Première partie
En littérature, il est bon pour le style, si j’ose me soulager d’un oxymore qui me pèse, d’être lesté du délicieux poids de la légèreté. Derrière ce dernier mot se cachent bien des façons de manier le verbe ainsi que certaines figures de style permettant de traiter les sujets même les plus pénibles sans en rajouter. Je vous propose donc aujourd’hui de tenter de comprendre comment il est possible d’écrire en apesanteur…
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Subtilité, malice et joyeuseté
Le sourire et le clin d’œil
Dans son ouvrage La psychologie des styles, Henri Morier consacre un chapitre aux « caractères subtils », et parmi ceux-ci, « Le style malicieux ». Vous l’aurez compris, ce n’est pas sous sa plume qu’on trouvera un jugement du style honni soit qui malicieux. Ah mais attendez… ne viendrais-je pas à l’instant de faire montre de ce style malicieux ? Je crois bien que si. Tout simplement en entrant, comme Morier le nomme, dans « le royaume du sourire et du clin d’œil ». Par la grande porte ou par un trou de souris, peu nous chaut, l’essentiel étant de franchir la frontière de ce pays littéraire où litotes et calembours, humour et allusions diverses fleurissent à chaque coin de paragraphe.
La légèreté du drame
Avant d’aller plus loin, il faut bien appréhender que la légèreté d’une écriture peut servir tout type d’histoire. Qu’elle n’exclut pas le drame, par exemple, ni ne sert à extraire d’un récit sa part de malheurs. Cependant, elle tend à narrer de façon pétillante, allégeant les émotions les plus douloureuses quand on estime qu’elles doivent l’être, et amplifiant les moments heureux jusqu’à leur apposer le vernis de l’extraordinaire. Ce procédé pourrait paraître superficiel en ce sens qu’il occulterait une certaine réalité, voire déposséderait le texte d’une forme de sincérité. Mais…
La profondeur de la légèreté
…Mais je pense au contraire qu’une écriture légère offre un angle d’approche singulier d’un sujet sans en sacrifier la profondeur. Ce n’est pas se départir d’une vision lucide des situations que l’on dépeint que de les aborder avec une sorte de joyeuseté littéraire dans le ton. C’est faire le choix d’une écriture pleine d’allant ne négligeant pas l’importance des enjeux pas plus qu’elle délaisserait une caractérisation fine, aussi drolatique puisse-t-elle être, des personnages. Pour repasser par Morier, je pense qu’un sourire peut être empreint de gravité et qu’il soit envisageable de voir dans un clin d’œil la larme qui le souligne. Oui, c’est magnifiquement écrit, on dirait du Moi. Ah tiens, c’en est.
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Les figures de style de la légèreté
Comment regarder ailleurs pour mieux voir quelque chose
Et si nous parlions de l’euphémisme, qui avec ses voisines de palier la litote et l’antiphrase sont les figures de style par excellence de l’écriture légère ? L’euphémisme est un moyen de dire les faits sans tout à fait les nommer, de contourner par des pirouettes lexicales ce qui pourrait heurter certaines sensibilités. Attention, en aucun cas il ne s’agit de déni ; ce n’est pas refuser de voir les choses en face que de les amener à la portée du lecteur grâce à une tournure d’esprit les lui faisant accepter avec le désir de ne pas le heurter. La plus rude des scènes peut donc être élaborée à l’aide d’un euphémisme dans le but d’en rejeter le côté sensationnel ou tape-à-l’œil.
Du hors-champ au non-dit
C’est presque l’équivalent du hors-champ en cinéma, quand on sait pertinemment ce qui se passe mais que cela n’est pas montré explicitement, le contexte se suffisant à lui-même. L’euphémisme réclame une compréhension intuitive du lecteur, quelque chose n’ayant nul besoin d’être énoncé frontalement pour être compris. C’est à la frontière du non-dit, car tout de même exprimé. Un des exemples gravé dans le marbre de nos dictionnaires est celui-ci : « Il nous a quittés », signifiant « Il est mort ». Une façon d’enterrer nos propres peurs. J’ai dit « enterrer » ? Ah pardon.
Renversement cérébral
La litote, elle, est rigolote. Oui, c’était seulement pour la rime. Là encore, niché depuis belle lurette dans nos chers dictionnaires, le « Va, je ne te hais point » de Corneille dit tout ce qu’il faut savoir sur cette figure de style. Voilà. Hum ? Un petit développement ne nuirait pas à la clarté de mon propos ? Soit. « Figure importante et d’usage fréquent, la litote (du grec livotês qui signifie ‘‘simplicité, affaiblissement’’) consiste, on l’a vu, à dire moins pour suggérer plus. ». Je ne viens pas de l’inventer, c’est Patrick Bacry qui l’explique de fort jolie manière dans son livre « Les figures de styles ». Je sais, vous vous doutiez que ça ne s’appelait pas « 50 recettes pour faire de bonnes crêpes ». Bref, je ne te hais point signifie par un prodigieux renversement cérébral « je l’aime à mourir ». Encore un enterrement en vue. On passera du Cabrel à l’église.
De l’ironie dans le brushing
L’antiphrase n’est pas une reprise maquillée du titre phare du groupe Trust (« Antisocial », pour ceux qui ne se sont jamais ruinés les cervicales dans un concert où les amplis mettaient du désordre dans les plus solides brushings), mais une figure de style flirtant volontiers avec l’ironie. Monsieur Bacry, puis-je vous emprunter de nouveau quelques lignes afin que je puisse boucler cet article à temps ? Merci beaucoup, vous êtes trop aimable. Pour se gausser d’une personne ayant éprouvé nos dernières réserves de patience en se pointant deux plombes après l’heure fixée pour se rencontrer à un point fixe autrement appelé lieu de rendez-vous : « (Véhément ou résigné) : ‘‘Eh ! ben, t’es en avance !’’ ! ». Voilà l’antiphrase.
À présent que nous avons mieux fait connaissance avec la trinité de l’écriture légère, je vous donne rendez-vous la semaine prochaine afin de voir comment l’utiliser au mieux dans nos histoires. Soyez à l’heure !
La psychologie des styles – Henri Morier – Éditions Georg.
Les figures de style – Patrick Bacry – Éditions Belin.
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