La lecture, plus sûr chemin vers l’écriture
On peut tout théoriser, appliquer les plus pertinentes des règles en littérature, mais sans une lecture réfléchie, on risque de s’égarer dans ce qu’a de foisonnant l’apprentissage de l’écriture. Aussi quelques sentiers à explorer dans notre façon de lire ne sont-ils pas à sous-estimer.
Savoir lire pour bien écrire : se forger une méthode de lecture
Comment bien lire, en fait ?
J’ai abordé ce sujet par le biais d’une leçon d’Albalat, mais il ne me semble pas épuisable en quelques lignes. Tout n’est jamais dit d’ailleurs, quel que soit le domaine.
Je me suis surpris, en lisant le dernier Stephen King, L’outsider, à me demander, bon sang de bonsoir, comment il parvenait à ce que tant de choses convergent si efficacement. J’utilise le verbe converger en forme de clin d’œil, car il a une certaine importance dans ce roman.
Je précise que je ne suis pas encore parvenu au terme de ce récit – j’en suis environ aux trois quarts –, mais que la mécanique mise en place par King peut s’étudier à n’importe quel stade. Et requiert donc une méthode de lecture s’adaptant par ailleurs à tout auteur.
Faire aboyer notre jugement
En général, je commence un bouquin avec l’esprit critique en muselière : prêt à mordre, mais attendant que je le débarrasse de ses sangles, ce qui intervient souvent après le premier chapitre. Quand l’écrivain m’a fait son offre, en quelque sorte. Un bon écrivain (King étant de ceux-là) sait vous orienter. Pour ne pas dire vous manipuler. Enfin si, disons-le : quand la littérature est bien construite, elle s’apparente à un tour de magie. Et certains sont si doués qu’ils arrivent à sortir un rhinocéros d’un chapeau.
Mais comment ?
C’est là que notre regard doit s’exercer afin d’en retirer, outre le plaisir d’avoir lu, des bénéfices.
Une expérience littéraire modifiant votre écriture
Si vous voulez écrire, si vous souhaitez comprendre le pourquoi de votre fascination pour un auteur, il faut un jour faire « l’effort », après avoir fini un roman, de le reprendre quelques semaines après, de la première à la dernière page. Une expérience susceptible d’enrichir votre écriture.
Oh, pas au paragraphe près, bien sûr. Mais suivre les lignes directrices, oui. Voir comment la romancière ou le romancier nous a mystifiés pour être en passe de reproduire à notre tour certains modèles.
Qu’importe le genre ou l’écrivain : c’est l’arsenal de techniques utilisé qui compte.
Laisser le style de côté pour mieux voir l’ossature d’un texte
Aussi on se débarrassera tout de suite de l’apport du style, lors de cette relecture. Quand il est brillant, il peut camoufler des défauts. Quand il est dénué d’éclat, il est susceptible de masquer les bonnes idées.
Le premier baiser d’une lecture
On connaît tous l’importance de la première phrase. Si elle ne cueille pas aussitôt le lecteur, vous partez avec un léger handicap. Pas insurmontable, certes, mais autant soigner son entrée, n’est-ce pas ? Songez-y comme à un premier baiser, celui qui déterminera le savoir-faire de votre partenaire/écrivain.
Ouvrez vos bréviaires et voyez si ladite phrase est à la hauteur. S’il s’agit d’un auteur dont vous raffolez, vous lui passerez volontiers une petite faiblesse. Soyez toutefois exigeant, voire sévère.
Je vous livre la phrase liminaire de L’outsider :
« C’était une voiture banalisée, une berline américaine quelconque, plus très jeune, mais les pneus à flanc noir et les trois hommes à l’intérieur en trahissaient la nature. »
Eh bien, sous des dehors presque banals, cette introduction m’a paru des plus saillantes. Je me suis interrogé sur l’éventuelle redondance de « banalisée » et « quelconque », et il m’est apparu que c’était un renforcement de quelque chose d’anodin pour mieux rebondir sur le verbe fort qu’est trahir, avec ce qu’il contient d’inquiétant. Les « pneus à flanc noir » et « les trois hommes à l’intérieur » fixent par ailleurs une image.
Une image que double le sentiment d’une menace est un démarrage réussi.
Bien entendu, une première phrase « performante » ne garantit pas la qualité d’un bouquin. Ça fleure quand même bon, lorsque ça se présente ainsi.
Devenez des stratèges du roman
Lire et relire de manière efficiente implique des stratégies de lecteur. Nous participons à l’œuvre en la décortiquant. Chacun ses recettes, évidemment, mais il y a des bases. Tenez, questionnez-vous sur la façon dont un auteur relance la machine d’un paragraphe à l’autre. Étudiez les transitions, et le découpage.
Je vous invite même dès maintenant, avant d’aller plus loin, à prendre un de vos livres préférés afin d’analyser sa structure :
– première phrase
– transitions
– découpage
Peut-être, après vous être livré à ce petit exercice, commencez-vous à en considérer la portée ? C’est d’une lecture, et relecture en l’occurrence, que notre statut de lecteur passif devient actif : en examinant le squelette d’une histoire, paléontologues du talent de qui l’écrit.
Soyez l’élève qui rédige un bulletin de notes
Prenez des notes, aussi. S’il le faut, achetez un autre exemplaire du livre qui va devenir votre sujet d’étude. Si vous estimez qu’une phrase est améliorable, mentionnez-le dans la marge ou en bas de page. Et apportez votre pierre à l’édifice en la réécrivant, si besoin. Il est plus que rare qu’un livre soit peaufiné du premier au dernier mot.
Vous trouvez que le rythme mollit, que l’auteur se perd en digressions ? Biffez, n’hésitez pas. Après tout, vous l’avez payé, ce bouquin. Il ne faut cependant pas en rester au rôle de l’élève corrigeant le maître : on doit s’appliquer à soi-même la rigueur qu’on met à dénicher des failles chez l’autre. Là est tout le bénéfice d’une bonne lecture.
Quand ce livre sera annoté, rougi de vos traits de désaccords, vous pourrez lui ficher la paix un petit moment. Le temps de vous approprier tout son sel et de réfléchir à ce qui vous a séduit dans un premier temps, puis quels passages ont mal supporté un second examen. Ce qui fonctionne, ce qui cloche.
Là encore, il s’agira d’en tirer quelques avantages : où l’auteur aura péché, vous devrez débusquer vos propres travers.
Essayez d’avoir le dernier mot
Autre ressource qu’il nous appartient d’extraire d’une lecture : le vocabulaire. On a tendance à ne pas vérifier le rayonnement entier d’un mot inconnu quand il demeure compréhensible dans le sens de la phrase. C’est une erreur, car en n’en cernant pas tous les contours, on ne saura pas l’employer avec le maximum de pertinence le moment venu.
Il n’y a pas pire lecteur que celui pensant tout savoir ou se contentant du minimum. Celui-là n’apprendra rien d’autre que l’histoire qu’on lui a racontée. Quelle perte !
Chaque livre, même le plus médiocre, peut faire grandir notre logique ou servir de soutènements à notre expérience d’écrivain.
C’est pourquoi il nous revient d’être attentif, et tout en étant dans le confort inégalable d’un excellent roman, voir quels rouages nous le font tant aimer.
Un discours qui nous complète
L’apport non négligeable de la lecture à une compréhension éclairée du monde est à prendre en compte dans notre processus d’appropriation du discours des écrivains. Cela dépasse le seul fait de se constituer un kit d’outillage littéraire, ça nous construit. On écoute des voix nous disant ce qu’est leur univers et quelle place on peut y occuper, puisque nous nous agglomérons à cet espace intellectuel.
La lecture, en ce sens, débarrassée de ses côtés didactique et ludique, devient un prolongement du lecteur que nous sommes. Si cela n’accroîtra pas notre bagage technique, nul doute que le supplément de réflexion acquis augmentera la profondeur de notre écriture.
Est-ce important ? Non. C’est primordial.
Un conseil de fourmi, pour finir : « Vous écriviez ? J’en suis fort aise. Eh bien ! lisez maintenant ! »
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