La fluidité dans l’écriture
La fluidité dans la littérature consiste en l’exercice délicat d’effectuer le passage d’une phrase à l’autre sans que le point les faisant se côtoyer s’apparente à une serrure qu’on devrait fracturer pour accéder à la suivante. Les mots de liaison et les pronoms relatifs deviennent obligatoirement redondants quand le sens d’une phrase a été conçu avec le soin suffisant à une transition douce vers la suivante. L’intelligence se renforce si un obstacle ne lui est pas opposé et les pensées s’enrichissent d’être développées sans heurt. Voyons comment éviter de défoncer la narration à coups d’épaule…
Déshabituer le cerveau
Une sécurité malveillante
Pour vous faire un aveu – non, je ne dirai jamais où j’ai planqué le fric –, il m’arrive plus souvent qu’à mon tour de recourir à des mots dont je pourrais faire l’économie. Ils me sécurisent en raison de cette fausse croyance me persuadant que, sans eux, je perdrais un point de jonction avec ce que j’ai écrit précédemment. Au moment de me relire, force m’est de constater qu’ils sont aussi utiles à la cohérence du texte que des fils barbelés à une guitare. J’ai beau passer l’aspirateur à vocables dispensables, il reste indésirable. La trilogie des rimes en « able » est voulue, elle donne une sonorité à la fin de ce paragraphe dont la richesse rendrait jaloux Verlaine et Rimbaud réunis.
Une peur fondée sur une illusion
Pourquoi ces mots toxiques pour la fluidité d’un texte s’y invitent-ils sans nous interpeller sur leur inutilité ? La raison que j’ai avancée peut concerner beaucoup d’entre vous : la peur de mal arrimer les wagons, que tout ne soit pas cadenassé dans notre discours. Quinze ans de psychanalyse afin de vaincre cette phobie syntaxique m’aident à comprendre ce que vous ressentez, croyez-moi. N’hésitez pas à mettre votre tête sur mon épaule pour vous consoler. Non, pas vous le barbu massif qui semble avoir passé sa matinée à défricher un quart de la forêt canadienne, mais plutôt la jolie jeune femme au visage lumineux assise au premier rang. Mon choix est purement thérapeutique, cela va sans dire.
Les barrages paradoxaux
Réfléchissons un instant à ce souhait de faciliter le flot tranquille d’un assemblage de phrases en dressant paradoxalement des barrages entre chacune d’entre elles. Dans le genre contreproductif, ça se pose là. Être logique en permanence est utopique. Écrire réclame une attention de tous les instants, à tous les niveaux. Ce constat serait de nature à disqualifier les Humains pour rédiger un texte vierge de tous défauts si nous ne possédions de quoi en venir à bout. Je vais avancer une hypothèse dont la pertinence n’a d’égal que le temps que j’ai mis pour l’échafauder (dès que j’ai commencé à y réfléchir, les aiguilles de mon chronomètre se sont mises en grève) : notre cerveau a besoin de se déshabituer.
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La facticité des liaisons
Une évidence factice
Vous le savez, nous avons inconsciemment tendance à accomplir des gestes néfastes pour notre corps dans l’exécution de tâches le sollicitant, et ce, quelle que soit notre profession. Pour atténuer la portée de ces mauvaises postures, une rééducation s’impose. Écrire étant un métier, nous accumulons de mauvaises habitudes dont la fluidité de notre texte souffre. Comment s’en débarrasser ? J’ai déjà évoqué les relectures, mais, aussi pointues soient-elles, leur efficacité se heurte au faux sentiment de devoir supprimer un coulissement idéal entre deux phrases. Notre regard glisse sur l’inutilité d’un mot au lieu de s’y attarder. La question ne se pose même pas de savoir s’il ne rompt pas un passage harmonieux qui ne lui a rien demandé : à notre insu, notre cerveau nous a rendu dépendants de ce mot-là. Pour nous, sa présence est une évidence que nous ne saurions remettre en cause. À ce sujet, Albalat dit : « Les phrases doivent se lier non pas par des amorces factices, mais la logique de l’idée, par la force de la pensée. ».
De la vinaigrette dans l’engrenage
Notre vieil ami avait en quelques termes pointé du doigt ce qu’il fallait faire et ce qu’il conviendrait d’éviter. Deux d’entre eux m’ont frappé par leur justesse : « amorces factices ». Ils dépeignent le côté artificiel quand, en croyant faire coulisser en silence les phrases entre elles, il s’agit bien du grincement du mot inadéquat grippant l’engrenage textuel dans sa bruyante inélégance qui émerge. Pour ceux qui ont eu le bonheur de connaître cela, ça revient à un serrage-moteur. Jusqu’à ce que ça m’arrive, je pensais qu’il ne fallait mettre de l’huile que dans les vinaigrettes. Le jour où on m’a révélé que ce n’était pas réservé aux salades, mais qu’il fallait aussi assaisonner les voitures, ça m’a fait un choc.
Le frein à la continuité
Prendre conscience que vouloir éliminer un mot déréglant un mécanisme ajusté à la perfection est un pas dans la bonne direction. Saisir l’intérêt de traquer ces intrus permet de se motiver à en laisser passer le moins possible entre les mailles du filet, soit optimiser la fluidité de notre texte. Et ne pas se décourager lorsque certains échappent à notre vigilance. Ce que je viens de faire est l’exemple parfait de ce qu’on doit s’interdire. De ce qu’il faut éradiquer afin qu’un coulissement naturel se fasse d’une phrase à l’autre. Le « Et ne pas » est une tournure toute faite ne prolongeant pas avec fluidité ma pensée, mais freine sa continuité.
Traque d’intrus et point virtuel
J’aurais mieux dit : « Saisir l’intérêt de traquer ces intrus permet de se motiver à en laisser passer le moins possible entre les mailles du filet, soit optimiser la fluidité de notre texte. Ceux échappant à notre vigilance ne devant pas nous décourager. Les « certes », « bon », « alors », « et », etc., placés en début d’une phrase font bien souvent partie de ces « tics langagiers » qui ne lui apportent rien et diminuent l’élan de la précédente. Une petite astuce pour les déloger : imaginez que le point séparant les deux phrases soit virtuel, puis lisez les deux d’un trait : « Saisir l’intérêt de traquer ces intrus permet de se motiver à en laisser passer le moins possible entre les mailles du filet, soit optimiser la fluidité de notre texte, ceux échappant à notre vigilance ne devant pas nous décourager. »
L’isolation dans la logique
Le point, ici, pourrait être dit « de confort », car il permet une respiration, mais je pense que son absence n’aurait pas laissé le lecteur hors d’haleine. Un point-virgule aurait pu être un bon compromis. Je voulais néanmoins isoler le fait qu’il ne faille pas se décourager, tout en incorporant ce paramètre important à un tout logique. Uniquement parce que je considère que le découragement est à proscrire du mental d’un auteur. Un coup de fatigue peut survenir, ça n’a rien d’alarmant. Notre souffle repris, on repart aussi sec au « combat » consistant à améliorer les défauts dont on sait comment les repérer grâce aux merveilleux conseils dont je vous gratifie régulièrement. Votre reconnaissance me va droit au cœur, mais veuillez arrêter immédiatement de me lancer des piécettes comme si je jouais Elcóndor pasaà la flûte de Pandans le métro, ça devient gênant. Merci.
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Les bénéfices de la fluidité
Moins de rouille, plus de souplesse
Votre texte nettoyé dans les règles de l’art, vous pouvez y exposer vos idées avec une clarté et une aisance dont un style haché gênait leur libre écoulement. Votre expérience vous procurera sans y penser les bons réflexes afin de déblayer le terrain au fil de vos écrits. Tout comme votre cerveau vous mettait autrefois des bâtons dans les roues en vous affirmant que cela vous ferait avancer plus vite. Quel farceur. Cette prise de conscience, outre l’aspect non négligeable de donner plus de vigueur à vos histoires, conférera davantage de souplesse à votre esprit. N’ayant plus à gérer qu’à la marge ces scories rouillant les articulations de votre rythme, vous pourrez consacrer l’intégralité de vos ressources à votre sujet.
Ne laissez pas votre style suffoquer
Les mots superflus n’empêchent pas votre style de se déployer ; ils l’encombrent, voire l’étouffent. La fluidité est le moyen de le désengorger pour, partout où l’acquisition et l’application de techniques le permettent, l’alléger de façon significative. Cette respiration fera gonfler les poumons de votre écriture et fournira de l’air frais à votre intelligence. On ne charme pas son lecteur en suffocant, n’est-ce-pas ? Sauf s’il vous en veut au point d’essayer de vous étouffer dans votre sommeil. Ça arrive rarement, rassurez-vous. Le tout étant de dormir sans coussin.
Les piliers du récit
Notre style n’est jamais ce qu’on voudrait qu’il soit quand on ne parvient pas à l’affranchir des contraintes qu’il exige pour répondre à toutes nos attentes. La fluidité n’est qu’un des piliers de soutènement du récit, tout comme le relief, l’originalité, la cohérence, la clarté, etc. Je suis désolé de vous en faire part, mais je ne connais qu’un mot permettant d’accéder au degré d’excellence visée : le travail. Soyeux heureux : il ne nous reste que quatre derniers points à aborder. Plus d’autres nombreux aspects sur lesquels je compte bien revenir. Oui, comme l’assassin sur le lieu de son crime…
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