Comment s’y prend-on pour construire un roman après avoir pris connaissance des secrets des grands auteurs ?
Vous avez une histoire en tête ? Parfait. Des personnages qui possèdent une véritable consistance ? Impeccable. Une intrigue tenant la route ? Génial. Des rebondissements à foison en stock ? Super. Un style affirmé ? Extra. Bon, on a à peu près fait le tour, alors. Je vais juste revêtir le vieil imperméable de l’inspecteur Columbo afin de vous poser une dernière question : « Ah, j’allais oublier : vous savez comment assembler tout ça pour construire un roman ? »…
Le motif du puzzle
Clac-clac
Vous l’aurez compris une fois lue cette introduction d’une valeur inestimable (mais à 50 euros, nous ferons affaire), ce n’est pas parce que l’on dispose de toutes les pièces d’un puzzle qu’on parviendra à le construire pour en obtenir un motif littéraire idéal. Si les choses s’imbriquait aussi facilement qu’on le voudrait, l’écriture d’un roman serait chose aisée et je ne serais pas en train de taper ces lignes pour vous persuader d’une évidence : écrire peut devenir très vite compliqué si on pense que ça ne l’est pas. Un claquement de doigts ne suffit pas, comme je me suis parfois fait un devoir de vous le signaler pour vous prévenir de la nécessité d’accomplir des efforts. Quant à recourir à deux claquements de doigts successifs, tout au plus parviendrez-vous à reproduire une des plus célèbres parties du thème du générique de la famille Addams, ce qui est déjà bien. Clac-clac. Comment ça, j’ai regardé la série Mercredi récemment sur une plateforme payante ? Zut, j’me suis grillé.
Les images qui flottent peuvent couler
Bon, vous avez presque tout en tête et quasiment rien sur le papier, au moment où je vous parle. Les images de ce que vous allez raconter flottent déjà devant vos yeux. Vous venez d’achever votre premier chapitre, les choses s’annoncent bien. À l’entame du deuxième, une difficulté minime vous freine légèrement dans votre élan : une incohérence de rien du tout ne va pas tarder à montrer le bout de son nez si vous ne modifiez pas une petite chose caractérisant l’un des personnages déjà installé dans votre histoire. Ce peut être un choix qu’il ait effectué, une réplique ne correspondant pas à sa manière d’être telle que vous l’avez définie à l’avance, un endroit où il n’aurait pas dû se trouver par rapport à la situation que vous désirez amener dans votre deuxième chapitre, etc.
Sauf que…
Bref, il y a un truc insignifiant qui cloche. À ce stade de votre ouvrage, ce n’est pas bien grave : il vous suffit de revenir au chapitre initial, d’y apporter les rectifications qui collent avec votre idée de départ ainsi qu’à votre vision d’ensemble de votre bouquin, et tout rentrera dans l’ordre. Pas de quoi fouetter un chat ou de mettre un chien dans un mixeur (je suis nul en cuisine). Pas de quoi, non. Vraiment ? Eh bien si, au contraire. Là, vous vous dites que vous pouvez sauver les meubles sans altérer votre narration (laquelle doit en partie être subordonnée à un plan, dois-je le rappeler ?), et vous pourrez repartir de plus belle en oubliant cet infime défaut de votre construction. Sauf que…
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L’impossible demi-tour narratif
L’impasse de Cambronne
Sauf que si vous n’avez pas préparé votre structure avec une rigueur inattaquable, vous commettrez d’autres impairs à un stade bien plus avancé de votre récit. C’est en général à ce moment-là que vous prononcez le fameux mot de Cambronne (qui lui aussi était général, comme quoi), et pas qu’une fois. Car vous comprenez d’un coup que vous venez de vous fourrer dans une impasse narrative en moins de temps qu’il n’en faut à un lapin pour avaler un grizzly. À moins que ce ne soit l’inverse ? Tout dépend si le lapin a une grande gueule, en fait.
Le bon sens plutôt que la mauvaise direction
À présent que vous êtes coincé au bout d’une voie sans issue si étroite qu’elle rend un demi-tour impossible, vous vous apercevez que vous allez devoir vous retaper une bonne partie du trajet en marche arrière, autant dire que vous allez en baver pour remettre votre intrigue dans le bon sens. Pas la peine que je vous fasse un dessin afin que vous appréhendiez la difficulté de la tâche. Car le dessin, c’est vous qui allez le faire. Une carte (ou schéma) heuristique, plus exactement. Pas celle modèle réseau routier réclamant d’avoir douze doigts à chaque main pour parvenir à la replier correctement, que nenni. Celle sur laquelle s’étalera, sous vos yeux ébahis, les éléments incontournables de votre histoire pour que chaque chemin vous permettant d’aller du début à la fin rendent impossibles qu’on s’y égare.
Un bon plan pour retrouver le sourire
La bonne nouvelle est que je viens de vous proposer une solution afin de ne pas vous retrouver totalement bloqué à un moment donné ou un autre. La moins réjouissante, du moins si vous comptiez y échapper, est qu’il faudra tout de même élaborer un plan plus « classique ». Pas de bol pour vous, les deux sont complémentaires. Mais un sourire ravi va éclairer votre visage (bien sûr que si, puisque je vous le dis) en apprenant qu’il s’agit là d’une double précaution pour vous garantir d’assurer vos arrières. Ce qu’on nomme communément la méthode « ceinture et bretelles ».
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Se mettre à la page du schéma heuristique
Eurêkapitulons
Comme le plan (ou séquencier) n’a quasiment plus aucun secret pour vous (laissez-moi me bercer d’illusions quelques secondes. Merci.), voyons en quoi le schéma heuristique va constituer un atout supplémentaire pour une construction sans fissures de votre roman. Selon Wikipédia (un collègue à moi que vous connaissez bien) : « Le terme « heuristique » vient du grec ancien ‘‘je trouve’’ et la carte heuristique, en organisant les informations non plus de façon temporelle, mais spatiale, favorise le rapprochement visuel d’informations éparses dans le temps, permettant ainsi de « trouver » un lien entre elles, autrement difficile à établir. »
Carte, sentiers et crayons
Monsieur Lapacompris, archiviste au Service de la Cartographie et des Sentiers de la Perdition, qui mâchouillez votre crayon de papier HB d’un air dubitatif en me lançant des regards suspicieux, pourriez-vous répéter votre question à propos de cette définition du schéma heuristique, s’il vous plaît ? Hum ? « Qu’est-ce que ça peut bien vouloir signifier tout ce charabia ? ». Euh, eh bien justement, je viens de vous le… bon, je vous convie dans mon bureau, autrement appelé paragraphe suivant. Oui, vous pouvez prendre votre crayon avec vous.
La feuille blanche qui ne le restera pas
L’image employée pour définir le terme heuristique étant souvent associée à celle d’un arbre, c’est donc naturellement celle sur laquelle je me baserai pour vous entretenir du fonctionnement de cette manière d’organiser votre roman. On parle aussi fréquemment de « carte de l’esprit », de « schéma de pensée », etc., mais je me suis dit que tout le monde au cours de sa vie ayant forcément vu un arbre (sans quoi les branches m’en tomberaient), mon explication n’en sera que plus limpide. Afin de parfaitement visualiser ce dont il retourne, merci de vous munir d’une feuille blanche, un format A4 conviendra tout à fait pour cet exemple.
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L’arbre
Le tronc
En son centre, résumez le sujet de votre livre à grâce à quelques mots-clefs et des dessins ou des images simples. Je ne vous demande pas de refaire le plafond de la chapelle Sixtine non plus, voyez ? Vraiment, c’est bête comme chou, et s’il y en avait plusieurs, ce serait classé X. Et là, sous votre regard émerveillé, vous venez de planter le tronc de votre histoire. « La représentation, sur un support extérieur, de la pensée naturelle (dont la caractéristique est d’être ‘‘irradiante’’ selon l’inventeur – Tony Buzan) et par conséquent peut présenter tous les types de relations. », toujours d’après Wikipédia. Je vais donc, sans risque sanitaire pour les gens qui vous entourent, vous demander d’irradier dans tous les sens à partir de ce tronc.
Le feuillage
Inutile de vous équiper d’un compteur Geiger pour savoir si vous irradiez bien comme il faut, car, si vous relisez l’introduction de cet article avec un intérêt teinté d’une admiration bien compréhensible, il vous reviendra en mémoire que je suis parti du postulat spécifiant que vous ayez tous les éléments de votre roman (ou d’une longue nouvelle) à l’état de kit. Et que ma gentillesse innée et l’argent qu’on me donne pour le faire me poussent à vous proposer des solutions pour assembler tout ça au pied à coulisse. Donc, on se passera de compteur Geiger pour le remplacer avantageusement par des stylobilles ou des marqueurs de différentes couleurs. C’est dingue, non ?
Les branches
Pour ceux qui en douteraient, j’ai bien compris que votre but ne consiste pas à réaliser un album de coloriage. Le recours à différentes couleurs pour le schéma heuristique est nécessaire à la hiérarchisation des informations que vous aurez décidé de voir apparaître d’un seul coup d’œil. Elles vous serviront à symboliser différentes branches/idées principales auxquelles viendront se greffer des branches/idées secondaires, etc. Tout vouloir regrouper sur un unique schéma heuristique (personnages, actions, lieux, situations, enjeux et autres) reviendrait à reproduire le Léviathan cher à Victor Hugo, l’intestin de Paris, autrement dit son réseau d’égouts tentaculaire dans lequel notre inspiration aurait tôt fait de se perdre, soit l’inverse du but recherché. Serions-nous bêtes à ce point pour procéder ainsi ? Non. Je suis là.
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Comment avoir de bonnes relations
Menez l’équerre à la baguette
La partie précédente ne décrit ni plus ni moins que l’arborescence de votre roman, débarrassée pour l’occasion de son côté « informatisé » bien qu’il s’agisse d’un traitement de données que sont les protagonistes, événements, coups de théâtres, etc. et des interactions régissant l’aspect « mécanique » de la littérature faisant qu’ils existent. Pour bâtir leur intrigue, les auteurs doivent posséder une forme de mathématique particulière de l’écriture leur permettant de masquer à leur lecteur les angles dissimulés dans la pièce ronde qu’est leur histoire. L’exercice de notre métier requiert parfois des accouplements contre nature, celui de l’équerre et de la baguette magique en étant un parmi d’autres. Je sais qu’après cette phrase, vous verrez Harry Potter différemment.
Le talent dans le placard
Je ne pense pas qu’une histoire ne soit pas aussi bien construite qu’elle aurait pu l’être par paresse ou par négligence. Je dissocie de ma réflexion celles et ceux persuadés que le talent se trouve dans le placard de la cuisine entre une boîte de céréales au chocolat et un paquet de sel aux chips, toutes choses nocives à notre corps, par ailleurs. Je parle donc bien des personnes réellement impliquées dans leur écriture, ne ménageant pas les efforts dont leur curiosité est friande. Ceux ne croyant ni au « clac-clac » du premier paragraphe de cet article, ni au génie instantané. Et qui, en se servant de notre feuille A4, établissent les liens nécessaires à mettre en relation toutes les composantes de leur roman.
Tirer une flèche, ça crée des liens
Ce qui nous fait défaut se niche dans les détails tout autant que dans la vision d’ensemble de notre récit. Le plan et son fidèle allié le schéma heuristique (comme Batman et Robin, si vous voulez) nous permettent de mettre la main au collet de ces supers-vilains que sont les failles narratives ou les dialogues mal fichus, les déficiences dans la caractérisation de nos héros aussi bien que les approches illogiques de leurs réactions. Le plan et le schéma sont, au propre comme au figuré, le parcours fléché de notre inspiration afin d’éviter de s’emmêler les pinceaux (singulier : le pain sale).
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Liaisons et correctifs
Le papier et le marbre
Comme évoqué précédemment, une seule feuille ne suffira pas à avoir une perception claire de toutes les étapes. À vous de déterminer avec votre propre ressenti vos angles d’attaque favoris, vos préférences abréviatives, vos concepts organisationnels (j’ai droit à un ou deux gros mots par article, alors je me lâche), bref, l’ensemble des liaisons qui seront tout sauf dangereuses pour votre créativité. Ce n’est pas parce que vous avez tracé une flèche rouge accompagnée du commentaire « Monsieur bidule déteste madame Machin », et qu’un trait bleu explique en un mot-clef la raison de cette animosité que ce sera gravé dans le marbre. Un schéma heuristique permet d’apporter des correctifs.
Le stylo et la souris
D’abord, parce que le papier n’est pas extrait des carrières de marbre de Carrare, ensuite, car c’est bien pour repérer des erreurs (finalement, monsieur Machin adore madame Bidule) que ce système est conçu. À noter que de nombreux logiciels destinés à l’élaboration de schémas heuristiques sont disponibles, pour le cas où vous auriez oublié à quoi diable peut bien ressembler un stylo ou un crayon. Non, monsieur Lapacompris, archiviste au Service de la Cartographie et des Sentiers de la Perdition, je ne parlais pas de vous. Vous pouvez continuer à mâchouiller en toute tranquillité. Pour les autres, rien ne vous oblige à cesser de tripoter votre souris. Hum…
Jim le Candide
Dans La recherche de l’authentique, un recueil regroupant des textes écrits pour des journaux et des magazines durant un demi-siècle par ce géant littéraire qu’est Jim Harrison, on trouve sous sa plume cette phrase on ne peut plus en symbiose avec notre thème d’aujourd’hui, mais également d’une portée contenant une vérité universelle : « Les romans semblent prendre soin d’eux-mêmes, à condition de leur avoir consacré un temps suffisant. ». Eh oui, de s’être donné de la peine pour que notre arbre soit le plus florescent possible. Après tout, comme le faisait dire Voltaire à Candide : « Il faut cultiver notre jardin. »…
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