Dans l’écriture, les images s’appellent des métaphores. Ces figures de style s’élaborent patiemment, méthodiquement et font appel à un sens de l’esthétisme. Si elles ont la capacité de ravir les lecteurs. Les métaphores éculées, insignifiantes ou encore ridicules les feront fuir. Dans cet article Frédéric Barbas commente Antoine Albalat et son art d’écrire en 20 leçons.
« Nous ne parlerons que des métaphores ou plutôt des images, car la métaphore est toujours une image. La métaphore […] est une transition par comparaison instantanée. »
« La métaphore est une image résultant d’une comparaison sous-entendue. Mais une image n’est pas toujours une métaphore. L’image est une manière forte d’écrire, une façon de rendre un objet plus sensible. »
Le banal inspiré
Autant commencer par un exemple de qualité que nous devons à Lamartine : « La coupe de mes jours s’est brisée encore pleine. » À l’instar de cette coupe, peu de mots suffisent à Lamartine pour contenir beaucoup : cette vie écourtée (Albalat appelle cette idée « Je meurs avant le temps »), on la voit se répandre en un éclair. Tel est le pouvoir d’une métaphore. Elle provoque un étonnement admiratif chez qui la découvre et comprend que pour surgisse un sentiment avec tant de force et d’élégance, l’auteur a dû ramasser ses idées, réfléchir non seulement à ce dont il voulait parler, mais aussi trouver un attelage tel qu’il séduise par son originalité et sa pertinence.
Pour caricaturer, un écrivain moyennement doué, à propos d’un décès survenu prématurément, aurait écrit « La faucheuse est passée trop tôt pour lui », ou quelque autre expression quasiment toute faite d’une affligeante pauvreté stylistique.
Lamartine ne cède rien à la facilité, se privant du chemin praticable pour emprunter celui qu’il faut débroussailler : ni la mort, ni la vie, n’apparaissent en toutes lettres dans sa phrase, aussi met-il sa finesse d’esprit à contribution afin de parvenir à proposer une formule qui les évoque avec subtilité. Sans un mot de trop. C’est à ce tour de force sans cesse renouvelé que l’excellence nous contraint si on ambitionne un niveau littéraire de haute volée.
Il n’est pas indispensable d’user d’un vocabulaire rare pour asseoir brillamment son idée, la métaphore de Lamartine en atteste. Si le verbe « briser » accentue l’irréparable de sa pensée bien plus que par exemple « casser » ne l’aurait permis, il appartient toutefois au « registre commun », qu’il transforme en ce qu’on pourrait nommer le « banal inspiré ».
Comment construire ses métaphores ?
Ce que vous devez éviter absolument !
« Évitez les images (images ou métaphores) :
1° Quand elles sont forcées, prises de trop loin, et dont le rapport n’est point assez naturel, ni la comparaison assez sensible.
2° Quand elles sont tirées d’objets bas et dégoûtants. C’est ainsi que Turtellien dit en parlant du déluge universel :
Le déluge fut la lessive générale de la nature ;
Et Benserade :
Dieu lava bien la tête à son image.
3° Quand les termes métaphoriques, dont l’un est dit de l’autre, excitent des idées qui ne peuvent être liées.
Le jokari de la pensée
Le premier point est important ; employer une métaphore implique une relative proximité des éléments à comparer, sans quoi le lien entre eux ne s’effectuera qu’au prix d’une longue réflexion, alors que cela doit s’imposer immédiatement et sans effort à l’esprit du lecteur : la métaphore, c’est une image qu’on lance comme une balle de Jokari, revenant automatiquement et subitement vers son socle, la chose comparée.
Pour forcer le trait et surtout s’amuser, on pourrait estimer d’une comparaison qu’elle n’est pas assez sensible si l’on écrit par exemple : « En deux bonds, elle se rua vers lui comme un escargot. » ; à moins de souhaiter obtenir un effet comique, on s’abstiendra de ce type de rapprochement pour le moins hasardeux… (ou on tentera la variante du kangourou).
Osez l’encre putride
Le deuxième point n’a à mon sens pas ou plus lieu d’être : se voir présenter par Albalat deux phrases d’une médiocrité extrême n’interdit pas de recourir à des termes « bas et dégoûtants » (ce qui reste subjectif) si l’on considère qu’ils servent au mieux notre propos ; si je veux décrire le Déluge autrement qu’en ayant des papillons et des fleurs au bout de mon stylo, pourquoi, après tout, ne « commettrais-je » pas une image comme « Les cieux vomirent la rage divine durant quarante jours » (certes très convenu, mais vous voyez l’idée) ?
Il n’y a rien d’avilissant à maculer son texte de boue, voire bien pire ; qu’importe le flacon, même si l’encre est putride, pourvu qu’on ait l’ivresse d’une phrase sapide.
Ne pas bâtir dans l’ouragan
Le troisième point fait appel à une règle simple : une phrase, une idée. Il est improductif, on dira mieux fautif, de noyer une métaphore dans différentes comparaisons, comme c’est le cas dans l’extrait suivant, la surabondance finissant par choquer la logique ; je ne veux dénoncer personne, mais c’est de Malherbe :
« Prends la foudre, Louis, et va comme un lion
Porter le dernier coup à la dernière tête
De la rébellion. »
Voilà un Louis qui non content d’être foudroyant, se veut aussi fauve vengeur, et ultime coupeur de tête rebelle… on ne s’y retrouve pas, le sens est perdu et aucune ligne directrice n’est tracée. D’une soudaine profusion d’idées, la phrase se fait liasse épaisse dont la ganse se déchire, et tout s’éparpille…
Il faut gérer son inspiration, aussi inattendue, voire inespérée soit-elle. Nul besoin de mettre en forme quand un bouillonnement se produit dans notre esprit, si intense que, craignant de perdre un trait jugé unique, une formule qu’on pense à jamais irremplaçable, on agence à la va-vite, quand il faudrait surtout sauver ce qui peut l’être. Ne pas confondre vitesse et précipitation est alors primordial : le mieux, peut-être, est de noter tout ce qui vient, en bloc, sans chercher à lier ou à développer dans l’instant, sans construire ; ça viendra plus tard, pourvu qu’on ait pris soin de lister mots clés, bouts de phrases et amorces de contenus, précieux charabia. Il faut s’y résoudre : on ne bâtit pas pendant un ouragan
Voici, pour sourire, le résultat sans retouche d’un tel exercice quand, en début de leçon, au moment de commenter la phrase de Lamartine, j’ai un peu pris la marée : Motssimplessaufbriser plutôt que casseraccentuation vie/mort pas nommé étonne admiration viserhaut mots accueillent l’idée la coupe pareil exemple pauvrefaucheuse.
Les plus observateurs d’entre vous auront remarqué que la barre d’espacement de mon clavier d’ordinateur connaît quelques faiblesses. Plus sérieusement, de ce salmigondis, je suis parvenu à tirer assez de matériau pour ensuite, plus posément, une étape après l’autre, travailler les articulations, nouer mes idées, bref, préserver l’essentiel et ordonner hors de la frénésie.
Le suicide des idées l’agonie du style
« C’est l’imagination qui fait trouver les images. Or, l’imagination est facilement déréglée, et, si on se laisse entraîner, on émaillera son style d’une ornementation à outrance, voisine du grotesque et de l’incohérent. […] La préciosité et l’affectation des images sont insupportables. Tout esprit raisonnable doit les fuir. Molière nous a conservé de jolis exemples de ce jargon :
Voiturez-nous les commodités de la conversation, pour : approchez des fauteuils.
Contentez l’envie que ce fauteuil a de vous embrasser, pour : asseyez-vous. »
Ce bon Jean-Baptiste Poquelin, ayant à travers les auto-rebaptisées Aminte et Polixène brocardé la préciosité du style (« Les précieuses ridicules »), me semblait tout indiqué pour, avec ces perles issues de son esprit tant facétieux que jubilant, brièvement aborder la tentation de surcharger sa prose.
On dit que le ridicule ne tue pas, mais en littérature, il peut conduire au suicide des idées et à l’agonie du style. Sans connaître un sort aussi funeste, on a pu voir dans un échantillon où Barbey D’Aurevevilly faisait assaut de fantaisie : ses phrases ployaient sous d’inutiles complications. Bien sûr, c’est la plupart du temps sous le regard d’un autre que l’apprêt prend sa dimension la moins reluisante : là où se révèlent envolées prétentieuses et maniérisme, celui qui en use et en abuse, le nez sur sa feuille ou son écran, voit éclats poétiques et talent scintillant.
La tendance à trop en faire ne reflète pas obligatoirement un tempérament vaniteux ou une vision altérée de ses propres dispositions littéraires, mais parfois la recherche d’esthétisme à tous crins prend le pas sur la lucidité, et on s’illusionne quant à la capacité de la beauté à étayer un raisonnement, à créer un contenu. Certains estiment aussi tout bonnement que l’art de l’enjolivement se suffit à lui-même et relèguent le fond au second plan, quand fond il y a.
« Les images sont comme ces météores qui embellissent les nuits d’été et rayent les ciels purs : elles doivent être nombreuses, briller, et s’éteindre vite. »
C’est ma foi si joliment écrit que cette leçon s’achèvera ainsi…
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