La disposition
La disposition ou la structuration d’un texte est souvent un pensum pour les auteurs débutants qui préfèrent écrire au fil de la plume. A croire que les mauvais souvenirs hantent encore les consciences avec cette injonction : Faites un plan ! L’écriture est vécue d’une d’abord l’expression d’une liberté personnelle. Frédéric Barbas, en revisitant l’art d’écrire en vingt leçons d’Antoine Albalat vous explique le bien-fondé de cette nécessité.
« On entend par « disposition » la mise en ordre des matériaux, l’art d’ordonner ce que l’on va écrire, ce qui doit passer avant, ce qu’on doit placer après, la vue de l’ensemble d’après les proportions. »
« Quoi que l’on écrive, il faut donc s’emprisonner dans un plan sévère, aussi développé que possible et d’où l’on ne puisse plus dévier. […] Ce travail paraît aride à certains esprits. Ils aiment mieux se fier à leur fécondité. Ils croient pouvoir diriger l’attelage sans tenir les guides. »
De la contrainte à l’organisation de sa pensée
Il est juste qu’a priori, dresser un plan peut paraître contraignant : mettre l’imagination dans un enclos semble de prime abord contre nature, mais finalement, le fait de savoir précisément où l’on va se révèle libérateur. Il arrive, sans la disposition, que l’on ne parvienne pratiquement plus à mettre un pied devant l’autre, et ce surplace peut très vite s’avérer décourageant, au point qu’on finisse par abandonner un projet littéraire pour un autre en pensant, bien souvent à tort, qu’on trouvera là une impulsion nouvelle.
Quand Albalat écrit que l’on doit « ordonner ce que l’on va écrire, ce qui doit passer, ce qu’on doit placer après », on saisit cette notion qu’afin de se montrer le plus percutant possible, il faut être en mesure de définir des priorités. Chacun jugera de la meilleure manière de procéder pour qu’émergent les pensées-phares, tout en ayant constamment à l’esprit qu’il est primordial de ne pas se précipiter, car « C’est lorsqu’un sujet est encore en morceaux, en matériaux, qu’il faut couper et trier. ». Ce conseil d’Albalat peut sembler anodin, mais en vérité il vous épargnera de fastidieuses retouches, des tâtonnements qui épuiseront votre intellect.
Canalisez vos élans créatifs
Tout écrivain connaît des ébullitions inspirées, des moments bénis où les mots s’imposent avec une évidence telle qu’il est difficile de ne pas noircir des pages, soucieux de ne rien perdre de cet élan qui semble devoir donner des bottes de sept lieues à son histoire. Il est presque inévitable, lors de ces phases créatrices, de s’abandonner à son art sans voir plus loin que le bout de son nez, au risque de se retrouver avec un trop-plein de matière dont on ne sait plus quoi trop faire : rien n’est lié, on se retrouve face à de longs passages dont il nous revient de les débarrasser de leurs scories, et plus embêtant, on n’a pas réfléchi au coup d’après. Bref, pris dans l’allégresse de créer, on n’a pas bûché notre sujet. Quand on pensait avoir donné un coup d’accélérateur à son récit, en l’absence de plan, on constate les dégâts : on a jeté un pont qui ne nous permet pas d’atteindre l’autre rive. Voilà en quoi la disposition est indispensable pour ne pas rester au milieu du gué.
Bien sûr, il ne s’agit pas de se réfréner à chaque coin de phrase, sinon on ne progresserait guère, mais s’inscrire dans un cadre bien défini, que ce soit à l’horizon d’un paragraphe, d’une page ou d’un chapitre, permet d’évoluer avec beaucoup plus d’efficacité, et donc de nous laisser suffisamment de ressources pour que notre esprit ne soit pas parasité par des éléments qui le ralentissent.
Savoir où l’on va pour orienter la conscience de son lecteur
La disposition offre à celle ou celui qui décide de la mettre en œuvre l’opportunité de ne pas s’égarer dans la volubilité inopérante. Cadrer son propos, c’est en délivrer la quintessence à son lecteur. En tant qu’écrivain, on se doit de poser des bornes à notre pensée pour que le lecteur y accède sans difficultés. On pourrait presque parler de tactique quand vient le moment d’aligner nos mots. D’astuce. Il faut parfois ruser pour attirer l’attention, et on ne saurait mieux le faire qu’avec un plan, hors d’une construction hâtive. Les idées sont bonifiées quand elles s’appuient sur quelque chose de solide, un soutien qui les met en valeur. Il faut être le mécanicien de son âme, celui qui règle les boulons pour que la machine tourne.
Un écrivain qui débute, et c’est une tendance naturelle, ne travaille pas avec l’application requise la construction de son intrigue. Tout doit jaillir et s’imposer. Évidemment, c’est une erreur. Si l’on veut être persuasif, donner du coffre à notre texte, demeurer cohérent, il est bon d’en évacuer les lacunes par avance, en montant un édifice qui fera que tout tient. Ce plan, que tant redoutent, est un passage incontournable. Cela demande des efforts, des heures de concentration, mais au final ça paie. Il existe sûrement quelques contre-exemples, certes, des femmes et des hommes d’exception disposant d’une clarté d’esprit hors du commun leur autorisant à ne façonner qu’une ébauche de plan sur laquelle ils s’appuieront avec succès, mais il ne faut pas en tirer un modèle.
La disposition, c’est l’inspiration calibrée.