En écriture, surtout en réécriture, la musicalité d’un texte est à soigner avant que ne sonnent les trompettes de la renommée pour qui rêve de devenir écrivain. Si cette figure de style tinte bien à l’oreille, ses contours restent parfois évasifs. Je vais donc tenter d’en préciser certains à travers quelques exemples en essayant de ne pas commettre de fausses notes…
L’écoute
Une paix royale
Une histoire se lit, mais pas seulement : elle s’écoute. Un peu à la façon dont, lorsque nous étions enfants, nos parents nous en racontaient une avant qu’on s’endorme pour qu’on leur foute une paix royale. Pour que notre sommeil de chérubin soit peuplé de doux rêves, voulais-je dire. Devenu adulte, c’est la voix de l’auteur, éventuellement confondue avec celle blottie en nous, qui se substitue au murmure de cascatelle de nos géniteurs. Pas pour nous plonger cette fois-ci au cœur du gouffre onirique qui s’ouvre dans la nuit, mais bien pour retenir notre attention par la magie de l’harmonie des mots.
Clochette, froissement et coupures
Charge à l’auteur de nous éviter une cacophonie créée par des mots entrant en collision de façon dissonante, bien que, comme on le verra plus loin, ces froissements de tôles langagiers peuvent présenter un intérêt. Restons pour l’instant dans le domaine des phrases qui tintinnabulent agréablement à nos tympans tel l’écho cristallin d’une clochette lorsqu’on pousse avec ravissement la porte d’une vieille librairie. Ou la porte de la salle des coffres d’une banque. Ah non, ça c’est l’alarme. Dans le paragraphe suivant, je vais pour l’instant m’en tenir à un butin de mots en petites coupures sans oublier ma boîte de pansements.
Le coton tige et la râpe à oreilles
Qu’est-ce qui différencie l’harmonie et la dissonance ? J’attends. Bon, je vois que vous n’y mettez aucune bonne volonté alors je m’y colle. S’y nichant à merveille, les mots flattent nos oreilles. Ils les agresseront en forçant le passage menant aux pavillons. Pour le cas où vous auriez regardé ailleurs alors que j’effectuais ma démonstration particulièrement réussie, les deux phrases précédentes appartiennent au registre harmonieux. Mais ça ne répond pas à la question introduisant ce paragraphe, me direz-vous. Ce à quoi je rétorquerai : il faut bien commencer par quelque chose.
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Harmonie et dissonance
Les rimes naturelles
Inutile de posséder des dons d’observation hors du commun pour s’apercevoir que les sons contenus dans ces phrases se combinent avec une forme d’évidence. Je me suis servi de rimes s’imposant à l’esprit d’autant plus facilement qu’elles sont, à la manière d’un poème, proches l’une de l’autre grâce à deux phrases courtes. Comme elles abordent un sujet identique – l’impact des mots lors de notre « écoute » d’un texte –, rien ne vient heurter leur liaison lexicale pas plus que leur cohérence. La fluidité s’ensuit naturellement et l’attention du lecteur n’est pas parasitée par un élément extérieur à l’idée principale.
De la continuité dans la musicalité
Cette continuité par la sonorité est une des composantes de la musicalité. Nul hiatus à l’horizon venant gâcher le bel effet – et perle rare accrochée au lobe – (histoire de nous changer de la cerise sur le gâteau), l’harmonie et la dissonance se font face dans un même bloc. À présent, le moment que tout le monde redoute (j’en fais trop, là ?) est arrivé : comment ne pas confondre une harmonie avec une dissonance ? Vous avez le voir, c’est plus simple que de comprendre un film auteurisant français, chinois, indien ou américain où rien ne se passe d’autre à l’écran que la mise en images du cliquetis du réalisateur s’écoutant penser. Oui, j’avais un compte à régler.
La subjectivité auditive
Les consonnes et les voyelles ça vous parle, n’est-ce pas ? C’est bien pourquoi vous les écoutez et que selon la façon dont on les utilise elles produisent un effet sur vous. Cet effet sera variable selon le lecteur, car on peut parler ici d’une subjectivité auditive. Ici ou ailleurs, c’est vous qui voyez. L’harmonie se construit par une répétition de sons s’appuyant sur des consonnes dont l’assemblage avec des syllabes crée ses propres rimes. Elle provoque ainsi un effet d’entrainement, un rythme, une musique qui nous charment. Un exemple célèbre picoré sur le Net que l’on doit à Serge Gainsbourg. C’est une géniale allitération en « V » de « La javanaise » :
« J’avoue j’en ai bavé pas vous, mon amour ; avant d’avoir eu vent de vous, mon amour. »
Et le reste du morceau est à l’avenant avec autant de réussite.
Vive l’alphabet
À l’inverse, la dissonance trouve son caractère déplaisant pour l’oreille, dans l’emploi des voyelles : « Il a actuellement accompli. » ; « Il va à son rendez-vous. » ; « J’ai eu une utopie. ». C’est tout à fait français, mais assez pauvre stylistiquement dans le sens où aucun son-consonne ne s’interpose entre deux sons-voyelle, ce qui retire de ce relief dont je vous parlais dans l’article précédent. Pour autant, noyée dans la masse, une dissonance peut de temps en temps tirer son épingle du jeu par effet de rupture avec l’harmonie. L’alphabet, ou vingt-six bonnes occasions de varier !
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