Comment en vient-on à penser qu’écrire pourrait être un art qui nous correspondrait ? Une activité intellectuelle dans laquelle on trouverait matière à s’épanouir ? Vous êtes-vous déjà posé la question ? Si tel n’est pas le cas, il serait peut-être intéressant que nous nous interrogions ensemble sur le sujet. Merci de ne pas trop m’en vouloir si, pour débuter, je me suis permis de monopoliser la plume afin de prendre la parole…
S’il vous plaît, dessine-moi un écrivain
(autofiction)
Le passage secret
Griffures et gribouillages
Enfant, je dessinais dans les marges de mes rédactions scolaires. Cela m’avait valu quelques remontrances justifiées de la part de mon professeur de français. Il goûtait peu de voir mes gribouillages encombrer l’espace réservé aux griffures rouges de ses corrections. Aurais-je entouré mon texte d’un phylactère dans un geste de bédéiste que sa désapprobation eût été la même. Cependant, sa menace de me retirer un point sur ma note si je persistais à faire cohabiter les mots et les crobards ne fut jamais mise à exécution. Car plus que d’être las de mes pauvres croquis, c’était sa crainte que je puisse ne pas aimer écrire qui le mâchait. Ce en quoi il se trompait.
L’artefact libérateur
Comment aurais-je pu ne pas apprécier ce moment d’évasion ? Souvent, même, je l’attendais. C’était pour moi un passage secret menant hors des murs de la classe, et plus encore, loin de l’enceinte du collège. Étais-je fait pour écrire ? La question ne se posait pas. L’important consistait à me faufiler par cette brèche pratiquée dans la routine ; à découvrir où me conduisaient les mots. Le quadrillage de ma feuille grand carreau n’était soudain plus ce grillage derrière lequel la plupart des cours m’enfermaient. Il devenait le tamis de mes idées, un artefact permettant que mon imagination se libère au fil des minutes en un lent écoulement.
La spirale des rêveries
Les rêveries en spirale de mon cahier format A5 ne témoignaient cependant pas d’un goût prononcé pour l’écriture. Le sujet de la composition importait guère, mes errements littéraires s’embarrassaient peu de style ou de pensées organisées. L’aspect divertissant l’emportait sur l’envie de livrer une copie digne d’éloges. Me contentant de laisser mes phrases buissonner, je devais accepter qu’en retour le talent vagabondât loin de mes écrits. N’ayant pas l’âge de me penser auteur en devenir, je n’aspirais pas à voir ma prose célébrée autre part que dans un bulletin trimestriel.
L’apparence de la facilité
L’orgueil et la surprise
Toutefois, rien ne me ravissait davantage, le jour de la remise du devoir corrigé, que de récolter un compliment pour une tournure réussie ou une idée correctement exploitée. De sa calligraphie soignée aux pointes agressives, celui que mes croquis contrariaient tant se fendait parfois d’un commentaire flatteur, récompense inattendue de ma flânerie mentale. C’est ainsi que peut naître un auteur, dans la joie de l’orgueil et la surprise de plaire. Mais à l’époque, rien de tout ça ne m’incitait à considérer l’écriture avec sérieux.
L’illusion, un poison lent
Je pris néanmoins l’habitude, une fois revenu chez moi, de m’asseoir au bureau de ma chambre et de coucher là quelques lignes, comme secrètement encouragé par ce professeur. L’écriture n’est pas qu’une fuite, semblait-il me dire à travers ses annotations. J’y consacrais donc une belle énergie, celle des certitudes de réussite que la réalité n’a pas encore démenties. Il me suffirait d’attendre que mes prédispositions supposées pour la littérature se confirment. L’illusion de la facilité, ce poison lent ne tuant vos espoirs qu’après les avoir longuement nourris…
La prise de conscience
Les sornettes du serpent
Bien plus tard, après que l’école m’avait relâché pour mauvaise conduite, écrire devint un loisir confus dont mes vingt ans ne savaient que faire. Raconter des histoires ou les vivre ? Je n’avais comme idée de roman que l’envie d’en écrire un, velléité à ranger aux côtés d’autres projets inconsistants. Je ne songeais pas à apprendre à écrire, puisqu’il n’était pas utile de prouver que j’en étais capable tant ça me semblait simple… La vacuité d’un tel raisonnement, ce serpent qui mangeait ses sornettes, me tenait lieu de cap pour me diriger vers des lendemains dénués d’ambitions littéraires.
L’éveil du petit Prince
Puis, à force de lire – car je lisais comme si la survie de mon cerveau en dépendait, ce qui ne saurait être très éloigné de la vérité –, je mesurais combien d’efforts il me faudrait produire pour avoir le droit d’avoir du talent. Mon passé vierge de textes aboutis s’étendait derrière moi, ombre de plus en plus pesante à mesure qu’elle s’allongeait. Des années avaient défilé – et défilèrent encore – avant que j’admette que le petit Prince des mots sommeillant en chacun de nous nécessitait qu’on lui consacre du temps et de l’attention pour qu’il s’éveille. J’appris alors à écrire, tout en frottant ma curiosité à d’autres passions ; tout en continuant à gribouiller des fantaisies dans les marges de mon existence.
Ça mettra le temps qu’il faudra
Le diable attendra
Il m’apparaît aujourd’hui hasardeux d’affirmer que la précocité serait le signe évident qu’on est promis avec succès à une activité littéraire. Des écrivains connus se sont révélés sur le tard. Anthony Burgess, à qui l’on doit notamment L’Orange mécanique, a d’abord été compositeur puis ne s’est véritablement mis au roman qu’à près de quarante ans. Donald Ray Pollock, l’auteur entre autres de Le diable tout le temps, a travaillé durant une trentaine d’années dans une usine de pâte à papier avant, la cinquantaine venue, de se tourner vers l’écriture en prenant des cours d’écriture créative.
L’adolescence de l’âme
Le premier recueil de nouvelles de Raymond Carver, genre pour lequel il est mondialement connu et reconnu, a paru peu de temps avant qu’il devienne quadragénaire. Lui aussi a bénéficié de l’enseignement de cours de création littéraire. C’est dans la même tranche d’âge que Kent Haruf se fit le conteur de destins s’écrivant dans la poussière des plaines américaines au cœur de bleds perdus. Croyez-moi, la vigueur de leur œuvre prouve s’il en est besoin la longévité de l’adolescence de l’âme.
Le génie enraciné
Si la valeur n’attend pas le nombre des années, rien n’interdit de ne devenir extrêmement talentueux que lorsque la jeunesse n’est plus qu’un kaléidoscope de souvenirs déformés. Il y a une vie avant le génie. C’est l’enseignement qu’on pourrait tirer de ces écrivains qui, plutôt que d’éclore trop vite et se faner rapidement, ont crû après les autres pour mieux s’enraciner dans le paysage éditorial planétaire.
L’obstination
Finalement, jeune ou vieux, je pense qu’en quelque sorte personne n’est fait pour être écrivain puisque tout le monde peut l’être. Personne en particulier, s’entend, mais tous ceux qui s’en donnent vraiment la peine. Quel que soit le domaine, la réussite relève autant de nos aptitudes que de notre ténacité – jusqu’à l’obstination parfois – à les mettre en œuvre. Alors si vous n’êtes pas assez tenace pour devenir écrivain, obstinez-vous à apprendre à l’être…
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