Première partie
Sans le savoir pour certain(e)s d’entre vous, la leucosélophobie a dû vous frapper. La quoi ? C’est le nom tarabiscoté désignant le syndrome de la page blanche. Je ne l’ai appris qu’à la faveur de cet article, et je pense que je serais incapable de le prononcer sans l’avoir sous les yeux. Mais là n’est pas l’important : nous allons surtout voir ensemble comment se dépatouiller quand l’inspiration a l’air de ficher le camp…
Les sources de distraction
Les fausses vies
Je ne suis inscrit sur aucun réseau social. Je sais que le Net peut-être addictif au-delà du raisonnable, et qu’il peut se révéler si chronophage que le sens des priorités est susceptible de se trouver inversé : plutôt qu’écrire, on visionne tout et n’importe quoi ou on est à l’affût de la moindre notification, certaines personnes les guettant jusqu’à s’en rendre malade. Je ne parle pas d’expérience, mais du moins ai-je entendu ou vu suffisamment d’émissions sur ce sujet pour m’en faire, je pense, une idée correspondant à une réalité non biaisée. Je ne dis pas qu’il faille vivre en vase clos, s’enfermer dans un bunker avec un téléphone en silex doté de touches en bois, non. Simplement, entre deux fausses vies, j’ai choisi celle consistant à écrire.
L’enregistrement
Pourtant, quand j’écris, il m’est impossible que le silence absolu règne dans mon bureau, aussi, soit je mets la radio, soit j’écoute de la musique, mais, dans mon cas, c’est une source d’inspiration, pas un empêchement à aligner des phrases. Les émissions de débat nourrissent naturellement mes articles ou mes nouvelles tandis que je les rédige, même si elles n’ont aucun rapport avec mon sujet. J’ignore par quel mécanisme neuronal, mais le fait est que le cerveau enregistre pas mal de trucs même lorsqu’on n’est pas totalement concentré dessus, et que, d’une façon ou d’une autre, on en restitue certains dans notre texte. Tout comme la musique nous inspire des images sans qu’il soit nécessaire d’y prêter une écoute attentive.
Les petits riens
Toutefois, il est préférable que notre univers d’écrivain soit le moins parasité possible. J’ai lu dans divers articles qu’il fallait par exemple mettre son téléphone en mode avion. Ça doit donner des ailes à l’inspiration, je suppose. On ne s’en rend pas toujours compte, mais on se laisse happer par des petits riens. En fait, si l’on ne se barricade pas dans notre espace d’écrivain, on sera en permanence sollicité, et donc dans l’incapacité d’écrire la moindre ligne. Le monde extérieur à notre imagination en empêche la pleine expression. Il faut être conscient que nous ne sommes pas plus forts que la moindre distraction et qu’elles sont autant de blocages à notre écriture. Alors enfermez-vous à double tour dans la pièce dans laquelle vous écrivez et, si jamais quelqu’un tente d’en forcer la porte, tirez à vue. Oui, je suis partisan des solutions à l’amiable.
Vivre face au peloton
La balle à blanc
La page blanche, ce peut aussi être la crainte que ce que l’on a en tête d’écrire ne suscite pas l’accueil favorable espéré. Et, qu’au contraire, advienne notre mort intellectuelle sous le feu nourri des critiques, peloton d’exécution virtuel nous laissant inerte au pied du mur s’étant construit dans notre esprit avant même que nous ayons écrit le moindre mot. Cette paralysie face à la peur de l’échec est à la fois compréhensible et irrationnelle. Compréhensible, car quoi que l’on entreprenne, le succès n’est pas garanti. Irrationnelle, parce que ce que l’on redoute ne repose sur rien de tangible, si ce n’est notre crainte de ne pas être à la hauteur.
Vous n’êtes pas Mata Hari
Alors, que faire ? Je parlais de peloton d’exécution ; j’ignore si c’est vrai, mais j’ai plusieurs fois entendu que, parmi les tireurs désignés pour abattre un condamné à mort, l’un de leurs fusils était chargé à blanc – autrement appelé balle feuilletée. Ceci afin que les soldats s’acquittant de cette sinistre besogne, dans l’incertitude d’être celui ayant porté le coup fatal, ne soient pas rongés par la culpabilité d’avoir abattu un homme (hormis Mata Hari, je n’ai pas le souvenir d’une femme ayant été fusillée, mais comme on ne retient que les noms célèbres de celles ou ceux ayant subi un sort funeste, je me doute bien qu’elle n’ait pas été la seule à être tombée sous la mitraille). Bon, si j’ai digressé tranquillement dans mon coin, c’était juste pour vous faire comprendre ceci : les critiques, même celles dont on dit qu’elles sont assassines, ne sont que des balles à blanc. Vous n’en mourrez donc pas. Alors vivez !
Gribouillages
Écrire, même mal, mais écrire quand même, est un remède généralement efficace. Pour colorer un peu votre page, lui retirer de sa pâleur. Si ça s’apparente à un gribouillage littéraire, ce n’est pas grave, car il faut conserver cette aptitude à jeter des mots sur le papier, pour ne surtout pas se déshabituer de l’acte d’écrire. Le paragraphe suivant va peut-être vous paraître entrer en contradiction avec ce que je vous conseille là, mais vous verrez que grâce à mon ton convaincant, ma prestance innée et ma modestie sans faille (je dois en oublier, mais ça suffira pour ce passage), vous adhérerez à mon numéro d’équilibriste. Mais si.
De la publicité à Hemingway
Se décoincer les pouces
Si vraiment vous n’arrivez pas à décoincer un mot, faites une pause. Laissez tomber le stylo, éteignez l’ordinateur, bref, relâchez la pression. Pas pendant un an, hein ! Allez, dans ma magnanimité légendaire, je vous laisse une semaine de répit – grand maximum, faut pas exagérer non plus ! Mais durant cette respiration, il ne s’agira pas de se tourner les pouces. Lisez. Rien de tel que de se poser avec un bon bouquin pour recharger les batteries. Ce peut être aussi l’occasion de réviser des techniques d’écriture. Je ne pense pas me tromper en vous disant que L’esprit livre en met pléthore à votre disposition. Bon sang, et dire qu’on ne me file même pas un pourboire quand je fais de la pub pour ma boîte !
Le conseil de Papa
Le conseil d’Ernest Hemingway pour éviter la page blanche (« Papa » étant son surnom) pourrait paraître paradoxal, mais à bien y réfléchir, il possède une logique pouvant générer des effets stimulants : cela consiste à finir sa journée d’écriture alors que les idées nous viennent facilement et que notre écriture est encore fluide. C’est-à-dire, ne pas attendre que notre processus créatif du moment soit au bout du rouleau, afin de mieux reprendre le lendemain sur une dynamique positive, celle où nous avions laissé notre texte la veille. Il est toujours plus difficile de se remettre à sa table de travail en abordant un passage sur lequel on butait. Tout simplement parce que l’effort n’est pas le même de se voir porté par le courant plutôt que de devoir lutter contre lui. Je ne vais pas vous laisser sans vous convier à méditer sur une citation de ce bon vieil Ernest : « Tous les bons livres sont pareils. Ils sont plus vrais qu’aurait pu l’être la réalité. ». Et notre réalité, c’est d’écrire…
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