Les récits d’expérience des ateliers d’écriture relatent le plus souvent la convivialité, plus rarement des apprentissages et quasiment jamais le parcours vers le professionnalisme. Frédéric Barbas a connu les deux côtés des ateliers d’écriture en étant tout d’abord participant, correcteur d’édition pour un éditeur et enfin missionné par L’esprit livre pour former des écrivains. Un regard amusé sur un parcours qui ressemble peut-être un peu au vôtre.
N’hésitez pas à partager vos expériences à la fin de cet article. Soyez assuré que vous serez lu avec une grande attention.
Vingt ans d’ateliers d’écriture vécus des deux côtés
Au début des années 90, j’ai poussé la porte d’un atelier d’écriture, situé dans l’écrin très confidentiel d’une maison de quartier. Une première, pour moi. Il n’y avait pas foule. Trois ou quatre participants, l’auteur de ces lignes compris. La femme d’une trentaine d’années qui animait les séances s’occupait par ailleurs d’une troupe de théâtre amateur dans la petite ville où elle résidait, à plus de cinquante kilomètres de là. Le feu sacré rend les trajets moins pénibles. Enfin, un peu.
Notre maigre assemblée ne s’étoffa jamais au point de ne plus remarquer les nombreuses chaises vides dans la salle, mais on passait de bons moments. En fait, nous ne faisions que ça : stagner de manière plaisante. Peut-être la jeune femme excellait-elle dans la mise en scène d’une pièce de Labiche, mais s’agissant de tirer vers le haut des écrivains en herbe ou se considérant comme tels…
Faute d’une méthode, d’outils pensés pour l’amélioration de l’écriture, d’une analyse basée sur l’expérience, bref, d’une approche professionnelle, jeter une passerelle entre des arts se révéla insuffisant à faire fructifier le talent de l’un ou l’autre d’entre nous, si jamais nous en possédions. Le feu sacré de la professeur de théâtre s’éteignit au cœur de l’hiver. Prendre la route dans la nuit et le froid pour se diriger vers un constat d’échec est de nature à saper tous les enthousiasmes. Au-delà de son renoncement, je songeai que si cette personne, malgré sa bonne volonté évidente, n’était pas en mesure de m’apporter au minimum des bases solides, il fallait me tourner vers quelqu’un du métier.
Logiquement, un écrivain parlerait le même langage que le mien et serait donc capable de m’indiquer rapidement la voie royale vers le succès (le jugement un brin egotiste porté à l’époque sur ma prose m’entretenant dans cette illusion naïve).
Sans espérer m’attacher la compétence d’un auteur de best-seller, j’escomptais bénéficier de l’apport éclairé de quelqu’un sachant mener une histoire à bien, avec les secrets de fabrication censés aller de pair. Je trouvai dans ma ville l’oiseau pas si rare que ça : les écrivains ayant besoin d’arrondir leurs fins de chapitres sont hélas assez nombreux ; le malheur des uns…
Il avait eu quatre romans de science-fiction publiés chez un éditeur connu. Certes pas des succès de librairie, mais au moins était-ce concret. Bien qu’il soit totalement novice dans l’animation d’un atelier d’écriture, le fait d’être parvenu à percer, même très timidement, dans un milieu réputé difficile, me suffit à lui accorder du crédit. D’autres que moi possédant cet a priori favorable, un groupe d’une dizaine de personnes se constitua assez aisément.
Pour la plupart, nous déchantâmes rapidement, comprenant que seul le prix qu’il demandait était honnête. Charmant causeur, il ne préparait aucune de ses interventions, dispensant de vagues conseils, survolant de façon plus que sommaire les textes, éludant les aspects techniques… il était fait d’anecdotes et de pirouettes. Cette « collaboration » s’interrompit suite à un acte indélicat de sa part achevant de nous le montrer sous son vrai jour… Déçu sur le plan humain, et regrettant d’avoir gaspillé mon temps, je ne lâchai cependant pas l’affaire : un vautour ne fait pas le printemps, après tout.
Sans dresser une liste complète des « guides » qui suivirent, certains valent que je leur consacre quelques mots : un homme tant lunaire que sympathique (frère d’une réalisatrice de comédies cinématographiques à succès), dont je ne conserve pour seul souvenir marquant qu’un sourire permanent encadré des moulinets que ses mains opéraient de chaque côté de son crâne tandis qu’il écoutait nos lectures ; un autre, petit bonhomme scénariste de bande-dessinée travaillant pour une des boîtes phare de la profession, auteur jeunesse à ses heures, mais dont le talent se faisait déjà vieux ; un poète maudit, envolées emphatiques comprises, dont on devinait que ses meilleurs vers viendraient après sa mort ; une figure de la littérature d’anticipation telle que prévoir son heure de gloire ferait un beau sujet ; un champion du subjonctif à l’abri de la moindre notion de style sous l’accent circonflexe qui chapeautait son esprit…
Ce semblant de galerie de portraits, bien qu’un rien facétieux, n’a pas pour but de ridiculiser ceux qui, à un moment ou à un autre de mon parcours, ont voulu transmettre un savoir – pour les plus sincères, en tout cas. Cela traduit seulement ma volonté que chacun comprenne que les gens alliant sérieux et compétence ne constituent pas forcément la norme.
J’emploie le mot parcours, car ma fréquentation des ateliers d’écriture s’est étalée sur plusieurs années. Il y a eu à boire et à manger, au propre comme au figuré, d’ailleurs, puisque la convivialité était souvent de mise. Il existe en effet parfois une sorte de troisième mi-temps (très sage) des ateliers, des liens se créant entre condisciples devant un verre et une part de gâteau. Il arrive que l’animateur y participe, mais rarement, car il a souvent un train à prendre ou une assez longue distance à couvrir pour regagner ses pénates : je l’ai déjà dit, les écrivains-intervenants ne disposent pas tous d’une Rolls avec chauffeur…
S’il est normal de questionner la légitimité de certains spécialistes autoproclamés, il est dans le même temps logique de s’interroger sur la viabilité et l’authenticité de notre propre démarche, car pour s’enrichir, nombreux sont ceux prêts à nous dire ce que l’on souhaite entendre, à savoir que l’on est le digne héritier de Salinger ou la prochaine Anna Gavalda. Et, bien entendu, que cela ne nécessite quasiment aucun effort de notre part tant notre plume est singulière, vive, maîtrisée, inventive (ajoutez la mention inutile)…
Fuir les flagorneurs et voir dans l’honnêteté d’une critique un moyen de progresser est le minimum à retirer d’un atelier d’écriture.
Même ceux abordant cette pratique en dilettante, ignorant sciemment ou pas que l’écriture est un métier, finissent fréquemment par se piquer au jeu et si ce n’est viser l’édition, en tout cas concevoir cet art autrement qu’un loisir de coin de table.
Pour clore mon tour d’horizon en tant que participant, je vais évoquer la fois où j’ai décidé de monter en gamme.
Fini les écrivains à la célébrité molle et à l’effort mesuré, place aux romanciers prestigieux et autres acteurs du monde du livre organisés en véritable machine de guerre : de l’auteur de chez Gallimard ? On en a ! Du rédac-chef d’un magazine en pleine bourre notamment consacré à l’apprentissage de l’écriture ? C’est dans le sac ! Des écrivains chargés de la rubrique littéraire de deux des plus gros quotidiens nationaux ? Compris dans le tarif ! Un éditeur de niche plus sélect et courtisé tu meurs ? Oui m’sieur ! Dans la salle de réception d’un hôtel classieux de l’ouest de la France ? Absolument !
Ah, parfait ! Pour la modique somme de…
J’ai recouru à ces calculateurs d’inflation qu’on trouve sur le Net ; voici donc ce qu’il m’en coûterait aujourd’hui : 125 euros la journée, plus les frais de déplacement et de restauration. J’avais la chance d’être hébergé chez un ami pour la nuit. Arrondir à 160 euros me paraît raisonnable. Trois cent vingt euros par mois pour m’entendre dire de la bouche du fort sympathique romancier gallimardien qu’un de nos grands auteurs avait un jour déclaré à propos du verbe « faire » qu’on devrait en limiter l’usage car il signifiait « chier ». Voilà. Alors, que devais-je faire ?
C’est bien sûr à dessein que je m’en remets à ce raccourci dépréciateur afin de symboliser le peu qu’on retire d’une dépense où l’orgueil le dispute à la soif d’apprendre. Sans voir plus loin que le bout de son style. Sans mesurer pleinement la nécessité de l’effort. J’ai évidemment appris nombre de choses au cours de ces années. Autant sur moi que sur mes compagnons de galère ramant du bout de leur stylo dans les eaux incertaines de la gloire intellectuelle. Et j’ai aussi retenu pas mal de ficelles nécessaires à l’élaboration d’un texte. Tout n’a pas été vain. Puis, j’ai quelques souvenirs en bas de pages et des amitiés dans les marges.
J’ignore ce qu’il en est de ces ateliers en présentiel aujourd’hui, si ce n’est qu’à l’heure du numérique, ce qu’on a longtemps perçu comme un effet de mode a connu une seconde jeunesse. Ma seconde jeunesse.
C’est en 2005, un diplôme de correcteur d’édition en poche, que m’a échu la tâche gratifiante consistant à effectuer des retours sur les textes des stagiaires au sein de L’esprit livre. J’avais eu entre les mains une dizaine de romans d’un éditeur exigeant un travail soigné, aussi, sans me sentir fin prêt, je n’étais pas démuni.
J’avais consacré plus de vingt ans de ma vie à l’écriture sous une forme ou une autre, lu plus de romans que ne pouvaient en supporter mes étagères, et potassé divers ouvrages disséquant quantité de ressorts narratifs et de figures rhétoriques, pléthore d’astuces pour aguicher son lecteur et myriade de procédés afin de ficeler une intrigue efficace.
J’avoue avoir un peu tâtonné, au départ. Comment j’ai fait emprunter des déviations à des personnes faisant fausse route et pourquoi elles ont généralement accepté de suivre mes conseils-itinéraires bis, cela fait partie de mes petits secrets. Nous en avons tous.
L’un d’eux est peut-être d’appartenir à la catégorie des bourrus plein de tact.
Vous voyez le gars qui fulmine intérieurement et dont l’exaspération provoquée par une erreur de débutant qu’il se pardonnait facilement dans sa jeunesse se traduit au pire par un léger haussement de sourcil ? Bon, un grommellement de temps à autre. C’est moi.
Il m’a fallu pour cet article à peu près trois pages afin de passer du statut d’apprenant à celui de formateur autodidacte.
Je ne pense pas que le Net calcule l’inflation de la passion d’écrire.
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