoire ordinaire…
Se donner les moyens
L’émotion peut nous priver d’une formule imparable alors que celle-ci nous viendrait en théorie spontanément en tête. Et c’est justement la nécessité d’y recourir qui l’éloigne de notre conscience. Un constat à mon sens abusivement résumé par le trop simpliste « perdre ses moyens », bien commode par ailleurs pour se dédouaner d’une absence de travail sur nous- même. Ce saisissement intellectuel virant à une forme de paralysie est en effet loin d’être une fatalité.
La barbichette des mots
Dans un incessant va-et-vient, la parole et l’écriture interagissent en un bouillonnement dont la fertilité dépend de la prise en compte de l’importance qu’elles ont l’une pour l’autre. Les efforts consentis afin d’atteindre notre niveau d’écriture le plus élevé rejaillissent dans notre discours. Inversement, si ce dernier se cantonne fréquemment à des tournures peu recherchées et désordonnées, il contaminera nos qualités littéraires. Langue et plume se tiennent par la barbichette. Dans les deux cas, un style lâche et haché desservira nos effets et amoindrira la portée de notre propos, aussi digne d’intérêt soit-il.
Contrôle des mots et organisation des pensées
Porte à tambour et portillon
Les mots succèdent aux pensées qui succèdent aux mots, etc., porte à tambour psychique où s’engouffre et tournoie notre monologue intérieur. Pour finalement en sortir, chez un écrivain, au seuil d’une page dont il se refuse qu’elle demeure vierge trop longtemps de l’empreinte qu’il voudrait y laisser. C’est qu’il y a urgence à dire, à raconter, à exprimer tout ce qu’on n’est pas encore parvenu à extirper de notre cerveau. Ça se bouscule au portillon. Bien sûr, il serait utopique d’espérer que cela s’effectue systématiquement du premier coup en un parfait agencement de nos idées. Face à sa feuille ou son écran, canaliser ce flux est cependant un objectif atteignable. Rien d’insurmontable n’empêche ce contrôle de s’étendre à la verbalisation.
Le contrôle de l’architecture cérébrale
Il existe différentes opérations de tri dans les divers ateliers qu’abrite notre architecture cérébrale, et les coordonner n’est certes pas chose aisée. Certaines interactions s’expliquent scientifiquement, mais je l’ai évoqué, on doit aussi tenir compte des altérations émotionnelles intervenant dans ce processus. Si l’on sait que les neurones ont comme points de connexion les synapses, le raisonnement le plus basique ne peut se résumer à cette seule structure. Nous pouvons notamment posséder un supplément de contrôle sur l’organisation de nos pensées en augmentant l’étendue de notre vocabulaire.
Le mot de la confiance
Le premier mot auquel on pense pour transmettre un ressenti est en général celui dont on a un usage courant. En qui on place notre confiance pour ne pas trahir notre discours. Le même ressenti pourrait donc être restitué à l’aide de phrases présentant peu ou prou une même identité selon nos habitudes langagières. Ici, ce n’est pas l’originalité qui est visée, mais la volonté d’être compris. La fluidité de nos pensées, la levée naturelle de nombreux blocages, passent par cette base simple qu’est l’emploi d’un vocabulaire dont la signification n’est pas source de doute.
L’idée qu’on retient
L’élaboration de notre réflexion, la mise en évidence de nos savoir-faire et la richesse de notre style reposent sur les certitudes qu’on a en cette assise lexicale. Construire sur du sable est voué à enliser notre propos parfois jusqu’à l’engloutissement total de notre discours et de nos ambitions littéraires. Autant s’assurer qu’elles s’appuient sur ce qu’il y a de plus stable, la patiente acquisition de mots nouveaux. Ils nous serviront en toutes circonstances, l’écriture permettant de les utiliser au meilleur endroit, au meilleur moment, en répondant à des besoins précis. De la prise de parole à l’écriture d’un livre, les idées qu’on retient sont celles ayant la clarté de l’évidence.
L’écriture, ce réflexe de la pensée
L’écrit donne des réflexes à l’oral
Dans le feu d’une discussion, il est frustrant de ne pas exposer ses arguments avec l’à-propos qui les valoriseraient. Si l’écrit et l’oral réclament pour ce faire une réserve substantielle de vocables, le premier bénéficie d’un confortable délai de décision quand le second doit composer avec l’immédiateté. Disposer d’un large choix lexical réduit le temps de réflexion, la maîtrise verbale s’acquérant d’autant mieux qu’on n’ait pas à chercher ses mots. L’accès rapide au terme le plus approprié guide intuitivement nos pensées, promptitude que l’écriture développe comme un réflexe.
Les pensées désembourbées
Persuader son lecteur ou son interlocuteur de considérer nos convictions avec attention dépend pour partie de la justesse du vocabulaire qu’on emploie. Cela ne garantira pas à tous coups de le convaincre, mais nous vaudra au moins de sa part autre chose qu’une lecture ou une écoute distraites. Une habileté intellectuelle mêlant la rigueur de la pensée à son illustration par les mots adéquats constitue un attelage emportant souvent l’adhésion. Agencer efficacement ses pensées, c’est aussi sortir notre propos des ornières de la banalité. L’écriture est ce treuil permettant de les en désembourber.
Le jonglage syntaxique
Extraites de la glaise de l’ordinaire par des termes choisis, agencées ingénieusement afin de marquer les esprits, elles brillent de l’éclat de ce qui, idéalement exposé, va de soi. Jonglage syntaxique que seul un incessant apprentissage permet, l’organisation de nos pensées par l’écriture les destine à trouver leur place quel que soit l’espace intellectuel à occuper…
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