Un auteur peut avoir du talent, être méthodique, travailler dur, posséder une grande érudition, mais tout cela ne sera pas pleinement valorisé s’il ne consacre pas le temps indispensable à l’acquisition de la base de toute chose : s’entrainer à écrire avec des exercices.
Quel est le point commun entre un pianiste virtuose effectuant ses gammes chaque jour alors qu’il doit se produire sur scène le soir-même, un sportif de haut-niveau pratiquant des étirements au quotidien alors qu’il a l’habitude des compétitions internationales et un écrivain se délassant l’esprit par une approche ludique de l’écriture dès qu’il se met à sa table de travail même s’il compte déjà plusieurs chefs-d’œuvre dans sa bibliographie ? La réponse est simple : la nécessité de se livrer à des exercices permettant de faire courir ses doigts avec une totale maîtrise sur un clavier, d’accomplir les yeux fermés des gestes déstabilisant son adversaire au cours d’une coupe du monde, et, pour les auteurs en herbe ou plus aguerris, d’aborder l’écriture de façon amusante et décontractée. Je suis certain que ce thème exerce déjà sur vous l’envie de vous y mettre…
L’importance des exercices
Oulipo de chambre
Autant le dire d’emblée, ce n’est pas pisser dans un violon que d’utiliser des exercices pour enrichir son écriture. Derrière leur aspect plaisant, ils proposent des défis stimulant la vigueur intellectuelle attachée à la compréhension globale de ce qu’est la littérature combinatoire. Ils contribuent notamment à nous faire réfléchir différemment, à aborder le style par des biais auxquels nous n’avions pas songé, à exploiter nos idées au mieux, à inverser notre système de pensée, etc. À ce titre, l’Ouvroir de littérature potentielle, Oulipo pour les intimes, invite, pour une part, à considérer l’écriture comme des gageures mathématiques que la langue serait chargée de relever. Le fait qu’un mathématicien, François le Lionnais, et un écrivain, Raymond Queneau, en soient les membres fondateurs décrivant les Oulipiens comme des « rats qui ont à construire le labyrinthe dont ils se proposent de sortir » explique la rigoureuse fantaisie qui les animait en lançant ce projet !
Les chinoiseries de la langue française
Les exercices de l’Oulipo sont-ils des casse-tête chinois ? Pardon ? Pourquoi n’ai-je pas mis de « s » à des casse-tête ? Parce que j’éprouve les mêmes réserves pour l’écriture inclusive que celles, à un moindre degré, perçues pour les rectifications de l’orthographe. Ce pourquoi vous n’êtes pas près de me voir écrire « Nénufar » à la place de « Nénuphar ». J’en reste donc à « mes casse-tête » tels que l’orthographe traditionnelle me le suggère. Cela pourrait paraître en inadéquation avec ma mise en avant de la nécessité d’exercices qui pour beaucoup encouragent à sortir des sentiers battus littéraires. Or, cultiver un paradoxe alors qu’il n’est « guère aisé de discerner à l’avance, à partir du seul examen de la graine, ce que sera la saveur d’un fruit nouveau. », comme l’écrit François Le Lionnais, m’autorise me semble-t-il à jeter une pierre dans mon propre jardin, où la curiosité de la découverte le dispute à une partie de moi s’appuyant sur des fondamentaux. Rien que pour cette phrase, je mériterais d’être nommé, à l’ombre de Jacques Bens qui occupa le premier ce poste, « secrétaire provisoire définitif » de l’Oulipo !
Les exercices et l’inspiration
C’est fou comme, lorsque je parle d’une chose ayant trait à ma modeste personne, j’oublie de répondre à une question qu’il me semblait importante de soulever, ce à quoi je vais de suite remédier. Des casse-tête chinois ou pas, ces méthodes oulipiennes ? Le Lionnais, toujours lui, cité par l’écrivain et poète Jean Lescure, disait : « Toute œuvre littéraire se construit à partir d’une inspiration… qui est tenue à s’accommoder tant bien que mal d’une série de contraintes ou de procédés, etc. ». Le même Lescure précisant : « Ce que l’Oulipo entendait montrer, c’est que ces contraintes sont heureuses, généreuses et la littérature même. ».
L’exploration de la littérature
Les éclaireurs de la création
Quant à Queneau, dans son quatrième roman Odile, il écrit ceci : « Le véritable inspiré n’est jamais inspiré : il l’est toujours ; il ne cherche pas l’inspiration et ne s’irrite contre aucune technique. » En résumé, les exercices, techniques, contraintes ou procédés, appelez ça comme vous voulez pourvu que vous en compreniez l’essence, ne sont en rien hostiles à l’inspiration propice à tonifier la création littéraire. Au contraire, les exercices, issus de l’Oulipo ou non, l’éperonnent à tous instants. Lescure, s’appuyant sur la phrase de Queneau, en a déduit que la littérature s’ouvrait « à tous les modes de manipulations possibles. ». Et, partant de là : « Bref, comme les mathématiques, la littérature pouvait s’explorer. ». Les exercices sont donc d’une certaine manière les éclaireurs de la création. Ceux qui devancent le gros de la troupe textuelle pour s’assurer qu’elle s’aventure dans une histoire en étant suffisamment armée.
Les armes littéraires
De quelles armes la création littéraire est-elle censée disposer, à propos ? De la rhétorique ? De l’entraînement aux arts de l’écrit ? Des champs d’expression ? De tout ça et plus encore, sans compter la pléthore de contenus divers que ces classifications générales supposent. Tenez, si je m’arrête seulement aux champs d’expression, le langage en est bien sûr un des piliers. Dans son sillage, on trouve par exemple la linguistique et ses différents domaines, comme l’homonymie, dont on peut se servir pour une autre branche du langage, le calembour :
« Cette partie se jouera à sept.
— Et pourquoi donc cette partie se jouera-t-elle à Sète ? »
J’ai écouté du Brassens hier, voyez à quoi ça tient.
L’ambiguïté permise par l’homonymie permet un effet drolatique dans un dialogue, si tant est que l’on goûte l’esprit calembourgeois dont Monsieur Raymond Devos est l’un des plus dignes représentants. Au cas où vous ne partageriez pas mon avis, je vous invite pour vos prochaines vacances à vérifier si la mer est toujours démontée.
La curiosité est la mère de toutes les surprises
Si l’on souhaite explorer la littérature, la curiosité nous servira bien souvent de guide et nous réservera sans aucun doute quelques surprises, y compris sur nous-mêmes. Ou plutôt, sur notre faculté à pouvoir écrire d’une telle façon au lieu de celle pratiquée d’ordinaire pour la simple raison qu’on ignorait son existence. Là est l’un des intérêts d’accomplir ces exercices : susciter l’envie de partir à la découverte de talents dont nous ne sachions pas être pourvus. Il se trouve que j’ai un fils. Et que mon épouse en a un aussi. Et ? Eh bien, je ne sais par quel miraculeux hasard, mais toujours est-il que le mien et le sien sont la même personne. Deuxième révélation (pff, j’oublie toujours les roulements de tambour dans ces cas-là), notre fils dessine.
De l’art de l’exercice, de l’exercice de l’art
Quinze ans de progrès
Bah pourquoi il nous raconte sa vie, celui-là, êtes-vous en train de grommeler ? Si, madame qui êtes planquée derrière l’extincteur, vous grommeliez ; j’en mettrais ma main au feu. Toujours est-il que c’est en exécutant des centaines d’exercices qu’il possède à présent un niveau de dessin et de coloriste tout à fait honorables. De l’étude anatomique poussée afin que les mouvements de ses personnages aient l’air crédible tant du point de vue de leurs articulations que de la contraction des muscles en fonction de leurs gestes, jusqu’à l’étude approfondie de toutes les proportions nécessaires à restituer avec la plus grande justesse possible les êtres comme les objets, les créatures imaginaires comme les paysages les plus surprenants, en passant par la mémorisation de la moindre mimique d’un visage pour lui donner un côté à la fois réel et expressif, etc. Il a passé près de quinze ans de sa jeune vie à progresser chaque jour. En s’exerçant.
Quand les exercices nous révèlent ce qui est à notre portée
Bon, inutile que je vous fasse à mon tour un dessin pour que vous compreniez la nature du message contenu dans le paragraphe au-dessus, mais tout de même, j’aimerais insister sur un point. En me référant à une évolution dans un domaine artistique n’étant pas le mien, j’ai pu constater de mois en mois et d’année en année, si jamais il m’en fallait la preuve, les bénéfices que l’on tirait du travail de nos prédécesseurs (pour ne pas dire de leurs expérimentations, concernant l’Oulipo). C’est donc fort de cette expérience vécue de l’extérieur que je suis en mesure de vous assurer que cet acharnement à s’inspirer du travail des autres porte ses fruits. Surtout quand, par l’appropriation d’exercices d’apparence simple, ou même plus compliquée, mais en tout cas reproductibles si l’on s’en donne la peine, on libère des côtés créatifs que nous ne soupçonnions même pas, je le répète car c’est important, être à notre portée.
Demandez le programme !
Allez, assez parlé de la famille, si ce n’est pour vous rappeler une dernière fois combien mon fils assure grave en dessin. Celui de ma femme, je ne sais pas, mais le mien, si. Hein ? Ah oui, mince, suis-je distrait ! C’est le même ! Alors que nous touchons (avec les yeux, comme dans les musées) à la fin de ce premier contact sur les exercices plutôt axé pour cet article sur ce qu’on pourrait appeler l’approche philosophique des oulipiens de la littérature – le sujet étant vaste, nous reviendrons forcément vers eux –, je vous conseille vivement de prendre cela avec le sérieux requis, mais toujours dans la bonne humeur, et vous constaterez par vous-mêmes l’impact que le petit programme que je vous ai concocté aura sur votre écriture…
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