Quelles sont les principales techniques d’écriture pour rendre votre lecteur complice ? Frédéric Barbas s’amuse à vous les présenter à travers des démonstrations et de nombreux clins d’oeil.
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Poursuivons sur notre lancée de ce sujet tentant d’explorer les points de jonction entre un auteur et son lecteur ! Comment s’y prendre pour à la fois l’appâter et l’épater ? Afin qu’il ressente le besoin de nous lire non seulement pour nos qualités littéraires, mais aussi pour ce que nous dégageons de positif envers lui ? Pour qu’il éprouve en nous lisant ce qui nous manque tant depuis des mois : l’amicale sensation d’une poignée de main, la brève chaleur d’une bise ? Des phalanges de papier aux lèvres d’encre, essayons d’étreindre la connivence littéraire…
Des clins d’œil
Séduire au bon moment
Dans la seconde partie de cet article, je vais vous parler des procédés que j’utilise lorsque j’essaie de me « rapprocher » de mon lecteur. Comment – et quand – lui cligner de l’œil, en quelque sorte. J’ai précisé la semaine dernière qu’il fallait éviter de le solliciter en permanence, si un passage ne le permet pas ou ne le nécessite pas. C’est bien l’histoire qui dicte le meilleur moment où le charmer, certaines scènes ne s’y prêtant guère car elles perdraient de leur intensité si vous le faisiez entrer dans la danse à cet instant-là. S’il doit se sentir concerné à chaque page par ce que lui raconte l’auteur, il revient à ce dernier d’équilibrer le nombre de pas qu’il effectue en sa direction, et de nuancer ses approches.
L’extermination des parasites
Par exemple, faire un appel du pied au lecteur lors de l’ultime affrontement entre le héros et son ennemi atténuerait, ou pire, lui ferait perdre de vue l’enjeu principal de ce passage. Veillez donc à ne pas le distraire par un aparté dans les moments clefs, et celui où votre héros démolit le portrait du méchant lors de la confrontation finale en est un. Lorsque vous créez une tension, rien ne doit la parasiter, ça l’affaiblirait. Le clin d’œil au lecteur nuit à la fluidité, la cohérence et la puissance du récit s’il est mal employé. Il peut en revanche se révéler très utile en guise de diversion lors d’une scène d’apparence anodine pour masquer en partie au lecteur un élément dont il ne mesurera que plus tard l’importance. Quand plusieurs pages après il s’en apercevra, c’est comme si vous lui disiez « Hé, je t’ai bien eu, hein ?! » Si dans la réalité on déteste être dupé, dans la fiction, on adore ça !
Noir ou blanc, c’est Javert ou Valjean ! (1)
Ah, puisque nous en sommes à causer du protagoniste et de son antagoniste : surtout, n’oubliez jamais ce que j’avais spécifié la semaine dernière, s’agissant de la différenciation entre le gentil et le méchant : le premier est habillé en blanc, le second en noir : la base du manichéisme ! Par contre, il serait coton de mélanger leurs vêtements dans le lave-linge à plus de 60 degrés : la personnalité de l’un risquerait de déteindre sur celle de l’autre ! Là, voyez, je place cette petite plaisanterie après les informations « sérieuses » que je souhaitais vous délivrer, afin de m’assurer que vous les ayez intégrées en amont puisque non « polluées » par ma blague bicolore. Les informations ou les intentions de l’auteur auront d’autant plus d’efficacité selon votre pertinence à les hiérarchiser. Euh, pour le coup, j’espère que pour vous, ce qu’il fallait retenir de cette partie n’était pas que le gentil ait des fringues blanches et le méchant des frusques noires ! J’en profite pour glisser que le comique de répétition peut constituer une forme de clin d’œil.
De l’utilisation des héros pour faire naître un sourire
Batman et Zorro
D’ailleurs, vous pourriez me mettre Batman et Zorro dans les dents, tout de noir vêtus, en guise de contre-exemples concernant le code vestimentaire selon le statut du personnage. Des héros, ah oui ? Mais non. Personne n’en parle de leur tendance obsessionnelle à mentir sans vergogne à leur entourage pour dissimuler leur double identité et d’avoir porté le masque bien avant l’heure, ces deux-là ? Si ça ne respire pas le complot à plein nez ! Et on voudrait les faire passer pour des gentils ? À d’autres ! Pour parler de héros moins ambigus, imaginons qu’en tant qu’écrivain votre genre de prédilection soit orienté vers un lectorat censé maîtriser quelques références dans un domaine précis. Pourquoi pas celui des détectives ou des enquêteurs de tout poil dont certaines têtes d’affiche sont mondialement célèbres ? Voyons comment provoquer un sourire complice chez votre lecteur grâce à ces stars de papier…
Détectons les détectives
Hercule Poirot, Nestor Burma, Jean-Baptiste Adamsberg, Mikael Blomkvist et Lisbeth Salander, le docteur Watson et Sherlock Holmes, etc. Des personnages dont le lecteur saurait se les représenter en une vision claire puisée dans l’inconscient collectif allant du dessin aux incarnations cinématographiques. Voire pour les plus férus être capable de citer leurs petites manies, jusqu’à leur passe-temps préféré. Quoi de plus logique ? Leurs aventures ont maintes fois été adaptées sur petit et grand écran, en jeu vidéo, en BD. Côté films, les réalisateurs prennent souvent soin de se concilier les bonnes grâces de leurs admirateurs en ne manquant pas de mettre en images au cours de scènes quasiment imposées les marottes ou objets reconnaissables de ces héros, d’y glisser leurs expressions favorites, leurs défauts ou qualités remarquables, etc.
Quand le violon n’adoucit pas les mœurs
Ouvrons la porte avec une clef de sol de l’appartement londonien du fameux limier habitant au 221 B Baker Street. Son attrait pour l’instrument de musique dont il est indissociable serait propice à intégrer une phrase tout spécialement destinée à ce public-là dans le passage d’une nouvelle ou d’un roman: « Il asséna un violent coup de violon sur la tempe de son agresseur, qui s’effondra, raide mort, dans une note funèbre échappée de l’instrument comme une sorte d’épitaphe musicale qu’aurait sûrement goûtée Sherlock Holmes. » Voilà ; vous venez d’adresser un clin d’œil à votre lecteur, qui appréciera d’être renvoyé vers l’un des monuments du genre par un trait d’esprit, aussi macabre soit-il. La connivence reposant sur des références communes est typique de celles n’exigeant pas un rapport étroit avec votre intrigue. Mais laissons-là ce bon vieux Sherlock, et voyons de quels autres artifices on peut user pour tirer – discrètement – son lecteur par la Manche…
Votre voix d’écrivain
La voix de son être au fond de la jungle
Que vous vous tourniez vers lui l’air grave ou un sourire en coin, votre lecteur doit éprouver votre souhait réel de partager quelque chose avec lui. En lui exposant le faisceau de lianes que sont les sentiments animant vos personnages, il y a de fortes chances qu’il s’accroche à l’une d’entre elles. La caractérisation dont bénéficiera un de vos héros finira par ce qu’il s’y reconnaisse. Jusqu’à entendre votre voix d’écrivain dans la jungle de vos émotions exprimées à travers ce personnage. Car chacun d’entre nous possédons un cri primal raclant la gorge de notre écriture. Plus ou moins articulé selon la fréquence à laquelle on s’est frotté à cette curieuse expérience d’être lu. Et qui nous définit pour une part en tant qu’être. C’est pourquoi je vous encourage vivement à faire découvrir vos textes à un maximum de gens de votre entourage.
La scie à chantourner la voix de l’écrivain
Le site de L’esprit livre school vous offre cette chance dont je ne sais pas si vous en mesurez la portée : être lu par des gens qui écrivent. Oh, je ne dis à aucun moment que les appréciations de votre famille, d’amis, voire de collègues soient dénuées d’intérêt, non. Mais s’ils n’écrivent pas eux-mêmes, sans doute éprouveront-ils plus de difficultés à vous dire comment votre voix d’écrivain peut s’affirmer. Ça marche comme ça dans tous les métiers. Je suis capable d’émettre une opinion sur l’œuvre d’un menuisier, mais dans l’impossibilité absolue de lui dire avec un regard professionnel s’il aurait pu mieux réussir le chantournage d’une pièce de bois afin d’en obtenir une courbe plus séduisante, car je n’ai jamais utilisé une scie à chantourner de ma vie. C’est aussi simple et logique que ça.
Voir vers quelle hauteur l’échelle de lecture peut vous mener
Bien sûr, il existe d’excellents lecteurs n’ayant jamais écrit une ligne de toute leur existence. Mais quant à dire qu’ils courent les rues… Enfin, l’important est de récolter le plus d’avis possible. Quelle que soit la personne effectuant un retour sur votre texte, prenez chacune de ses remarques en considération. Plus vous obtiendrez de regards diversifiés, plus vous apprendrez à faire le tri entre les réflexions qui ne valent pas un pet de lapin et les critiques pertinentes. Ensuite, à vous de synthétiser ces informations, de mettre d’un côté les points positifs et de l’autre les faiblesses relevées le plus souvent. Se rapprocher de son lecteur exige de mesurer chaque barreau de son échelle de lecture, du plus laudatif au moins agréable.
La digestion des joies et des peines
Reflet d’un ego griffé
Une fois les vexations digérées – je ne connais pas beaucoup d’écrivains prenant des réflexions désobligeantes quant à leur texte en toute décontraction ; en fait, je n’en connais aucun qui sache donner le change autrement que par un sourire crispé, dans leur phase d’apprentissage notamment. Votre serviteur y compris. Une fois également avoir remis les pieds sur terre après s’être goinfré de compliments qui feraient se tordre de rire un éditeur par leur touchante naïveté ; bref, une fois tout ça ingurgité, vous devriez être en capacité de voir dans ce miroir kaléidoscopique qu’on vous a tendu un reflet assez fidèle de votre écriture. Sans doute un des meilleurs moyens de vous refaire une beauté textuelle. De reproduire ce qui a plu dans vos écrits tout en en éliminant les aspects plus disgracieux. Vous voulez le séduire, votre lecteur, n’est-ce pas ? Eh bien, la connivence passera par ce rude chemin où plus d’une parole griffera votre ego, souvent sans le désir d’être désagréable pour qui les aura prononcées ! Ce n’est pas si grave : croyez-moi, on s’en remet… Nous sommes tous plus ou moins des balafrés de la littérature, pas vrai ?
Ce qui ne doit pas franchir le seuil
J’imagine bien que certain(e)s d’entre vous se disent : ok, créer de la connivence par le biais d’un article évoquant une pratique commune à celles et ceux qui le lisent (l’écriture, pour les étourdis ayant oublié de quoi on parle principalement ici), ça n’est pas bien difficile : il suffit d’aborder tous les problèmes que chacun est susceptible de rencontrer dans son parcours d’auteur, d’emballer le tout avec quelques jeux de mots, et le tour est plus ou moins joué. Hum… Voyez-vous, il m’a fallu des années pour trouver un ton impactant un tant soit peu mes lecteurs avec une certaine réussite. Je me permets d’affirmer ceci avec le peu d’humilité dont je suis doté, car les retours que j’ai sur mes écrits sont globalement positifs. Ce qui me procure une certaine fierté, porte contre laquelle l’autosatisfaction, l’orgueil et la suffisance pourront éternellement frapper sans jamais être invités à entrer. Pas de ça chez moi ! Comme je souhaite que ça ne pénètre jamais votre esprit.
Au-delà des murailles mentales
Si rédiger un article et écrire un roman (ou une nouvelle) sont deux choses totalement différentes, il n’empêche que des leviers intellectuels à peu près identiques fonctionnent pour que naisse un lien avec le lecteur. Suivre scrupuleusement chacune des petites astuces disséminées dans cet article ne suffira pas à maintenir intactes la force et la résistance de ce lien tenant avant tout à l’ouverture d’esprit et au désir de l’auteur d’aller vers les autres. S’il part du principe que son ouvrage est un univers clos, sans portes ni fenêtres pour reprendre le titre de l’excellent recueil de nouvelles de Peter Straub (3), eh bien je considère cela tout à fait respectable ! De certaines forteresses de ces casaniers de la littérature ont été catapultés des chefs-d’œuvre dépassant leurs murailles mentales pour atterrir dans notre esprit avec fracas. Comme quoi, la connivence ne fait pas tout. Cependant, je veux croire en une chose : les écrivains qui en sont pourvus ont eux visé le cœur, et l’ont atteint…
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Sources
- Paroles extraites de la chanson Noir ou blanc, contenue dans le spectacle musical Les Misérables, de Claude-Michel Schönberg.
- Hercule Poirot, personnage inventé par Agatha Christie ; Nestor Burma, personnage inventé par Léo Malet ; Jean-Baptiste Adamsberg, personnage inventé par Fred Vargas ; Mikael Blomkvist et Lisbeth Salander, personnages inventés par Stieg Larsson ; John Watson et Sherlock Holmes, personnages inventés par Sir Arthur Conan Doyle.
- Sans portes ni fenêtres – Peter Straub – Éditions Pocket terreur.