Première partie
Écrire sur quelque chose ayant valeur de repère dans notre parcours de vie, ou qui a présidé à notre destinée, est à la fois complexe et stimulant. Complexe en raison du flou laissé par les années enfuies ; stimulant car on trouve là l’occasion de serrer dans nos bras le temps qui a passé. Raviver la mémoire de cette étreinte évanescente, en raconter l’histoire, c’est porter un regard littéraire sur une part de soi. Voyons comment emprunter au mieux ce chemin pavé d’une multitude de pages noircies par d’illustres prédécesseurs…
Passé choisi
Le souvenir exploité
S’appuyer sur une expérience personnelle pour nourrir son écriture n’est pas forcément le signe d’un manque d’inspiration ni la marque d’une plume balbutiante. De nombreux écrivains célèbres très imaginatifs parmi lesquels on compte Jack Kerouac, Albert Camus, Henry Miller, Annie Ernaux, Hervé Bazin, Alexandre Jardin, Virginia Woolf, etc., ont creusé ce sillon. En général, la façon dont un souvenir réel est exploité traduit le degré de maîtrise littéraire de ceux s’attachant à le restituer.
L’organisation du puzzle
Ainsi, une absence de méthode révèle souvent un auteur en herbe. Désireux de ne négliger aucun détail en pensant que là réside le secret d’une retranscription fidèle et efficace de ce qu’il a vécu, il s’éparpille. Or, c’est en voulant tout montrer qu’on ne révèle pas l’essentiel de ce qui s’est passé ; plus précisément, ce qui en constitue le caractère exceptionnel. Un tri est nécessaire, qui s’effectuera selon ce qu’on estime indispensable d’être porté à la connaissance du lecteur. Cela s’organise, les mots d’un puzzle tant émotionnel que mémoriel.
Ce qui nous guide, ce qui nous hante
On doit en premier lieu sélectionner avec soin, entre une foultitude d’événements, celui n’ayant jamais cessé d’habiter nos pensées. Un secret partagé, une passion amoureuse, la mort d’un être cher, un été bleu et jaune dans une maison de campagne, un voyage extraordinaire qu’on ne refera plus, les murmures omniprésents d’une amitié immortelle, une naissance épanouie dans dix albums photo, tous ces rêves qui nous guident et ces chagrins qui nous hantent. Cette priorisation semble évidente, mais c’est vraiment une réflexion importante à mener.
Rémanence et réémergence du vécu
Nourrir l’événement
Parmi ce qui peut guider le choix d’un fait marquant, la résonnance qu’il a encore en nous est à considérer. D’une part il sera plus aisé d’évoquer des émotions baignant notre esprit avec une intensité quasiment intacte ; d’autre part cette prégnance nourrira notre approche de l’événement au moment de se le remémorer. Cette rémanence articulera aisément la mécanique de la machine à réécrire le temps, les plus anciens rouages de la mémoire n’ayant jamais cessé de tourner.
Pour le pire et pour le meilleur
Pour évaluer dans quel mesure un événement nous a influencé au point qu’on décide d’en faire le récit, il est nécessaire de l’observer avec recul tout en conservant en tête ce pourquoi il nous a jadis touché. Parler de soi, c’est comprendre les joies et les épreuves constitutives de notre être. Il est primordial de le prendre en compte lorsqu’on écrit qui l’on est devenu à la lumière d’un fait passé rayonnant en nous avec force. S’il est fréquent d’évoquer un épisode positif, la recherche d’un effet cathartique peut également motiver de relater une épreuve douloureuse. Dans un cas comme dans l’autre, un tel travail littéraire sous-tend le même objectif : l’écriture d’une histoire digne d’intérêt.
Les aspérités du squelette
Dans une histoire, la réémergence d’un vécu doit favoriser l’évolution d’un personnage. Peu importe que cet événement en ait été la cause sur le moment ou participe de ces changements des années, voire des décennies après. Pour intéresser le lecteur, il ne suffit pas de s’en tenir à l’aspect factuel, mais d’expliquer en quoi ce dont on se souvient tient lieu de charnière dans notre développement. Le protagoniste concerné par le fait narré peut bien entendu être entièrement fictif ou pourvu des caractéristiques dessinant entre les phrases le squelette de l’auteur. Cette décision appartient à ce dernier, selon qu’il désire ou non se mettre en scène afin d’exalter une précieuse facette de son vécu. Tout en se rappelant que s’effacer devant son destin n’est pas en gommer les aspérités…
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1 réflexion sur “Écrire sur son vécu”
C’est un article au cœur de la question posée lorsqu’on décide de parler d’un chapelet de souvenirs supposés attirer l’attention de lecteurs potentiels.
Est- ce que ma vie te parle?
Les sinuosités sont elles jumelles
Est-ce que quand je dis je dis nous, comme dit Victor ou Arthur je ne sais plus… j’aime beaucoup cette interrogation, cette demande, cette espérance… un bel écho Frederic .
Je m’interroge également. Merci pour la question .