Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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Écrire une page indépendante

Sommaire

Je proposais dernièrement d’étudier les « petites phrases » comme pourvoyeuses d’idées susceptibles d’alimenter nos textes. D’accès immédiat, maniables, faciles d’assemblage, elles sont le matériel léger de l’écriture. Un autre outil de construction plus robuste, plus élaboré dans son traitement, me paraît constituer un complément intéressant à ces unités très mobiles : la page indépendante, où la plume peut davantage se dégourdir les jambes tout en structurant la pensée de l’auteur. Ou comment passer de la fulgurance inspirée à la réflexion libre d’entraves narratives…

Ivresse et frustration du format autarcique

Écrire une page sans que notre propos ait à prendre en considération des événements relatés en amont ou en aval permet d’articuler un discours se concentrant sur le seul instant présent.  Il y a dans la spécificité de ce procédé un mélange d’ivresse et de frustration. Notre écriture se grise de se croire tout permis, mais sa gaie titubation finit toujours par se heurter aux limites étroites de l’exercice. La page indépendante ne fouine pas dans les interactions d’une intrigue ni ne s’aventure dans les prolongements d’un récit. À l’instar de la petite phrase, elle s’exprime, avec les développements tronqués que ça suppose, dans l’exigüité d’un format autarcique.

La permissivité de l’inachèvement

La page indépendante, à sa façon « permissive », favorise une écriture décomplexée puisque n’ayant de compte à rendre à personne. Si on la porte à la connaissance du lecteur, ça sous-entend qu’il devra la lire pour ce qu’elle est, une ébauche dont il faut entrevoir le potentiel, pas un texte où il s’agirait de relever la qualité d’un achèvement.  Cette préparation textuelle est un os en passe d’être raclé, l’ébauche de notre discours dont par la suite on fera fondre le saindoux verbeux et auquel on arrachera les nerfs abscons d’un texte filandreux.

Préserver ses forces

L’énergie nécessaire à l’écriture d’une page indépendante est différente de celle requise pour la mise en œuvre d’une histoire cohérente. Selon moi, dans cet espace déconnecté des obligations du récit, le risque est moindre de s’enfermer dans une phrase ou un paragraphe dont on s’attacherait trop à l’effet qu’ils pourraient  – voire devraient – produire. On y laisse moins de forces. Et par-là,  l’insistance stérile contenue dans une attente dont on découvre au bout du compte qu’elle nous conduit à faire fausse route, ne se manifeste qu’à la marge. C’est une mise en perspective salutaire de la sensation de blocage, une notion à laquelle on accorde souvent trop d’importance quand l’avancée de l’intrigue en dépend.

Conservation d’une empreinte

Une page indépendante participe du renforcement de notre écriture et nous encourage à exposer nos idées. Il y a un côté non officiel dans son approche qui nous incite à plus d’audace dont on conservera l’empreinte dans nos écrits futurs. Parfois, le simple fait de concrétiser par des mots même provisoires ce que l’on ressent permet de l’exprimer par la suite avec davantage de volonté, de précision et de discernement. Ce que l’on aborde dans une page indépendante, fut-ce à l’état embryonnaire, initie un acte intellectuel concret. On craint souvent ce que nous n’avons pas su exprimer parce que le premier geste coûte, non pas parce que nous sommes incapable de l’accomplir. 

Le mouvement de la pensée

Comme extraite d’un journal intime du travail littéraire, la page indépendante n’a d’autre vocation que d’être constitutive d’un tout qui la dépasse. À ce titre, il serait erroné d’y voir autre chose qu’un fragment d’inspiration n’étant pas représentatif d’une façon d’écrire ou de la vision globale d’un auteur. Au mieux, la page indépendante est un instantané figeant en l’isolant l’un des mouvements de la course folle de la pensée de l’auteur. Elle rayonne par la profusion de ses raisonnements. C’est donc ainsi que je vous invite à découvrir l’une de mes plus récentes tentatives de ce genre dont quelques passages m’ont permis de venir à bout d’une nouvelle (lesquels, je ne le préciserai pas, et c’est très bien ainsi).

La page indépendante

Note

Je restitue cette page sans retouches importantes. Elle a juste bénéficié, dans le souci de la meilleure intelligibilité possible, de quelques ajouts mineurs à mesure que je rédigeais mon article. Mais aucune modification significative n’a été effectuée dans la version que je vous soumets à présent.

Par ailleurs, les intertitres viennent en supplément afin de conserver plus ou moins la structure habituelle de mes articles. Il n’y en avait bien sûr aucun dans la version d’origine.

L’intérêt de ne rien dire

Je n’ai rien de particulier à dire, aujourd’hui, alors autant m’y mettre tout de suite : il y a toujours quelque urgence à interroger ses propres silences. Je suis curieux de ce que je vais écrire, c’est déjà ça, c’est un début. On se surprend à découvrir des choses inattendues émerger quand on n’a pas projeté d’aborder un sujet précis. Peut-être aurai-je la bonne fortune de voir cette surprise-là éveiller un quelconque intérêt chez l’auteur qui rôde en moi.

Absence d’oscillations philosophiques

L’idée m’a effleuré qu’il pourrait s’agir d’une tentative d’écriture automatique chère aux surréalistes, mais je suis trop habitué à mes manies d’écrivain pour m’en défaire inopinément. Le lâcher-prise impréparé pourrait, littérairement parlant, plus tenir du gouffre au fond duquel on s’écrase que d’un vide où planeraient des pensées élevées. Puis, inutile de réfléchir à des considérations telles que : le vertige n’est pas la profondeur ; ou : la chute n’est pas un trajet –je n’ai pas assez éprouvé ces oscillations philosophiques.

Maupassant et Keyes, le brio de la folie

L’encre des Highlands

Autant me diriger en flâneur poétique, au milieu d’encriers tout grillés de soleil, nichés dans les Highlands aux ténèbres dorées, pour humer l’amertume d’une lettre froissée, boule de papier-chagrin plein de rosée vermeille, abandonnée transie à la rosée celtique – des mots désespérés mêlés d’ombres nuiteuses, vers cette poésie qui ne signifie rien, oublieuse des sonnets et des alexandrins.

S’observer derrière soi

Si la poésie ne se résumait qu’à l’art facile de se regarder écrire par-dessus sa propre épaule – offrant à l’écrivain d’être lui-même sa rime, tel le Horla se penchant dans le dos de Maupassant en cette folie qui guette le reflet de l’auteur -,  elle contemplerait notre intériorité au détriment de tout ce qui s’observe quand on ne se préoccupe pas de qui l’on est. La prosodie a le rythme de l’éloignement de soi, laissant la place au musard en nous ne demandant qu’à encombrer de métaphores le monde qui l’entoure.

Le talent halluciné

Le Horla, tiens, à propos ! je l’ai récemment lue cette nouvelle dans laquelle l’ancienne magie aliénée de Maupassant perdure. Le talent a des hallucinations qui marquent la littérature. Mais si je l’évoque ce n’est pas pour apporter un énième éclairage sur la part d’altération mentale de l’auteur entrant dans cette œuvre. Sa neurosyphilis ne se déclare dans ses épisodes les plus extrêmes de façon trop imprécise dans le temps pour en mesurer l’impact.

Le cliquètement de l’imagination

Non, mon intérêt a été éveillé par ce qui gravite autour du texte, à savoir une préface, la première version de Le Horla en sus de celle définitive, et quelques notes précisant à quoi il était nécessaire de relier certains passages. Non seulement c’est instructif, mais aussi ça permet d’identifier le bruit des rouages du récit. De comprendre comment l’imagination cliquète. C’est un sujet qui à lui seul a déjà constitué le cœur de bien des ouvrages.

Mille et une bonnes raisons de relire Keyes

Pareil processus avait été élaboré avec un apport plus poussé encore – un long témoignage de l’auteur aidant à enrichir le propos – dans Des fleurs pour Algernon, le chef-d’œuvre de Daniel Keyes (en attendant que je lise prochainement Les mille et une vies de Billy Milligan, du même auteur). Le délabrement psychologique, comment la peur abêtit la compassion, la nocivité de l’intelligence quand elle s’imagine ne pouvoir exister que par l’écrasement de l’autre, ce que la perversité intellectuel peut avoir de brillant, le courage d’être idiot, etc. Tant de personnages sont à inventer à partir de ces évidences que l’on délaisse parfois, quand pourtant le portrait mental donne à la société son vrai visage.

De la phrase naît une idée qui accouche d’une page engendrant une histoire, et l’imagination, infatigable parturiente, a dans ses contractions le mouvement perpétuel de la création.

 

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