Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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Les flashforwards dans l’écriture

Sommaire

Le flashforward  est le contraire du flashback en narratologie. Ce qui revient à bousculer l’ordre naturel du récit afin de donner des informations par anticipation à son lecteur. Suivant la logique implacable me caractérisant (mais si), après l’article sur les flashbacks, je me penche donc aujourd’hui sur les flashforwards, prolepse de son petit nom, si l’on veut faire son intéressant dans les soirées où ça cause de l’écriture. Voyons comment ce procédé littéraire nous permet de donner de l’avenir à notre histoire…

La prolepse, ou comment voir loin

On connaît l’assassin

L’exemple parfait de l’usage de la prolepse, on le trouve sous le vieil imperméable fatigué du lieutenant Columbo : dès le début de chaque épisode, on connaît l’identité de l’assassin. Tout l’intérêt réside alors dans la façon dont notre enquêteur préféré va parvenir à remonter le fil de ce qui a débouché sur une vie abrégée par le tueur. Ou la tueuse. Tant qu’à occire son prochain, on ne va pas faire dans le genré. Tiens, le correcteur orthographique ne reconnaît pas ce dernier mot. Je comprends mieux le terme d’intelligence artificielle, pour le coup…

Quand Pinocchio se projette

Se projeter est une tendance naturelle pour qui envisage de vivre au-delà de ses vingt ans. Oui, j’ai décidé de placer cet article sous le sceau de l’optimisme. Dans une histoire, cette projection est une annonce de ce qu’il pourrait se passer pour les personnages. J’ai employé le conditionnel à dessein, pas la peine de vous en faire un pour savoir pourquoi. Un quoi ? Un dessin.

Hum…

J’ai utilisé le conditionnel, car, pour quelques écrivains un rien margoulins sur les marges – bords pour les marins, marges pour les écrivains, c’est comme ça – l’emploi de la prolepse est destiné à tromper son monde. Ouais, je balance. Contre un virement bancaire de mille euros, je vous donnerai la liste des écrivains auxquels je pense. Mais la prolepse, au fait, ça nous mène où ? Plus loin que le bout de notre nez, comme l’aurait certainement dit Pinocchio s’il n’était pas resté de bois. Merci de me pardonner les blagues faciles, ça me repose. Ce qui ne retranche rien à la pertinence de mon propos dont je ne cesse de m’étonner qu’il soit aussi éblouissant.

Le comptable et la prolepse

La narration n’est jamais figée dans le sens où on peut la distordre. Revenir sur des événements passés, extrapoler de façon omnisciente, rien n’est interdit pour dérouter ou intriguer le lecteur. Mais il faut pour cela ne pas s’emmêler dans la temporalité. J’ai bien dû à un moment donné ou à un autre vous conseiller d’établir un plan, non ? Il me semble bien que oui. Et croyez-moi, on a intérêt à s’en servir quand on titille la prolepse. Car parler de ce qui va arriver au-delà de l’instant présent, puisqu’il s’agit de cela, exige une rigueur de comptable souhaitant frauder le fisc. Vous pouvez compter sur moi pour les bons conseils.

La narration en bottes de sept lieues

L’intérêt de ce procédé est notamment de se mettre le lecteur dans la poche, car en lui faisant part d’événements qui vont se produire alors que le/les personnages ignorent ce qu’ils adviendront – ha ha, ce qu’ils sont bêtes ! –, vous lui donnez une longueur d’avance. Et quoi de plus jouissif pour un lecteur  d’effectuer un bond en avant dans le scénario ? De lui donner des bottes de sept lieues lui permettant d’accomplir un incroyable saut narratif quand le personnage reste sur place les bras ballants ? Hum ? Eh bien, c’est là un plaisir presque inégalable.

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Confidence et connivence

La littérature dans le creux de l’oreille

Car en utilisant la prolepse, l’auteur fait de nous son confident. C’est comme s’il nous glissait à l’oreille : « Hé, mon pote, je vais te confier un truc ignoré de tous les gugusses qu’il m’a pris des mois à caractériser ». Évidemment, c’est un stratagème littéraire digne du plus parfait escroc, car l’écrivain sait bien que cette forme de connivence est des plus artificielles. Mais tant que ça marche, comme le disait si bien le pasteur Martin Luther King en se rendant à Washington… Ne me félicitez pas pour cette référence historique totalement décontextualisée du sujet. Des applaudissements nourris suffiront.

Ne pas tout dire, mais le dire quand même

Dans la narratologie, cette figure de rhétorique donne un coup d’accélérateur au récit. Mais en même temps qu’elle lui file un coup de turbo, elle dilate la façon de raconter par son côté lointain. En fournissant une information sur une situation n’ayant pas encore eu lieu, la prolepse oblige le lecteur à échafauder des hypothèses reposant sur une certitude supposant son adhésion totale : l’auteur ne lui ment pas, mais il lui faudra patienter pour connaître les conditions ayant mené à un fait appartenant à un futur plus ou moins proche. Cette technique permet d’influencer le jugement du lecteur – et donc de l’amener là où on le souhaite – en ne lui délivrant qu’une information partielle.

Ne pas faire une croix sur son couple

Ainsi, la prolepse donne à un écrivain le redoutable avantage d’appâter son lecteur en ne lui dévoilant qu’une vision tronquée basée sur des éléments clairement établis mais dont il nous suggère qu’ils sont sous la menace d’être radicalement modifiés. Bon sang, j’ai dû relire la phrase précédente dix fois pour être sûr que tous les mots étaient au bon endroit. Prenons un exemple : un couple, Marie et Joseph… Si si, je conserve ces prénoms-là. Ne comptez pas sur moi pour faire une croix dessus. Marie et Joseph, donc, vivent une merveilleuse histoire d’amour. Ne riez pas, ça peut arriver à tout le monde.

Nageons dans un bonheur sournois

Et voilà que l’auteur, alors que les tourtereaux nagent dans le Bonheur (c’est un océan qui se situe entre la mer Plaisir et le fleuve Désir), nous balance au deuxième chapitre une phrase comme : « À ce moment de leur relation d’une plénitude que Joseph n’imaginait pas se finir dans les larmes, l’avenir lui apporterait le pire des démentis. ». Ah merde, Joseph, c’est pas de bol, dis donc. Notre auteur fictif nous annonce donc qu’un changement va intervenir sans en préciser la nature. On en a lynchés pour moins que ça. Mais voilà bien le pouvoir de la prolepse : susciter une curiosité, créer de l’incertitude,  et prévenir son lecteur d’une chose dont il ignore par quels soubresauts de l’histoire elle va finir par arriver. Une telle pratique est évidemment d’une sournoiserie sans nom. C’est peut-être bien pour ça que j’aime y recourir…

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