Lire un livre rend heureux. Enfin, c’était la partie émergée de l’iceberg, parole de rescapé du Titanic – je sais, je ne fais pas mon âge. Si j’ai souhaité ajouter un autre volet à ce sujet, c’est parce que même si je lui en dédiais un troisième, il serait loin d’être épuisé, tout comme le rédacteur de ce billet désireux d’y consacrer encore quelques lignes rafraîchissantes en cette période de fortes chaleurs…
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Être heureux, quel que soit le jour
Lecture dominicale
C’est un dimanche matin. Vous êtes délivré de toutes contraintes pour quelques heures précieuses, et votre esprit ne s’oriente vers rien de particulier. Vous pourriez flemmarder au lit jusqu’à une heure indécente, tandis que les rayons de soleil commencent à chauffer vos persiennes. Puis vous pensez au livre que vous avez commencé depuis trois jours. Ses personnages vous sont devenus familiers, l’intrigue a déjà commencé à faire rôder ses mystères dans votre esprit. On a le droit de ne rien fiche d’autre, en ces moments-là, que d’entrouvrir les contrevents juste ce qu’il faut pour laisser entrer la lumière nécessaire à une lecture paisible. Loin du monde, car pris dans un autre, celui que l’auteur nous a inventé…
Le lion et la gazelle
Vous et moi avons bien sûr connu ces dimanches-là. Enfin, qu’importe le jour : cet instant où dégagé de nos obligations, on reprend une histoire là où on l’avait laissée la veille, les yeux plein de sommeil et la tête emplie de la frustration de n’avoir pu finir un chapitre. Ce qui provoque inévitablement une faim de lecture une fois la nuit passée. C’est pourquoi on se jette sur ce bouquin comme le lion s’abattant sur la gazelle. Ne me remerciez pas pour cette image d’une originalité folle, d’autant moins que la plupart du temps, ce sont les lionnes qui assurent le remplissage du garde-manger. Je crains que mon attrait pour les documentaires animaliers finisse par se remarquer.
Une respiration intellectuelle
Mais par quel phénomène notre voracité de lire se déclenche-t-elle ? Parce que l’auteur, s’il est doué, fait en sorte qu’on n’ait pas d’autre envie que de tourner une page. Puis une autre. Et encore une. Si l’on s’est fait prendre à son petit jeu ? Bien sûr que oui. Si ça nous rend heureux ? Vous avez déjà la réponse… Le fait de s’abîmer dans une histoire jusqu’à en perdre la notion du temps possède une vertu précieuse s’agissant de se sentir bien. Être heureux, c’est pour une part ne pas avoir de sérieux ennuis, et quand on en a, disposer d’un moyen de s’en délivrer l’esprit ne serait-ce que temporairement. C’est pouvoir souffler un peu lorsque les maléfices du destin nous plongent au bord de l’asphyxie. Or, à sa façon, voici ce que la littérature nous propose : une respiration intellectuelle.
Changements
Remise en ordre
Mais un roman ne consiste pas qu’en un second souffle ; c’est aussi un accès à une compréhension des choses dont on peut s’inspirer pour remettre de l’ordre dans sa vie. Je suis persuadé qu’un bouquin peut délivrer un message d’une force telle qu’il est en mesure de changer le cours de notre existence. Pourquoi cette certitude ? Car ç’a été le cas pour moi. Pour celles et ceux me lisant régulièrement, peut-être parmi certains d’entre eux se souviennent-ils de ma vénération – oui, je ne fais pas dans la demi-mesure, là – pour le chef-d’œuvre de Kent Kesey, Vol au-dessus d’un nid de coucou.
Transformation
Pour des raisons dont il ne servirait à rien que je les évoque ici, il m’a transformé. Peut-être pas au point d’effectuer une comparaison avec la citrouille devenant carrosse, mais tout de même, j’y ai puisé une force et une philosophie qui m’ont permis d’avancer à un moment où, disons, je faisais du surplace. Je sais ne pas être un cas isolé, puisque à plusieurs reprises, j’ai entendu le témoignage de personnes ayant connu cette même expérience. Je pense ne pas trop me tromper en supposant que parmi vous, ce sentiment d’un changement en profondeur suite à la découverte d’un livre, voire plusieurs, s’est opéré avec tout le positif à en tirer que cela sous-entend.
Puissance
Je trouve dommage que beaucoup trop de gens n’accordent que peu de crédit à la possibilité qu’un livre puisse donner plus de sens à leur parcours sur terre. Qu’ils en sous-estiment la puissance. Et j’espère sincèrement qu’une entreprise comme L’esprit livre en convainc au moins quelques-uns de l’intérêt de se montrer curieux en ce domaine. Tenez, un petit sourire en coin en rapport avec la phrase précédente : j’avais tapé « de se montreux curieux », une sorte de lapsus textuel dévoilant sans aucun doute ma farouche volonté d’aller planquer tout mon fric en Suisse. Je sais que je ne Berne personne en voulant masquer le fait que signaler cette anecdote littéraire – véridique – consistait surtout à planquer mon manque d’inspiration pour clore mon paragraphe.
Cette tristesse pleine de sourires
Ronger son frein
Bien que n’ayant rien du rat de bibliothèque, je suis en tout cas un rongeur de mots. Si pour une raison ou une autre il m’est impossible de grignoter quelques pages, je ressens comme un manque. Ah, magie des associations d’idées (ça m’est venu à l’instant) : si ce n’est pas déjà fait, lisez Firmin, autobiographie d’un grignoteur de livres, de Sam Savage. Un vrai bonheur que rien ne freinera au fil des pages. En quatrième de couverture, un certain Alessandro Baricco, que je ne connais hélas pas, écrit ceci : « Firmin, le rat que Walt Disney aurait inventé s’il avait été Borges. Si lire est ton plaisir et ton destin, ce livre a été écrit pour toi. » Que dire après cette magnifique formule ? Rien. Se taire ; et passer au paragraphe suivant.
Le rire pris dans les nœuds du chagrin
Sans vouloir plomber l’ambiance, il me faut souligner que le bonheur de lire peut aussi paradoxalement ancrer certaines de ses racines dans la tristesse. Ceux qui ont lu Auprès de moi toujours ou Les béatitudes bestiales de Balthazar B, par exemple, ou n’importe quel roman les ayant émus, comprendront qu’à travers des lectures ayant gorgé leur cœur d’une intense mélancolie, une pointe de gaieté a aussi réussi à s’y faufiler. Une fois de plus, je pense que vous aussi avez dû éprouver ce sentiment ambigu où malgré un dénouement n’engendrant pas une franche hilarité, l’histoire qui l’a précédé vous a procuré des élans de joie nouant le rire au chagrin.
Tous sur le même bateau
Ça fonctionne comme dans un film, les ressorts dramatiques se révélant les mêmes pour la plus grande joie des fabricants de paquets de mouchoirs. Tenez, Titanic auquel je faisais allusion en préambule : ceux qui comme moi sont clients de ces mélos à grand spectacle ou plus intimistes – tel le magnifique Sur la route de Madison –, ressentent par l’effet de contraste voulu par le cinéaste où l’écrivain des émotions opposées s’exaltant l’une l’autre. En repensant aux moments merveilleux vécus par les personnages tout en se remémorant l’instant où survient La scène déchirante du récit, on est heureux tout en étant attristé que la belle histoire n’ait pas eu la conclusion espérée. Oui, un lecteur peut avoir le bonheur au bord des larmes…
Sinon, pour ceux ne l’ayant pas vu, je ne voudrais rien divulgâcher du film Titanic, mais à la fin, le bateau coule.
Références
Firmin, autobiographie d’un grignoteur de livres – Sam Savage – Éditions Actes Sud.
Auprès de moi toujours – Kazuo Ishiguro – Éditions Gallimard.
Les béatitudes bestiales de Balthazar B – James Patrick Donleavy – Éditions Denoël.
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