Deuxième partie – la lecture à voix haute
Une réécriture efficace doit dans un premier temps permettre à votre texte de respirer. On a vu précédemment divers moyens d’y parvenir. Ils sont faciles à mettre en œuvre, mais exigent rigueur et investissement de tous les instants. Découpage des phrases longues, suppression des mots inutiles, reformulation des tournures pesantes sont autant de techniques déblayant la voie jusqu’à une lisibilité optimale. Afin de débusquer ces passages où votre talent et vos efforts sont requis, la lecture à voix haute se révèle être une précieuse alliée…
Quand les mots nous sortent par les yeux…
…ils nous tombent dans les oreilles
La clarification d’un texte est la base de la réécriture. J’ai déjà brièvement évoqué la relecture à voix haute comme outil d’évaluation de nos écrits. J’aimerais ici m’attarder sur l’effet que cela produit sur notre perception, et pourquoi. Lire à voix haute ralentit notre rythme de lecture par rapport à celui avec lequel on intègre visuellement un texte. Un ralentissement mettant en exergue des erreurs ou des incohérences étant passées entre les mailles d’une lecture muette. Sûrement le petit tour d’horizon que nous allons faire de ces étourderies plus ou moins grossières vous incitera-t-il à élever la voix…
La redécouverte de vos mots
Que voient donc nos oreilles que nos yeux n’ont su entendre ? Je vous garantis une redécouverte de vos propres mots et de la façon dont vous les avez agencés quand vous les extirperez des sillons d’encre de votre page. Ici, la construction bancale d’une phrase vous sautera au visage – le manque d’aisance de votre diction vous indiquera qu’une ponctuation imprécise en est la cause. Là, une rupture de logique de votre discours vous apparaîtra en butant sur l’enchaînement de deux paragraphes – il manquait une liaison dont l’absence fautive vous interpellera au moment précis de passer de l’un à l’autre. Attendez, il en reste…
Dans le creux de l’oreille
Après s’être raclé la gorge pour se lancer dans la mise en voix d’un dialogue, il arrive que cela coince au bout de trois répliques : les propos échangés par vos personnages sont à ce point dénués de naturel que vous avez l’impression de réciter une liste de courses. Pourtant convaincu jusque-là « d’entendre » vos protagonistes se livrer à un ping-pong verbal de qualité, le doter d’un relief sonore aura suffi à constater combien il sonne creux dans le silence de votre bureau. Ne le jugez pas avec sévérité, mais saisissez votre chance de l’étoffer une fois ses failles repérées.
Musique !
Une conversation sérieuse
Rien de tel que le son pour éprouver la musicalité d’un texte à travers les mots qui se répondent et les phrases qui s’enchaînent. Les combinaisons permises par la richesse du vocabulaire sont innombrables. Si certaines font agréablement tinter les paragraphes, d’autres en ruinent l’harmonie. En dépit des apparences, il se peut donc que des appariements lexicaux flattent l’œil
mais irritent l’oreille, et il n’existe que l’oralité pour le vérifier. Il serait grand temps que vous ayez une conversation sérieuse avec votre imagination, non ?
La lumière des cordes vocales
Si la (re)lecture à voix haute est à ce point précieuse pour l’embellissement de votre écriture, c’est notamment car elle sollicite bien plus de processus cognitifs que l’habituel « scanner » de notre regard. On se prive donc d’atouts de correction essentiels en n’y recourant pas. Il ne s’agit pas d’une légende flaubertienne où le gueuloir équivaudrait au graal de l’écrivain. Tous les orthophonistes vous le confirmeront : un texte hissé à la surface de la conscience à l’aide de cordes vocales bénéficiera d’un nouvel éclairage. À vous de gommer chaque défaut que cette lumière révèle en vue d’une amélioration significative.
L’intimité du personnage
Savoir-faire et vibration
« S’entendre écrire » favorise une approche purement technique de la réécriture, mais un autre aspect, plus subtil peut-être, n’est pas à négliger : le ressenti émotionnel procuré par la mise en voix de nos personnages. Considérer la portée de nos mots, évaluer la justesse de leur rythme et la pertinence de leur assemblage fait appel à nos savoir-faire d’auteur. Éprouver la vibration d’un être qu’on invente en appelle presque à l’intime…
La naissance
Sans vous en rendre compte, vous modulerez votre voix de façon à la rapprocher de celle avec laquelle vous imaginez votre personnage s’exprimer. Il souffre ? Votre intonation se différenciera des moments où son cœur est empli d’allégresse. D’une manière ou d’une autre, cela lui donnera davantage d’épaisseur que si vous l’aviez pour toujours condamné au silence. Jusqu’alors chair de papier et sang d’encre, il se mettra métaphoriquement à exister quand vous ouvrirez les lèvres : parlez, vous lui donnerez naissance…