Certaines personnes ont des idées d’histoire absolument géniales. Mises entre les mains d’un auteur de talent, elles feraient à tous coups le bonheur d’un éditeur. Mais une bonne idée ne se traduit pas forcément par un succès de librairie, faute d’avoir su en exploiter tout le potentiel. Et même quand les ventes décollent au point qu’un livre s’impose comme un best-seller mondial, le désappointement peut être au rendez-vous…
Ces promesses littéraires qui ne sont pas tenues
Faux départ sur un quai de plomb
Vous avez forcément lu comme moi des romans dont la promesse de départ était déçue. On se croyait embarqué dans un fantastique voyage littéraire, et on restait sur le quai de la gare. Comment l’or se transforme-t-il en plomb ? Cette question a dû déconcerter plus d’un Midas. À quel moment un auteur gâche-t-il la pépite intellectuelle qui sommeillait dans son esprit ? Je parle de moment par rapport au « temps littéraire », c’est-à-dire à quel instant dans un texte on se rend compte que ce qui était annoncé ne verra jamais le jour. Qu’on devra se contenter d’un traitement des plus basiques de ce qu’on espérait être une source d’originalité.
Quand Dan Brown reste au pied du trampoline
Quitte à me faire taper sur les doigts par ceux qui ont adoré Da Vinci Code (1), je dois dire qu’à mon sens c’est un mauvais roman doté d’un excellent début. J’ai fait le tri dans mes bouquins il y a quelques mois, et je l’ai foutu à la poubelle. Pourquoi s’encombrer d’une si mauvaise lecture ? Un style aussi plat qu’une limande, des rebondissements qui neuf fois sur dix auraient eu besoin d’un trampoline, et l’impression que Dan Brown se fiche à de nombreux moments de la fiole de ses lecteurs en leur soumettant des « énigmes » dont, pour certaines, un gamin de six ans (allez, sept) se serait vite dépatouillé.
Cette agaçante impression de déjà-lu
C’est pour moi un exemple frappant de ce qui aurait pu être un très bon livre et qui s’avère ne rien proposer de consistant au lecteur. Alors, où Dan Brown a-t-il échoué ? J’ai, dans le paragraphe précédent, pointé quelques-unes de ce que je considère comme des insuffisances, mais ce qui me donne surtout le sentiment d’un naufrage textuel, c’est le manque de renouvellement. Quand on veut faire vivre son intrigue, on ne se réfugie pas derrière une succession de péripéties dépourvues de sang neuf, ce dont ce roman est truffé. Une idée ne se bonifie pas dans la répétition de scènes qu’on peine à différencier sauf à travers des changements de décors et de personnages. Sur près de 600 pages, ça finit par se voir.
Faire prospérer son idée : de la documentation aux ramifications
L’idée, ou la sève des excroissances
Une bonne idée se développe. On ne peut pas faire progresser son récit en ayant un esprit statique. Si vous n’étirez pas votre pensée, si vous ne l’alimentez pas des spécificités dont l’idée est porteuse, votre lecteur s’ennuiera au bout de trente ou quarante pages, en comptant large. On attend toujours d’un auteur qu’il apporte quelque chose de nouveau à ce qui a justifié la mise en route de son histoire. Pas qu’il nous resserve en l’ayant à peine modifié le propos du chapitre précédent. C’est la propension d’un romancier à greffer des ramifications à son idée initiale qui en fait le charme, et non pas le fait de la ressasser. S’il convient de délimiter un sujet pour éviter la dispersion, il n’est cependant pas souhaitable d’en couper toutes les branches. Une bonne idée confère de la sève aux excroissances de l’histoire.
La documentation pour nourrir son idée
Partons du principe que votre idée de départ soit très bonne : qu’en faire ? Qu’importe le domaine abordé, il est nécessaire de se documenter afin de se nourrir de toutes ses possibilités, sans quoi vous passerez forcément à côté d’un élément qui aurait été profitable à votre texte. Un élément qui vous permettrait de donner une trajectoire surprenante à votre récit. Par exemple, vous voulez construire une nouvelle ou un roman autour d’une invention qui a investi le quotidien de centaines de millions, voire de milliards de foyers dans le monde, qu’il s’agisse de la télévision, du lave-vaisselle ou de la machine à cintrer la banane. Si si, j’ai confiance dans le potentiel de cette sublime trouvaille. Eh bien, comment donner un coup de plumeau pour les dépoussiérer de leur banalité, si ce n’est en dénichant des informations étonnantes, amusantes, instructives, etc., à leur sujet ?
La puissance de l’anecdote pour renforcer son idée
Tenez, pourquoi ne pas se renseigner sur celui qui a été l’inventeur de l’un de ces appareils ? S’il l’a rendu riche ou s’il l’a ruiné. Les bouleversements que cela a introduits dans la façon de penser de ceux ayant eu accès à ces merveilles innovantes. Les différences sociales que cela a pu entraîner. Ce genre de choses. Vous trouverez toujours une anecdote qui fournira de l’épaisseur à ce dont vous parlez. Puis une autre. Toujours. Et en plus d’étoffer votre propos, ce sera un moyen qui vous permettra de rebondir pour maintenir l’intérêt de votre lecteur en éveil. Bon, pour la machine à cintrer la banane, il me vient comme un doute sur sa capacité à captiver le lecteur, sans parler de son impact réel quant à l’évolution humaine. Mais sait-on jamais.
Prendre son lecteur entre quatre yeux
L’apport d’une idée réexaminée
Ce qui intéresse les gens bien souvent, c’est le mélange d’un sujet qui les concerne et d’un angle qui le leur fait réexaminer, jusqu’à parfois en découvrir à leur tour un autre aspect. L’idéal est de prendre son lecteur entre quatre yeux et de lui dire : « Eh, tu avais déjà pensé à ça, concernant ce truc ? ». Enfin, plus subtilement. Mais lui offrir quelque chose de neuf en tout cas, qu’il y songe en se disant « Ah oui tiens, c’est pas bête ça, je n’y avais jamais réfléchi. » Combien de fois il m’est arrivé de me dire en lisant certains auteurs : « Bon sang, il a raison, pourquoi ça ne m’était pas encore venu à l’esprit ? ». Il me semble avoir un début de réponse : parce que l’auteur en question y a cogité bien plus que moi. C’est aussi le boulot d’un écrivain de nous rendre plus discerné en essayant de nous faire partager son point de vue, qu’on l’épouse ou pas. Le point de vue, pas l’écrivain.
L’énergie des hypothèses défendues
Vous le voyez, c’est tout ce qui gravite autour d’une bonne idée qui en fait une bonne histoire. Non seulement tenir la promesse qui a incité le lecteur a acheté votre livre, mais aussi ce qu’il y aura d’inattendu dans le traitement que vous en ferez. Quoi que vous ayez à dire sur un sujet, faites-en sorte qu’un brin d’originalité s’y invite. On ne séduit pas en étant quelconque. Si cela doit passer par une once d’extravagance, ne lésinez pas sur les moyens pour que votre idée revête les atours les plus surprenants. Il ne s’agit pas de blablater, mais de construire un attirail intellectuel au service de l’histoire. Je le répète : ayez parmi vos ambitions principales de défendre vos hypothèses auprès de votre lecteur. La conviction donne de l’énergie à notre écriture.
Ne soyez pas un perchiste désillusionné
Ceci considéré, une bonne idée seule ne peut pas créer l’histoire, ni rendre son évolution passionnante. Si vous ne détenez qu’un magnifique concept sans que des personnages haut de gamme et des situations percutantes le soutiennent, vous pouvez remballer la marchandise. L’idée et l’histoire sont deux entités différentes qui se mettent en valeur l’une l’autre, du moins si on ne reste pas les pieds pris dans la certitude cimentée que l’idée en question est aboutie simplement parce qu’on y a pensé. Ce serait croire à tort qu’un élan intellectuel est suffisant pour surmonter tous les obstacles d’un récit. Bien des perchistes ont subi de cruelles désillusions en étant persuadés qu’une excellente course vers le sautoir suffisait à franchir la barre…
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