Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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20 bonnes raisons de devenir écrivain – élocution – 11

Un papillon, des mots

Sommaire

L’élocution, dans l’écriture, désigne à la fois l’art de choisir les mots justes et de les ordonner dans des phrases. L’élocution est la cinquième grande partie de la rhétorique. Elle conditionne la clarté du texte et utilise des figures de style. Dans cet article, Frédéric Barbas, correcteur d’édition, revisite les leçons d’Antoine Albalat et vous explique concrêtement à quoi correspond ce travail d’écriture et comment le mener pour insuffler du style à vos textes .

« L’élocution […] est l’invention des mots au lieu d’être l’invention du sujet. Il s’agissait de trouver le fond ; il s’agit maintenant de trouver la forme. Nous étions dans la préparation ; nous sommes à présent dans l’exécution technique du style. »
Antoine Albalat, l’art d’écrire enseigne en vingt leçons.

Avant d’aborder cette leçon, il me semble qu’une précision s’impose à mi-parcours, pour ceux qui trouveraient qu’Albalat se répète parfois : il le concède volontiers, expliquant que « C’est l’inconvénient d’un traité de l’art d’écrire de ne pouvoir bien délimiter des chapitres qui, par leur nature même, se ressemblent et se confondent. »

Aussi est-il normal que, de manière plus ou moins fréquente, se dessinent des thèmes récurrents, l’important étant de les traiter sous le plus d’angles possibles afin que l’auteur débutant trouve les bases indispensables à son art et qu’un écrivain plus averti y puise de nouvelles ressources.

Un travail stylistique original

Ecrire, acte pluriel

« […] il s’agit non seulement d’exprimer des pensées, mais d’en inventer au fur et à mesure que s’opère ce travail d’élocution. […] D’ailleurs, dès qu’on se met à écrire, toutes les opérations qui constituent l’art d’écrire entrent en jeu simultanément. On crée, on ordonne, on colore… »

Si Albalat nous dit par ailleurs que dissocier différentes étapes se révèle incontournable quand on veut tirer son texte vers le haut (j’y reviendrai), un processus mental qui est propre à chacun d’entre nous permet d’un autre côté de regrouper nos aptitudes afin d’élaborer une suite de phrases qui fassent sens, grâce à certains automatismes que nos pensées produisent sans qu’on ait à les solliciter.

Ce bloc de travail inconscient, sorte de couteau suisse dont toutes les lames sont en permanence disponibles, chaque personne amenée à écrire se l’est constitué au cours de son existence, à travers diverses sensations, à l’aide de tout ce que le cerveau retient de chaque lecture. Nous y avons recours à la moindre activité intellectuelle, des plus basiques, dans le sens où elles ne réclament pas d’assemblages complexes telle que la littérature en exige (des mots croisés ou un jeu comme le Scrabble, par exemple), à celles qui nécessitent que des techniques inhérentes au métier d’écrivain entrent en œuvre, ce qu’Albalat appelle « l’exécution technique du style ».

Les brocanteurs de la littérature

Voici ce à quoi Albalat nous invite à nous astreindre (les différentes étapes) pour transformer le plomb qui alourdit notre prose en l’or qui l’illumine :

« Certains professeurs conseillent d’écrire tout ce qui vous passe par la tête, de donner libre carrière à l’inspiration […] C’est, je crois, une méthode dangereuse. […] on risque si souvent de rabâcher, qu’il faut se décider à ne tracer d’abord que ce qui vous paraît à peu près neuf. C’est en cela que consiste le relief et le talent. Dès le début, par conséquent, on s’efforcera de n’écrire que des pensées saillantes ; on se mettra à l’œuvre avec la résolution formelle de rajeunir les idées, en tâchant de les voir autrement, afin de les dire autrement. »

Quand on débute dans le métier d’écrivain, on pense souvent qu’une phrase plaira parce qu’elle vient de jaillir de notre esprit fécond, l’immédiateté valant qualité. Il arrive que ce soit le cas, qu’une pensée ne présentant pas le moindre accroc se dépose sur le papier comme si cent fois on l’avait remaniée. Mais la plupart du temps, c’est tout l’inverse qui se produit, car comme le disait Buffon, cité par Albalat, « Le génie n’est qu’une longue patience. »

L’auteur nous conseille de viser le neuf, et de s’acharner sur son texte jusqu’à ce que l’on ne puisse plus remplacer un mot par un autre, mais là n’est pas « l’art du neuf ». Si l’on se cantonne à répéter ce que d’autres ont dit avant nous, ah quoi bon ? Se contenter d’être un brocanteur de la littérature ne nous apportera aucune satisfaction : refourguer de vieilles lunes à notre lecteur n’a rien de valorisant.

L’effleurement du cadre : la modestie dans l’invention

Ça a déjà été évoqué ici, un écrivain, à présent que des millions de livres ont été écrits, brassant des myriades d’idées, n’inventera plus grand-chose de nature à révolutionner la littérature, voire rien du tout. L’Oulipo (L’Ouvroir de littérature potentielle) étant notamment passé par là, avec ses dérives farfelues, ses théories savantes, ses approches inattendues de l’art d’écrire et ses audaces, les tentatives de proposer une originalité qui s’impose dans la façon d’ouvrager ses phrases se font désormais rares.

On ne doit cependant pas renoncer à ce que notre voix porte de façon singulière à travers des sujets rebattus ; tous ou presque, bien qu’ayant été traités au point d’être usés jusqu’à la corde, conservent une possibilité qu’un argument mille fois avancé se teinte d’une nuance qui, sans changer en profondeur ce qui a déjà été dit, puisse colorer un discours : on ne repeint pas le tableau, on en effleure juste le cadre.

Ça peut parfois suffire pour qu’en faussant un peu le regard du lecteur, cela l’oblige à réviser une opinion qu’il croyait figée, cela pouvant consister en un simple pas de côté jusqu’au changement d’aiguillage de sa pensée. Pour parvenir à ce résultat, pour qu’en tant qu’auteur on se montre suffisamment persuasif afin d’orienter la réflexion d’une personne vers une direction à laquelle elle n’avait jamais songé, il faut se convaincre qu’un mot plutôt qu’un autre fera pencher la balance en votre faveur.

Le tympan du regard

S’il ne s’agit pas de tout reformuler avec facticité, on peut se débrouiller, afin de dépoussiérer les phrases frappées d’obsolescence, pour trouver la sonorité qui enchantera d’une note moderne le tympan du regard (voyez dans cette expression la façon dont on s’entend penser, quand on lit, en même temps que l’auteur nous parle). On le sait, il faut que les mots s’agrippent et qu’ils tiennent ferme pour donner de la consistance à sa prose, mais même cela réalisé, ça ne suffit pas à ce qu’un ton novateur se dégage.

En 2016, on a estimé à environ cent-cinquante le nombre d’entrées dans les dictionnaires de référence, soit peu de nouveau grain à moudre, finalement. On doit donc faire avec l’existant, qui, s’il relève d’une richesse quasiment inépuisable, n’est exploité qu’à la marge : un adulte utiliserait en moyenne de trois mille à trente mille mots (selon qu’un individu est cultivé ou pas, avec la part d’interprétation que cela suppose), quand on sait que ces mêmes dictionnaires proposent entre soixante et cent mille noms communs. Bien sûr, en piochant au hasard dans ces ouvrages, on se rend rapidement compte qu’il serait risible d’utiliser certains termes en raison du peu d’usage que l’on en a.

Hormis pour traiter de domaines très spécialisés, on ne s’attachera pas les services de mots dont la signification échappe au commun des mortels, sous peine de paraître élitiste. Bien sûr, des cas particuliers font qu’on ne doit rien s’interdire ; il nous revient d’être précis, et si cela passe par un mot peu usité, nécessité fait loi. La rareté peut amener du neuf si elle n’est pas tape-à-l’œil. Sinon, ça se résume à de la gonflette littéraire, et très vite, le muscle s’affaisse.

Battre le fer quand il est froid : la lucidité exige du recul

« Un premier jet ne peut être définitif, parce qu’on est trop échauffé, parce qu’on ne voit pas assez lucidement ce qu’on écrit ; la science du style ne s’exerce véritablement que sur une inspiration déjà refroidie. »

Curieux métier que celui d’écrivain, qui veut que l’esprit s’échauffe avant que de refroidir. Un forgeron ne procède pas ainsi quand vient le moment où le marteau doit frapper l’enclume, mais l’auteur, lui, doit agir différemment.

Crachez dans le volcan : les processus de mûrissement et de réécriture créatives

L’exaltation

Quand l’exaltation d’une énergie créatrice se manifeste en nous, il est indispensable de lui opposer sans tarder la glaciation intellectuelle qui fera qu’on fige son regard sur les imperfections de notre style. Il faut de la lave attendre qu’elle refroidisse, qu’elle forme roche, bloc solide de notre pensée. Si la tâche peut sembler parfois aussi ardue que cracher dans un volcan en vue d’en empêcher l’éruption, on ne réservera pas sa salive pour autant, car l’écriture, quand on la veut rigoureuse, implique un total don de soi. Qui n’a pas compris ça finira par jeter encre, papier et clavier dans le dépotoir où les velléités se chevauchent.

Se relire avec recul

Se relire quand nos phrases ont bénéficié d’un sommeil suffisant, celui que permet l’absence des projecteurs en surchauffe que nos yeux deviennent quand la contemplation l’emporte sur l’humilité, est l’un des actes majeurs du métier d’écrivain.

Laisser passer le temps pour pouvoir se relire comme on lirait un autre, l’inconnu de nous-même, est le sentier qu’ont emprunté bien des écrivains. Un auteur dont Albalat ne cite pas le nom peut avoir valeur d’exemple à ne pas suivre s’agissant d’une littérature commise par facilité dont voici un extrait : « La campagne rayonnait de gaieté matinale ; les arbres et les fleurs sauvages semblaient tressaillir aux premières caresses du soleil et se purifier sous la rosée des souillures de la nuit ; l’air était harmonieux du chant des petits oiseaux, du roucoulement des tourterelles grises et de la joyeuse symphonie des eaux vives, jouant avec les brins d’herbe et la tige flottante des iris… ».

Devenir critique de soi-même

Dans ce texte, Albalat ne repêche que se purifier des souillures de la nuit et la symphonie des eaux vives. Pour le reste, il estime qu’il n’y a pas « un trait à garder », que « tout est du clinquant suranné ». Il est vrai que ce passage grouille d’expressions plates, on croirait que s’exposent les balbutiements d’un mauvais poète. C’est pauvre et convenu, il n’y a aucun rythme, et pire que tout peut-être, l’auteur parlant de l’Inde ne transmet rien de caractéristique à son lecteur, l’endroit dépeint ne dégage pas de saveurs tranchantes pouvant le différencier d’un autre.

Un Donleavy savait empaqueter son Irlande chérie dans un trèfle, un Kerouac nous envoyait à la gueule une Amérique brutale teintée de poésie et de mysticisme, et nombreux sont ces divins écrivains ayant su raconter, les pieds plantés dans le sol, la vision d’un ailleurs. Le moindre souffle d’air décrit avec une sorte de hargne peut nous faire frissonner, et quand c’est le cas, le neuf vieillit bien. Là se situe la poigne d’un auteur.  Là s’impose l’inventivité.

Avoir quelque chose à dire de nouveau

Comme le résume si bien Albalat, un texte enrobé d’insipidités est proche de la supercherie : « C’est chatoyant, c’est papillotant, mais ce n’est qu’une fumée, qui à la longue fatigue les yeux et, au lieu de montrer, empêche de voir. » Il parle par ailleurs « (d’) exaspérer son style, le chauffer, l’enfiévrer… ». On voit là qu’une phrase peut jaillir d’un paragraphe à la faveur d’une outrance, qu’elle est à même d’éventrer notre esprit si on a passé de longues minutes, voire des heures, à l’aiguiser.

À titre d’exemple, voici ce qu’Albalat nous soumet :

« Je suis las de la vie, je vais partout traînant mon ennui. Au surplus, quand l’éternité m’aura couché parmi ceux qui n’entendent plus rien, personne ne m’importunera plus. »

Cette phrase n’est pas si mal, mais le relief qu’Albalat conseille, sous les mots de Chateaubriand, l’appauvrit vite fait, c’est une claque.

« Je me décourage de durer et je vais partout bâillant ma vie. Au surplus, quand l’Éternité m’aura de ses deux mains bouché les oreilles, dans la poudreuse famille des sourds, je n’entendrai plus personne… »

L’avènement de pensées neuves grâce au travail stylistique

Décortiquons et comparons. « Je me décourage de durer » donne à « Je suis las de la vie » un sacré coup de vieux ; « Bâiller sa vie » est bien supérieur à « traîner son ennui » : en trois mots, une chose est dite, l’autre est sublimée. Les termes employés, dans un cas comme dans son contraire, n’ont rien de précieux. On constate qu’un style économique peut avoir ses limites ou voir qu’il élargit la littérature.

Même quand Chateaubriand nous propose du succinct, il impose sa marque. Confronter « ceux qui n’entendent plus rien » à « la poudreuse famille des sourds » résume tout. Bien qu’employer une image comme « la poudreuse famille des sourds » puisse provoquer chez l’auteur débutant la crainte d’une incompréhension glissée dans son discours en raison d’une formulation un rien sibylline, l’accroche est là, s’inscrivant de manière forte.

La preuve est faite que « Mieux vaut la barbarie que la fadeur ». Un mot n’est rien sans que la pensée l’habitant imbibe le reste de la phrase. Se limiter aux clôtures d’un champ lexical, se parquer, éloigne le mot décisif qui se faufile dans l’interstice d’une page mal tournée…

Prenez le risque de vous accorder avec votre époque. Attention, peinture fraîche !

J’ai évoqué plus haut le fait qu’il soit devenu ardu d’élaborer une prose aux accents inédits, car le vocabulaire a tant et si bien été manié, chamboulé, parfois déstructuré, que l’on en vient à emprunter les vieux sentiers dont on sait qu’à défaut d’offrir un dépaysement textuel à notre lecteur ils sécuriseront notre écriture.

Toutefois, l’évolution de la langue veut que certains styles qui ont autrefois su séduire le plus grand nombre sont désormais datés, et que le coup de neuf s’opère par le simple fait d’être inscrit dans son époque littéraire, d’en actualiser les codes et savoir humer l’air du temps pour, instinctivement, savoir quel terme on devra préférer à un autre afin qu’à chaque page on soit tenté d’accrocher l’écriteau « Attention, peinture fraîche ».

Donnez le relief de votre époque aux mots ridés et aux écrits tavelés

Il suffit de lire le commentaire dont Albalat se fend au sujet de Bossuet pour comprendre qu’il l’idéalise presque, du moins admire-t-il l’apparente facilité avec laquelle il forge sa pensée : « Le relief et la création du style lui sont familiers. »

Une chose familière est celle que l’habitude domestique. Si les méandres prédestinant l’aboutissement d’une phrase restent mystérieux, la régularité ne souffre d’aucun obscurcissement : dans certains arts martiaux, on dit que pour maîtriser un geste il faut l’avoir exécuté mille fois ; on doit imprimer à son élocution la même rigueur, faire ses gammes en quelque sorte, si l’on désire tenir son inspiration de telle sorte qu’elle frappe l’esprit à tous coups.

Ce qui en son temps a pu ravir Albalat, chez Bossuet entre autres, pourrait aujourd’hui prêter à sourire si l’on tombait dans l’erreur de croire que des formules ne furent pas innovantes au moment même où la plume grattait le papier ; il ne faut donc pas porter un regard condescendant, voire méprisant sur la contribution que nos glorieux aînés ont apporté à la littérature : ce sont les bâtisseurs de l’art qui nous concerne, et leurs mots ridés, leurs écrits tavelés, ont traversé les siècles en drainant des trésors de finesse stylistique.

Si certaines expressions sont recouvertes d’un vernis suranné, il faut avant tout y voir, si l’on pouvait qualifier les « anciens styles » ainsi, des précurseurs sans lesquels nous ne serions pas à même de balbutier notre propre prose. Aussi devons-nous nous en inspirer, réfléchir à la manière dont toutes ces intelligences ont su transformer le papier en marbre pour qu’à jamais leurs noms y soient gravés. Continuons à prendre appui sur Bossuet :

Les véhémences du désir.

Les ondes de la douleur.

Ces égarements agréables.

Talent et chronomètre : le temps passé  ne compte pas dans l’écriture

Cela paraît simple, des tournures convenues en quelque sorte, et je sais que d’aucuns qui me lisent considéreront qu’il est facile de faire mieux. Mais qui a écrit ça avant lui ? Personne. Seulement, ces idées ont dû être balbutiées avant qu’une muse se sachant en terrain propice vienne y mettre son grain de sel, soufflant à Bossuet des phrases comme « Nos convoitises indociles. »

C’est une faute professionnelle, quand on décide d’embrasser le métier d’écrivain, de s’illusionner du fait qu’un néant nous précède ; si Bossuet a su mettre en forme cela, c’est qu’il a lu de bons auteurs avant de leur emboîter le pas, puis les dépasser par la prestance de son style. Il s’en est nourris. Tâchons d’en faire de même. Le temps ne compte guère, en littérature ; le talent ne se chronomètre pas. Qui saura au millième près la durée d’élaboration d’une phrase parfaite ? Si les années pèsent avec profit dans la besace d’un écrivain, c’est qu’il aura su trier grives et merles, fulgurances et platitudes. Pour filer la métaphore, en la matière, les bartavelles sont synonymes de gloire (si l’on veut bien me permettre ce clin d’œil à l’ami Pagnol)…

Certains, se référant à des ouvrages comme L’art d’écrire enseigné en vingt leçons, s’épargneront non seulement d’inutiles détours, mais auront par ailleurs une tournure d’esprit telle qu’elle leur permettra d’écrire en un an des cohortes de phrases réussies, voire splendides, quand d’autres ne seront capables dans le même temps que faire errer dans leurs pages la sentinelle d’une littérature assoupie, sans l’arme de la méthode et repue d’autosatisfaction.

« Songez à des mots inattendus et essayez-les ; tentez d’accoupler des épithètes disparates ; elles donnent souvent des effets surprenants ; changez l’adjectif en adverbe ; le verbe en substantif et réciproquement. »

Albalat suggère ici ce qui pourrait sembler d’une simplicité telle qu’elle se révélerait de faible portée, justement parce que cela paraît évident : bien sûr que nombre d’entre nous avons déjà songé à effectuer un tel brassage… mais voir plus loin que la permutation d’un vocabulaire exige, pour que le procédé fournisse sa pleine efficacité, que l’on sorte du cercle restreint des mots délavés à force d’avoir trop servi, afin de s’extraire d’une certaine pâleur textuelle. Nous avons déjà vu que selon les personnes, chacun dispose d’un réservoir de mots d’une plus ou moins grande capacité. Il nous revient à tous de l’agrandir au gré de nos lectures, sans songer forcément combler un éventuel retard sur tel ou tel autre (nous sommes tous dépassés par quelqu’un, qu’importe l’activité à laquelle nous nous livrons), mais en ayant pour but d’incorporer des essences nouvelles dans la forêt de notre discours.

Chime et alchimie textuelle

L’élocution, c’est parfaire son langage dans l’objectif de devenir le chimiste de sa pensée, celui qui, disposant des composés que le champ lexical lui offre, les met en ébullition. Bref, il faut faire sa propre tambouille.

Un seul exemple donné par Albalat suffira à définir le chemin qu’il souhaite nous voir tracer :

« Si vous faites des énumérations de verbes, refaites la phrase substantivement, et vous aurez : ‘‘Les complaisances de sa pensée’’, au lieu de : ‘‘ Il se complaisait à penser’’.

Sous cet éclairage, il est assez marquant de voir qu’une phrase comme « Il se complaisait à penser » se trouve appauvrie quand on la compare à « Les complaisances de sa pensée », qui a bien plus de gueule, disons une envergure autrement noble.

Sans dire qu’il soit facile d’immédiatement de mettre en œuvre toutes ces parades à l’écriture insipide développées dans l’ouvrage d’Albalat, il est en tout cas possible, à la condition d’y consacrer les efforts appropriés, de se les rendre familières, et d’en retirer l’énergie indispensable pour apostropher nos talents insoupçonnés.

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