Lorsqu’on écrit une histoire, il existe une étape incontournable pour la peaufiner : la réécriture. Mais ce n’est pas la seule. Parallèlement à cette correction axée sur divers aspects techniques et littéraires, l’autocritique est rarement un levier utilisé pour progresser. Pourtant, comme on va le voir, c’est peut-être l’un des outils les plus puissants dont un auteur dispose afin d’améliorer ses textes de manière significative…
La ligne de départ
Les chemins tortueux
Une fois les étourderies orthographiques rectifiées, après avoir sauté à bras raccourcis sur les répétitions, fait la chasse aux incohérences narratives et donné plus d’épaisseur à des personnages dont la caractérisation laissait à désirer, un écrivain a déjà procédé à un important travail de réécriture. Ceci sans même parler de l’originalité du style et de l’intérêt du propos sur lesquels il a planché avec acharnement et dont il espère qu’ils lui permettront de sortir du lot. Inutile de lister tout ce qui risque d’aller de travers dans une histoire, car il s’agit d’un labyrinthe dont les tortueux chemins peuvent mener au découragement.
Ce couloir ignoré
Pourtant, aussi compliquée puisse paraître à trouver la sortie de ce dédale de considérations, il est un couloir que rien ne nous oblige à emprunter pour y parvenir, mais en direction duquel il serait bon de faire un pas, j’ai nommé l’autocritique. Il est certes naturel qu’estimant avoir fait de notre mieux afin de rendre une copie la plus aboutie possible, le besoin de s’engager plus avant pour y porter un ultime regard un rien désobligeant paraisse peu opportun. Après tout, pourquoi se flageller alors que nous avons sincèrement mis toutes nos capacités en œuvre avec une méticulosité de tous les instants ? Eh bien, ce ne serait peut-être pas si improductif que ça…
Ce qui part de nous
On oublie assez souvent de juger un élément pourtant important dans nos écrits : nous-même. Car à priori, c’est bien nous qui sommes les seuls responsables de ce qui sépare un texte tout juste acceptable d’une œuvre flattant l’esprit du lecteur. Nous qui sommes la ligne de départ vers celui faisant la démarche de nous lire. Une approche négative de l’autocritique est à proscrire, puisqu’il s’agit d’évaluer ses faiblesses afin de les transformer en forces, pas de se condamner à être impuissant à les corriger. À bannir donc l’apitoiement sur soi-même et l’autodénigrement qui tant font pour la paresse de l’esprit et le rejet de l’effort.
L’autocritique des écrivains
Une observation lucide
L’autocritique littéraire est l’observation lucide de nos défaillances dans notre façon de penser l’écriture. En ce sens, elle a plus à voir avec l’honnêteté intellectuelle qu’avec l’intelligence, même si cette dernière fait évidemment partie de l’équation. S’il ne s’agit pas de se remettre radicalement en cause en tant qu’individu, un état des lieux de qui nous sommes est néanmoins souhaitable. On ne peut entièrement dissocier qui l’on est de ce qu’on écrit, ce qui peut s’opérer avec un détour par le « connais-toi toi-même » cher aux philosophes grecs.
La composition de notre créativité
Ce n’est pas parce qu’il nous est ardu de résoudre l’énigme de notre intériorité qu’on doit, par une forme de confort, reléguer les vérités qui nous composent à une notion étrangère à notre créativité. C’est au contraire en s’interrogeant sur la destination de ce que l’on représente et par-là ce qu’on écrit que nos histoires prennent leur sens. Ce peut-être Philip Roth ancrant autant qu’il s’y confronte en s’en moquant son identité juive dans ses récits, en de vertigineux dédoublements (de sa personnalité ?) comme dans La contrevie ; ou Frederick Exley qui, dans Le dernier stade de la soif, questionne son alcoolisme et ses failles mentales en même temps qu’il ausculte le monde et en diagnostique les délires ordinaires l’amusant et l’effrayant tour à tour.
Le reflet des excursions
Ce peut également être Virginia Woolf réfléchissant par le biais de ses textes avec une ironie teintée d’amertume quant à sa place en tant qu’écrivaine et bien entendu de femme dans la société des hommes. Ses « moments d’être » comme elle les nomme et qu’on peut notamment saisir dans Une chambre à soi et Les vagues participent de ces excursions dans l’intime qu’on pourrait assimiler à certaines racines de l’autocritique. Être face à soi-même, ce n’est pas que l’étude de son reflet mais aussi le miroir tendu au lecteur.
Se quitter pour se construire
De même, les incompréhensions de Mehdi Charef nées du déchirement de l’exil et relatées dans Rue des pâquerettes, où les évidences de son Algérie natale entrent en collision avec les conditions de vie de son pays « d’accueil » – soit dans des bidonvilles parisiens. Encouragé par son instituteur à trouver les mots pour traduire son mal-être, le Charef de dix ans interroge qui il a été sous la forme d’un reproche désespéré qu’il ne sait pas à qui adresser : « J’ai l’impression que tout ce que j’étais avant d’être en face de vous m’a quitté, n’avait plus sa place ici… Le nouveau en moi ne sait pas par quoi commencer pour se construire, et sentir en lui la vie. ».
Entreprendre différents voyages
La vérité d’une image
Pour porter ces jugements ou émettre ces opinions-là, comprendre l’image que l’on renvoie aux autres implique qu’on sache ce qu’elle évoque ainsi que la part de vérité qu’elle véhicule. Et, infusant nos écrits, ce qu’elle traduit de nous ainsi que la manière dont on doit la présenter afin d’enrichir notre discours et le rendre persuasif ou en tout cas écoutable. L’autocritique revenant pour partie à une remise en question de ce que nous considérions comme acquis, l’humour et la mélancolie doivent s’inviter plus souvent qu’à leur tour dans ce repositionnement de nos certitudes sur notre échiquier mental.
Les modèles exemplaires
C’est là qu’il nous revient d’en jouer par le biais de nos personnages, par exemple. Pas pour systématiquement s’en moquer comme nous finirions par sourire d’un de nos travers après l’avoir identifié – et accepté –, mais tout simplement pour construire nos protagonistes dans toute leur complexité. De quel meilleur modèle que nous-même disposons-nous pour appuyer du doigt là où ça fait mal avec le plus d’indulgence possible ? Et dans le même élan, où dénicher un exemple d’évolution plus pertinent que celui auquel on accède en se scrutant intérieurement sans complaisance ni acharnement, mais dans l’unique but de s’améliorer ?
Se rapprocher par la réflexion
Nous sommes au plus près de notre écriture quand nous réussissons à être attentivement à notre écoute. Il ne me semble en effet pas farfelu de penser que les idées qui nous viennent appartiennent tout autant au monde qui nous entoure qu’à notre monologue intérieur. Ou de l’interaction existant entre les deux. En se tenant trop à distance de l’autocritique, on écrit avec le manque de justesse inhérent au schéma intellectuel dont la structure peut se révéler faussé par des croyances. Des choses que nous n’avons jamais remises en cause faute d’avoir pris le temps d’y réfléchir.
La place qu’on occupe
Pour finir, il me paraît important de rappeler l’apport de l’autocritique en terme de constat personnel plutôt que d’une vision indiscutable. S’observer nous permet de rendre compte de réalités qui nous sont propres, pas d’en faire des généralités s’imposant à tous. Ce sont d’ailleurs des différences de points de vue que l’on s’inspire pour affiner notre perception du monde et la place qu’on y occupe tant bien que mal. Ceci, pour ce qui nous concerne, afin de parfaire notre connexion à notre univers littéraire dans un trajet vers soi, point de départ d’un long voyage en direction du lecteur…
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