Définir le style d’un écrivain permettrait de dessiner le contours de règles stylistiques. L’idée qu’un style puisse se développer grâce à une formation suscite une levée de boucliers. A croire que le style doit rester indéfinissable, mystérieux, hors de portée du commun des mortels. Ce refus reste surtout l’affaire de quelques auteurs en manque de modestie. Les critiques littéraires, les enseignants, les pédagogues sont généralement en mesure de décrypter le style d’un écrivain. La justice, elle, ne se prive pas de recourir à des experts afin d’instruire les affaires de plagiats.
Pourquoi certains auteurs s’opposent à définir un style ?
L’explication d’Antoine Albalat, l’un des auteurs qui a inspiré L’esprit livre, est édifiante. « Ecrivant beaucoup, convaincus qu’ils écrivent bien, ils proclament que le style ne s’apprend pas, et avec raison, car, s’il s’apprenait, s’il était vrai qu’on a besoin de travail pour avoir du talent, ils seraient forcés d’en rabattre et de s’estimer moins. On conçoit qu’ils ne se résignent point à reconnaître une vérité qui déprécierait leurs œuvres et qu’ils ne puissent donner raison à une théorie qui leur donne tort. Comment condamneraient-ils avec des mots banals : ils en sont pleins ; et rejetteraient-ils les clichés ? leur prose en est faite.
Ils croient écrire sans reproche parce qu’ils écrivent sans peine, et prenant l’absence d’effort pour un signe d’inspiration, ils refusent d’en avoir le démenti ; il n’y a vraiment pas moyen de leur en vouloir (…). Ils ne peuvent sortir d’eux-mêmes et ne conçoivent d’autre style que leur propre style.
Ne leur dites surtout pas que la couleur existe ; que la forte description s’obtient rarement du premier coup ; qu’on réalise par le travail des surprises et des créations de mots : qu’il y a enfin un art réfléchi de la perfection, un relief voulu des images, des chocs d’antithèses louables, une force et une cohésion, une structure, qui constituent toute une science du travail. »
Il est en effet impossible de faire changer d’avis ce type de personne, tant ce mode de pensées est confortable et valorisant.
Le monstre de l’évaluation objective en formation
Qui n’a pas entendu dire : ce n’est pas possible d’évaluer une œuvre d’art ! ». « On ne juge pas la littérature car il ne peut pas exister de critères objectifs ». « Une œuvre rencontre son public ou ne le rencontre pas… » Et même les pédagogues ont parfois des convictions totalement erronées. Voici un exemple assez croustillant.
Dans le très sérieux manuel : « Savoir rédiger « de Lucien Léonard paru aux éditions Bordas en 1978, cet enseignant refuse d’accepter l’enseignement du style. Il développe un concept étonnant : « les illusions de la rhétorique ».
Les vertus stylistiques préconisées par les rhéteurs antiques lui semblent soudainement irréalistes : le naturel, la simplicité, la variété, la précision, le pittoresque… n’étant pas définissable une bonne fois pour toutes, elles ne peuvent donc pas s’enseigner. Seule la rigueur scientifique peut trouver grâce à ses yeux. Cette fixité de la connaissance, une forme de loi universelle ne prouve rien du tout.
Les critères stylistiques se fondent sur des perceptions reconnaissables par une majorité de lecteur. Même si le bon sens ne peut se réduire en une équation faite d’évidence, elle existe tout de même.
La formation nuirait au naturel de l’expression artistique
Ce vieux débat se répète de générations en génération. Antoine Albalat est parvenu à cette conclusion « La vérité, c’est que tous les styles sont fabriqués et artificiels ; seulement ni la fabrication ni la rhétorique ni l’artifice ni aucune espèce de procédé littéraire doit se faire sentir. » Cette dissimulation rend l’écriture naturelle. C’est ce travail de l’écriture qui est occulté : il reste méconnu.
Antoine Albalat le définit d’ailleurs très bien dans son ouvrage Comment il ne faut pas écrire,: « Renan efface, revient, retranche, remplace des mots, retouche des phrases, les arrondit, recommence des pages entières. Je le vis aussi corriger les épreuves de façon à faire perdre la tête aux imprimeurs. Il ajoute au moins autant qu’il retranche, et les mots toujours lui semblent ne rendre qu’imparfaitement toutes les délicatesses de la pensée. […] Il est, pour aussi parler, obligé de fouiller la langue dans tous les coins, pour y découvrir le mot qui s’applique juste à sa pensée ; et, de cette recherche incessante, naissent mille finesses de langage, mille tours de phrases ingénieux ou frappants.
On aurait donc grand tort de dédaigner le travail ; mais on serait encore plus blâmable de tomber dans l’excès contraire, et de mépriser tout ce qui est verve, abondance, facilité, couleur, images, sous prétexte que « c’est de la rhétorique ».
En littérature, sachons-le bien, tout est rhétorique, même la contre-rhétorique, parce que la littérature est un art et que, s’il est vrai que le style est une façon involontaire d’exprimer sa personnalité, il est aussi un instrument de combinaison, de volonté, de choix, un instrument qui a son tour, obéit, modifie ou invente. »
Quand les juges font un pied de nez à la polémique
S’il existe un endroit où il est crucial d’évaluer le savoir-faire d’un auteur, c’est bien dans un tribunal, lorsque le juge doit se prononcer sur la paternité d’une œuvre dans une affaire de plagiat. Au diable cette notion si floue du talent. Les juristes analysent dans le détail l’écriture et notamment le style. Ce dernier, si indéfinissable du côté des auteurs, devient subitement le nœud de l’affaire. Voici un exemple de définition extraite de la jurisprudence.
« Le style d’un écrivain résulte d’un véritable travail d’écriture portant l’empreinte créatrice personnelle de l’auteur et comprend la conception intellectuelle (l’élaboration de synopsis, séquenciers et tous documents préparatoires à l’élaboration d’une structure et forme littéraire, l’exploitation d’une documentation variée), le travail propre à l’expression écrite : ouvrager ses phrases, le choix des mots, la structure, le sens, la longueur, la musicalité, leur rythme, le ton, leurs qualités évocatrices qui sensibilisent les lecteurs à des idéaux, empreintes s’inscrivant dans les idées porteuses donnant sens et vie, valorisant un récit, une histoire, un parcours, interpellant émotionnellement le lecteur. Toutes ces empreintes génèrent le style d’écriture particulier de l’auteur qui lui est propre et qui lui appartient. »
Les critères d’évaluation de la Justice sont précisément ceux développés par Antoine Albalat. Rien d’étonnant, puisqu’il s’agit de compétences rédactionnelles. Les avocats et les juges ont suivi durant la formation des cours de… rhétorique !
La boucle est bouclée. Certains avocats, outre le fait d’être de brillants orateurs, deviennent parfois des écrivains de talent. Maurice Garçon, membre de l’Académie française, avocat au barreau de Paris, écrit dans son traité d’éloquence judiciaire : « La vraie simplicité exige une grande justesse d’expression. C’est particulièrement quand il veut être simple qu’on apprécie la richesse ou la pauvreté de la langue d’un orateur. L’abondance du vocabulaire empêche les répétitions, facilite l’extériorisation de la pensée et procure l’aisance élégante qui est la base de la pensée.»
De quel procédé stylistique de répétition parle-t-il ? … de l’anaphore, bien sûr ! ?
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