On vient de terminer sa nouvelle ou son roman. Enfin, presque. Car il y a un travail qui se dissimule dans l’ombre du point final : la réécriture. Simple en apparence, elle se révèle parfois bien plus compliquée qu’une correction d’étourderies orthographiques. Voyons comment se faciliter cette étape littéraire bien plus importante que certain(e)s se l’imaginent…
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Travail en commun
Les multiples causes d’une incohérence
Vous connaissez cette intense satisfaction qui nous gagne quand, enfin, on est parvenu à boucler une histoire. Seulement, ce doux sentiment d’euphorie ne doit pas nous faire oublier qu’il nous reste du boulot à accomplir, aussi méticuleux ayons-nous pu être lors de l’écriture. Vous avez déjà dû le constater, il est rare de ne rien laisser passer. On pense à autre chose le temps d’aller d’un paragraphe à l’autre, et hop ! une incohérence se glisse dans cette transition. Ça arrive souvent quand on est fatigué, préoccupé, ou tout bonnement parce qu’on est dérangé par un coup de téléphone ou en raison de la moindre distraction anecdotique.
Le précieux travail des éditeurs
Ce constat posé, comment y remédier ? Je vous préviens tout de suite, je ne possède pas de recette miracle, car tous ceux qui écrivent depuis de longues années, ce qui est mon cas, savent qu’inéluctablement, on se loupe à un moment ou à un autre. Aussi attentif soit-on. Et malgré les relectures effectuées par nos proches, qui ne sont d’ailleurs pas souvent du métier, il y a toujours des erreurs qui se faufilent entre les mailles de ce filet mental. C’est pourquoi le travail des éditeurs est précieux pour pointer ce qui éventuellement cloche dans notre texte.
La vexation est l’ennemie de la perfection
Qu’il s’agisse de longueurs, de répétitions, de trous dans l’intrigue, de mauvaise caractérisation des personnages, de dialogues sonnant faux, en général, ils sont habitués à les débusquer. Alors autant tenir compte de leurs conseils et ne pas se braquer parce qu’on éprouve le sentiment que notre pensée et la manière de la mettre en mots ne sont pas comprises : c’est tout le contraire. C’est bien en raison de leur professionnalisme que les – bons – éditeurs détectent les écueils faisant qu’un texte ne fonctionne pas. Mais avant que notre livre tombe entre leurs mains, il nous revient de débroussailler le plus gros du boulot, sans quoi il finira à la corbeille. Alors retroussons-nous les manches, et piochons !
Ce que vous redoutez est bon pour vous
Le GPS littéraire
Bon, on va partir sur du basique. Je sais vous avoir déjà saoulés avec ça, mais si l’on veut bien conduire son affaire, on ne peut en faire l’économie. De quoi je parle ? Du plan. Du terrible séquencier. Je sais que ç’a donné bien du fil à retordre à nombre d’entre vous. Mais, pour effectuer une comparaison d’une pertinence ahurissante, si jamais vous disposez d’un GPS dans votre véhicule, vous viendrait-il à l’idée de ne pas le programmer pour vous rendre lors de vos vacances, par exemple, à un endroit qui vous est totalement inconnu ? Bien sûr que non – désolé de répondre à votre place, mais je suis sûr de moi sur ce coup-là.
Voulez-vous vraiment travailler dix fois plus ?
Or, qu’est-ce qu’un livre, sinon un objet possédant un début (le départ) et une fin (l’arrivée). Et entre les deux, il y a des étapes à faire et des routes à emprunter qu’on ne peut toutes deviner à l’avance. Sauf à avoir fait le nécessaire pour savoir à chaque instant quelle direction prendre. Je n’affirme pas qu’un auteur ne disposant pas d’un plan ne parvienne à achever son roman. Pas du tout. Mais il mettra dix fois plus de temps à l’écrire que s’il en avait eu un. J’ai hésité à écrire « cinq fois plus », puis j’ai songé qu’il fallait taper plus fort pour vous convaincre du bien-fondé d’établir la colonne vertébrale de votre récit avant de vous y attaquer.
Les étincelles gaspillées
Je connais l’impatience qui nous habite quand l’idée d’un roman ou d’une nouvelle germe en nous. L’excitation qui nous met de l’électricité dans les doigts et des étincelles dans l’esprit. Hélas, toute cette belle énergie sera en partie gaspillée si elle n’est pas canalisée dès les premières lignes. Pour s’éviter une réécriture trop rébarbative, pour ne pas dire décourageante, autant mette toutes les chances de notre côté en ne s’engageant pas à fond les ballons (elle existe encore, cette expression ?) dans l’écriture de notre ouvrage. Alors tracez bien votre parcours littéraire avant qu’à un moment donné vous vous rendiez compte que vous tournez en rond ou que vous ressentiez une stagnation dans votre écriture, faute d’avoir su élaborer votre intrigue avec précision.
La souplesse de la structure
L’écriture non castrée
Une fois parti sur ces bonnes bases, on ne doit pas les considérer comme un carcan. Rien n’est figé, dans un plan. Réfléchissez-y comme une armature métallique légère dont il est aisé de modifier la forme si besoin est. Il est rare qu’à la faveur d’une nouvelle idée, on ne la modifie pas quelque peu. S’il faut en conserver la structure, cette dernière n’est en rien castratrice d’attributs intellectuels imprévus. Bien que conçue pour que tout se tienne parfaitement en ayant la rigidité indispensable à une histoire bien racontée, elle demeure suffisamment souple afin que puissent s’y intégrer des éléments n’étant absolument pas prévus à l’origine.
Il y a toujours une place pour un invité surprise
Nous voilà donc en possession d’un outil évitant de nous égarer tout en laissant le champ libre à des inspirations de dernière minute, sorte d’invité surprise de votre histoire. Croyez-moi, en mettant ce modèle en place, vous vous éviterez bien des casse-têtes ! Une fois encore, votre narrateur parle d’expérience, car à mes débuts, je me suis jeté à corps perdu dans l’écriture d’un roman dont je pensais qu’il suffisait d’en suivre l’idée initiale au fil de la plume pour la développer et l’exploiter sans faille. Eh bien, j’en suis revenu ! La passion ne gomme ni les fautes, ni les défauts de construction, malheureusement. Si l’élaboration d’un bouquin ne réclamait que de la motivation, ça se saurait !
Un puzzle aux pièces mal découpées
C’est ainsi que parvenu vers la centième page de cet ouvrage, je me suis rendu compte que je n’avais pas toutes les réponses aux questions que j’avais posées dans la première partie. Et bien pire, qu’il m’était impossible d’en fournir de satisfaisantes, coincé que j’étais par des intrigues dont le sens se contredisait car je n’avais pas suffisamment réfléchi à mon projet en amont. En clair, j’avais foncé tête baissée dans une impasse, aussi vous est-il facile de devenir quel a été le sort de ce bouquin malgré tous mes efforts pour rattraper le coup… J’ai essayé de réécrire certains passages, mais c’était peine perdue : j’avais créé un puzzle impossible à assembler.
Les moyens de ne pas renoncer
Quand une faiblesse en entraîne une autre
Dès que je tentais de rattraper une faiblesse scénaristique, il m’en tombait presque systématiquement une supplémentaire sur le coin du museau. Bref, j’ai abandonné le roman en question (ma première incursion dans la science-fiction), puis j’ai eu une longue période de découragement qui m’a vu renoncé un temps à toute prétention littéraire. Puisque je ne voudrais pas que vous éprouviez ce sentiment pouvant mettre un terme définitif à vos ambitions, comme ç’a failli être mon cas, j’ai pensé qu’il était utile de consacrer du temps pour que vous preniez vraiment en compte et acceptiez sans barguigner la nécessité d’établir un plan. À présent, nous allons examiner la réécriture sous ses différents aspects…
Une chose n’est finie qu’après avoir été recommencée
S’attacher à améliorer son style en en supprimant les redondances et en trouvant un mot plus adapté à ce qu’on souhaitait – qu’il soit plus riche littérairement parlant ou davantage approprié – est un des piliers de la réécriture. Antoine Albalat, cité dans L’œuvre comme processus (1) estime ceci : « Un style est bon que s’il n’est refait » ; avant de préciser : « On revoit les images ; on les supprime si elles sont communes ; on évite les phrases toutes faites, l’épithète incolore, les clichés d’expression. » Soit un travail important, puisque nécessitant qu’on dissèque chaque phrase écrite dans un premier élan.
Persévérer, la base de l’excellence
Quand bien même on aura déjà passé du temps sur chaque terme, aussi pertinent puisse-t-il avoir semblé lors de la première version, il peut s’avérer d’une banalité consternante à la relecture. Jusqu’à ce qu’on s’étonne de l’avoir employé quand deux ou trois autres vocables nous apparaissent soudain de nature à davantage séduire le lecteur. À apporter un supplément d’âme à un passage qui n’était « que » bon et par une substitution langagière aussi infime soit-elle devient excellent. Il faut toujours avoir à l’esprit que lorsqu’une phrase donne l’impression de s’imbriquer à la perfection dans un paragraphe, elle demeure perfectible par le simple fait d’en modifier l’agencement ou quelques mots susceptibles d’en augmenter la portée de façon considérable. C’est pourquoi la persévérance redonne du cœur à l’ouvrage, dans les deux sens de la formule.
Se rendre maître de son texte
Porter un regard aiguisé sur ce qui nous paraît bancal
En se gardant bien de verser dans un perfectionnisme paralysant, il n’est donc pas sans intérêt d’examiner avec attention si au niveau de la sonorité, de la force qu’on désire mettre dans une formule, du sous-entendu contenu dans un texte, etc., un léger changement ne serait pas à même de rendre l’ensemble plus harmonieux, plus percutant, plus profond, plus émouvant, bref, plus tout ce que vous voulez pourvu que ce soit mélioratif. D’ordinaire, enfin est-ce ainsi que je procède, même pris dans le mouvement de mon récit, je prends le temps de me livrer à des corrections approfondies sur des passages desquels je sens instinctivement qu’ils recèlent une erreur de conception. Ainsi, sans avoir une vision d’ensemble, on peut tout de même parvenir à accomplir un travail efficace au cours d’une relecture intermédiaire. Qui ne suffira pas cependant à supprimer toutes les scories.
Ne rien négliger pour ne pas avoir de regrets
Le travail du style détermine le ton de votre histoire, et la rendra d’autant plus convaincante – et attrayante – si vous y consacrez une attention des plus soutenues. N’hésitez pas pour ce faire à recourir à un dictionnaire des synonymes, à tester la fluidité de chaque articulation, à vous relire à haute voix, à rectifier les lignes de dialogue trop mécaniques, à vérifier, si vous avez un doute, qu’un mot employé n’est pas un faux ami, un barbarisme ou un solécisme, à vous assurer de la bonne mise en place de la ponctuation, pouvant entraîner le contraire de ce que vous souhaitiez dire, ou en altérer le sens de telle manière que cela introduise un doute chez votre lecteur. Relisez aussi les auteurs qui vous inspirent et peuvent faire office de « déclencheurs d’idées », de donner de l’entrain à votre imagination. Une petite confidence : je ne m’installe jamais à ma table de travail sans avoir relu quelques passages de mes auteurs préférés ! Si vous ne procédez pas encore de cette façon, essayez-là, vous verrez, c’est très stimulant !
De la fourmi au Titan
Dans son ouvrage Les Secrets du Style et les Clefs du Scénario (2), Olivier Lusetti interroge le lecteur quant à sa stratégie de réécriture grâce à une courte liste de questions entraînant quand on y réfléchit un tas de réflexions ne nous venant pas systématiquement à l’esprit, d’où l’importance d’en prendre connaissance. En voici quelques-unes : « Votre héros : agit-il, résout-il, change-t-il ? — Savez-vous, comme le conseille John Truby, résumer le personnage de votre récit en trois points : sa faiblesse initiale, son action principale, sa transformation finale ? », etc. Rien qu’avec celles-ci, vous avez de quoi vous creuser la tête en revenant sur votre texte, mais surtout vous les poser avant. Sans quoi il ne s’agira pas d’une « simple » réécriture à laquelle vous vous attellerez, et vous évitera de passer d’un travail de fourmi à celui d’un Titan.
Comment s’attirer les faveurs d’un éditeur
Les deux postes clés qui vous ouvriront les portes du succès
Il existe au moins deux postes clés de la réécriture qui s’ils sont négligés ou mal conçus peuvent vous discréditer aux yeux d’un éditeur en quelques secondes : la note d’intention, et la quatrième de couverture. C’est ce qui l’incitera à au moins lire vos premières pages, ou si ça ne le convainc pas, à s’en désintéresser totalement pour prendre connaissance d’un autre manuscrit qui bien qu’étant possiblement très inférieur au vôtre aura attiré son regard parce que son auteur aura su le « vendre » avec plus d’habileté. S’il s’agit d’éléments pour ainsi dire extérieurs au roman lui-même, il n’en demeure pas moins que c’est ce qui peut faire la différence par rapport à la concurrence.
De véritables laissez-passer.
Une note d’intention ne doit pas être trop longue : deux ou trois pages suffisent amplement à exposer votre projet d’écriture, les motivations des personnages principaux, ce qui vous a incité à écrire tel type d’histoire, etc. Les recommandations les plus courantes pour la réussir sont celles-ci : être concis et accessible. C’est-à-dire employer le minimum de mots pour expliquer ou vous voulez en venir, que votre projet soit clair et que ces mots-là soient compréhensibles par tous ; donc, ne jargonnez pas ; n’utilisez pas de termes techniques qui laisseraient l’éditeur en dehors de votre discours. Le tout en faisant ressortir votre style, le même que celui employé dans votre roman, afin que l’éditeur sache s’il lui convient. Même chose pour votre quatrième de couverture, à la différence près que vous devez raconter en une dizaine ou une quinzaine de lignes l’essence même de votre histoire en en dévoilant le minimum. Ce sont deux exercices assez proches, puisqu’ils balaient en un rien de temps une histoire qui vous en aura pris beaucoup plus, mais ils possèdent chacun leur spécificité. Alors de la même manière que l’attention apportée au roman lui-même, traitez ces « laissez-passer » pour la publication avec le plus grand soin !
La nécessité des heures perdues
On l’a vu, la réécriture est une tâche qu’il faut prendre en considération avec tout ce qu’elle exige d’efforts, de suppressions qui parfois font mal au cœur, mais aussi d’améliorations qui le réjouissent quand l’histoire se met à palpiter au-delà de nos espérances, alors que pensant l’avoir finie, elle révèle ses insoupçonnables ressources. C’est un travail ingrat pour un résultat merveilleux. Bataillant depuis quelque temps avec la nouvelle censée mettre un terme à un recueil orienté vers le fantastique, je suis au fil des semaines parvenu à en explorer toutes les possibilités, en éjectant quelques scènes d’une bonne tenue littéraire, mais ne cadrant pas avec l’ensemble. La réécriture, c’est l’art de l’humilité. Et celui de comprendre la valeur des heures perdues… puisqu’elles ne le sont jamais tout à fait.
Sources
L’œuvre comme processus, Ed. CNRS éditions
Comment mieux écrire, raconter une histoire et réussir, Olivier Lusette Ed. Fantasy éditions
Visionnez la vidéo de Pierre Lemaître : écrire c’est réécrire
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