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Pourquoi James Patrick Donleavy est-il (si) génial ?

Sommaire

POURQUOI JAMES PATRICK DONLEAVY EST-IL (si) GÉNIAL ?

S’il suffisait de follement plaire à ses lecteurs pour passer pour génial, ce serait presque facile ! Derrière cet engouement, chaque écrivain génial à un tour de main pour devenir inimitable. Si Donleavy bouscule la phrase et déstabilise nos habitudes de lecteur, c’est pour mieux nous éblouir avec un style précis, des personnages hors norme et un humour si personnel et attachant qu’il reste à inventer un adjectif pour le qualifier…

UN AUTEUR QUI SURPREND

Donleavy, c’est cet auteur irlando-américain qui a vu son roman « L’homme de gingembre » paraître à Londres et aux Etats-Unis dans une version expurgée. Scandale ! Qu’importe, le bonhomme se taillera une réputation d’auteur sulfureux au cours d’une longue carrière littéraire, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs.

On se demande ce qu’il nous arrive quand on lit son premier Donleavy. Qu’est-ce que cet auteur a fait de la ponctuation ? Il éclaircit la phrase comme on enlève la mauvaise herbe. À croire qu’il jardine l’écriture avec la détermination d’un terrassier et sème des points à la volée.

Pourquoi ce new-yorkais parvient-il à pelleter la terre d’Irlande pour nous la renvoyer en pleine figure dans un geste plein de rudesse et de tendresse ?

Parce que Donleavy est (un peu) exigeant, car il nous demande une lecture autre en même temps qu’il provoque l’envie de le découvrir. On assiste, fasciné, à la façon dont il campe ses personnages, on se dit qu’il est définitivement hors norme. Et c’est là qu’à sa façon désinvolte, il interroge son lecteur, lui demandant s’il est prêt à le suivre.

« Je m’arrête. Lève les yeux. Me barrant la route, un visage sorti de l’époque où j’étais étudiant. »

Ses points se baladent se justifient. Ces phrases apparemment bancales feraient hurler tous les professeurs de français. Le traducteur n’a pas dû s’amuser… Un écrivain sait créer du sens et du rythme dans la phrase… et là il le démontre pleinement en faisant fi des conventions ordinaires de l’écriture.

DERRIÈRE LE HÂBLEUR, UN STYLE PRÉCIS

On peut prendre au hasard les premières lignes de ses romans, on sera toujours séduits, voire surpris. Des exemples : « Aujourd’hui un maigre soleil de printemps. Des charrettes roulant bruyamment vers les quais le long de Tara Street et les gosses blafards, sans souliers, qui crient. » (« L’homme de gingembre »). Un maigre soleil, cette énorme boule de feu ? Donleavy rapetisse d’emblée l’incommensurable. Les gosses sont blafards, signe que l’astre déserte la contrée. Il installe une ambiance en quelques mots, et l’on se sent tout de suite pris en main. Donleavy est malin, subtil et choquant comme nous le verrons plus tard.

C’est surtout un auteur malicieux qui nous nourrit d’une littérature jubilatoire. « Le destin de Darcy Dancer, gentleman » commence ainsi : « Des lambeaux de ciel bleu entre les nuages mornes, en cette froide veille de Noël tandis que l’hiver s’embusquait au fin fond des terres d’Irlande. » ; là encore, le décor est posé. L’hiver qui s’embusque, ce n’est pas rien, on le sent prêt à nous sauter à la gorge.

UN ÉCRIVAIN MANIEUR D’ÉMOTIONS

« Un mois de fortes gelées, juste avant Noël. Ils m’ont appris par téléphone qu’il était mort. […] Chargé dans le train pour une nuit solitaire en direction du nord, enroulé dans un drapeau rabattu sur son blond visage et son sourire figé. […] Je me tenais derrière les autres et je ne l’ai pas vu mettre en terre. Ses petites amies pleuraient et l’une d’elles hurlait ; il a fallu la retenir et elle s’est laissée tomber à genoux, ses bas de nylon s’enfonçant dans la boue ; chacun de nous s’est mis à prier et à se parler à lui-même. » (« Un ami », dans « La sale saison de Samuel S »).

Son humour traverse ses romans et transperce le lecteur, l’épinglant au détour d’une phrase inattendue ou l’éclaboussant d’une drôlerie faussement candide. Et ce n’est pas tout. Son esprit licencieux s’exerce de manière comique ou touchante, ce qui fait de lui un auteur complet et complexe. Il sait à la fois se montrer corrosif et émouvant, fichant parfois, quand on referme l’un de ses romans, un éclat de rire dans un élan nostalgique. Bizarrement, son héros semble presque toujours être le même au fil de ses livres ; qu’il s’agisse d’un être enchanté ou désespéré, il conserve le même ton ironique et désabusé. Il transcende souvent le désespoir pour aboutir sur des pouffements retenus.

Quand on lit Donleavy, on se rend compte de la puissance de sa littérature, mais ce n’est qu’un des pans de son art.

UN ÉROTISME HILARANT

Le rapport au sexe est prégnant dans l’œuvre de Donleavy, souvent de façon humoristique, comme en témoigne ce passage de « Mangeurs d’oignons » :

« Je sais que cette particularité physique, trois testicules pour un seul homme, a été dûment authentifiée, mais ce que je me demande, c’est comment on peut hériter d’une anomalie aussi incroyable. » L’anormalité ne le dérange pas, son burlesque s’en goinfre. Les rapports charnels donnent toujours lieu à des scènes piquantes, voire délirantes. Ce n’est jamais vulgaire, simplement outrancier, et toujours un régal. L’amour avec un grand A n’est jamais très loin, mais on se demande avec Donleavy s’il n’est pas inaccessible. Les personnages féminins ont une grande importance dans son œuvre, tant il scrute les femmes avec une douce avidité. Aucun détail de la beauté du sexe faible ne lui échappe, il s’en délecte.

On ressort parfois essoré de passions compliquées ou de destins tragiques, signes que notre homme, derrière sa façade souriante, a ses pudeurs. De la grivoiserie noyée dans des fûts de stout, Donleavy compose une œuvre délicieusement chaotique où l’amour et l’argent tiennent leur place. On trouvera sous sa plume des personnages à la dérive qui finissent par tirer leur épingle du jeu et des situations improbables à hurler de rire !

POURQUOI FAUT-IL LIRE DONLEAVY ?

C’est un vieil homme à présent, on doute qu’il écrive un nouveau roman, mais sa truculence demeure à travers son œuvre. Le lire, c’est accomplir un voyage en Irlande sans frais de soute.  Il fait partie de ces rares auteurs capables de ré-imaginer la littérature. Il sait vous rendre complice de son talent, à telle enseigne qu’on a envie de lui emboîter le pas, en toute humilité. Ne pas lire Donleavy, c’est se priver d’une source de joie.

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