L’importance des mots et les différents stratagèmes auxquels on recourt pour leur en donner, ce qu’ils disent d’un personnage selon le niveau de langage dont on le dote, la résonnance qu’ils acquièrent en fonction de ce qu’ils évoquent, leur degré d’impact qui fera qu’on en choisira un plutôt qu’un autre afin de se montrer convaincant, la raison pour laquelle on se doit d’en apprivoiser de nouveaux, l’utilité de noter ceux nous traversant l’esprit, bref, tout ce qui amène les mots à éclore dans notre écriture mérite qu’on s’y intéresse…
Cet article est la 3e partie d’un dossier consacré aux mots
> Lire la 1ère partie : les mots et le contexte
> Lire la 2ème partie : l’usage des mots
Cœur de cible
Les mots qui brûlent
Prenons un brave restaurateur français s’appelant Dupont et un tout aussi brave restaurateur américain s’appelant Kennedy. L’utilisation d’une expression bien de chez nous désignant le pic journalier de leur activité professionnelle serait dans le premier cas perçue comme anodine et dans le second nous renverrait, sur le ton de l’humour noir, à un événement historique. Pourquoi ? Eh bien, dans l’esprit des gens, entendre « C’était le coup de feu chez Dupont » convoquerait l’image assez répandue d’un homme qui se démène en cuisine, quand « C’était le coup de feu chez Kennedy » y installerait celle d’un président assassiné à l’arrière d’une Lincoln Continental roulant à faible allure. Certains mots brûlent les lèvres, d’autres les cervelles. Pas pareil.
Un humour carabiné
Si je voulais pousser plus loin la farce macabre, je dirais que c’est bien la preuve que les mots peuvent tuer, puisque selon la version officielle, JFK a été abattu avec une carabine par Lee Harvey Oswald depuis le cinquième étage d’un dépôt de livres ; mais bien entendu, je ne le ferai pas. Ah, trop tard. Blague à part, cet exemple me semble des plus parlants s’agissant de la nécessité de savoir quel spectre mental, référentiel, mémoriel, etc., un substantif est susceptible de couvrir afin d’une part éviter quelque impair, d’autre part se servir des spécificités s’y rattachant lorsque le contexte d’une histoire le permet, voire l’encourage. Maîtriser les ressources d’un mot, c’est être assuré de ne pas en manquer.
Un oubli après la virgule
Savez-vous quel est le pourcentage de déperdition des idées qu’on ne note pas, à la décimale près ? Non ? Moi non plus, mais beaucoup trop me semble être un chiffre réaliste, à la lettre près. Et les idées, pour partie, sont contenues dans les mots. Employez-en un plutôt qu’un autre, et le sens différant, la portée de votre propos sera moindre. Songez à l’efficacité des slogans publicitaires les plus connus, à la perte d’impact engendrée si l’un des termes, oublié faute d’avoir été écrit, avait été remplacé par un autre. Pour vous en rendre mieux compte, livrez-vous comme moi à une petite expérience tant ludique qu’instructive. Promis, ça ne vous prendra que quelques minutes !
Et maintenant, une page de publicité
J’ai tapé ceci dans ma barre de recherche : « Les meilleurs slogans publicitaires » ; vous verrez lorsque vous aurez fait de même que les réponses ne manqueront pas. Il suffit de consulter une ou deux des nombreuses listes proposées pour qu’une évidence s’impose sans tarder : dans la majorité des cas, changer ne serait-ce qu’une virgule de ces « formules magiques » annihilerait tout le côté persuasif du message. Vous allez peut-être me dire : « Et alors, je n’écris pas des publicités ! ». C’est vrai. Mais vous voulez convaincre votre lecteur. Consciemment ou non, vous le ciblez, puisque peu importe votre domaine littéraire de prédilection, il correspond déjà à un lectorat identifié, aussi marginal soit-il. Et c’est à ce lectorat potentiel que vous vous adressez en utilisant des mots qui lui parlent. Si en oublier un n’est pas les oublier tous, perdre l’idée qui y était associée pourra vous éloigner du cœur de votre cible.
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Un texte qui a de l’allure
Je ne sais pas quoi me mettre !
Les mots sont la garde-robe de votre style. À ce titre, il est bon de la renouveler de temps à autre pour éviter à votre écriture des airs de déjà-lu qui pourraient lasser votre lecteur. Sans bien sûr cesser de porter vos habits préférés, ceux avec lesquels vous vous sentez le plus à l’aise, vos assemblages langagiers favoris. L’important est que l’on vous reconnaisse au premier regard. Et que la touche d’élégance que vous aurez à l’occasion décidé d’apporter à votre tenue habituelle par le biais d’un détail stylistique ne dénature pas votre personnalité.
Déshabiller Paul pour habiller Jacques
Je ne vous demande pas de passer de la veste de smoking à celle à franges, ou inversement. Ni de vous risquer à quelque chose d’aussi tape-à-l’œil qu’une cravate en soie tirant sa langue effrontée sur un haut de survêtement. Même si, par un violent contraste, l’association d’un adjectif verlainien et du style très relâché d’un auteur faisant le Jacques puisse se révéler séduisante. Qu’il soit vestimentaire ou littéraire, l’enhardissement ne devrait avoir pour seule limite que la faute de goût, et dans tous les cas, éviter de froisser l’étoffe comme la syntaxe.
Une bonne raison d’interrompre sa lecture
Tous à Limerick !
Je suis en train de lire La fille aux cheveux étranges (1), un recueil de nouvelles de David Foster Wallace, auteur américain que je découvre. Dans Vers l’ouest fait route la trajectoire de l’empire, le texte de presque 200 pages qui clôture cet ouvrage, figure le mot limerick. Qu’est-ce donc ? J’ai essayé d’en comprendre, ou deviner la signification précise par rapport au sens général de la phrase, sans y parvenir. Si je connais le nom de ce comté d’Irlande entendu dans une célèbre chanson française évoquant des lacs, ça ne m’a guère avancé. Alors j’ai fini par en chercher la définition, comme je suppose nous le faisons tous lorsque nous tombons sur un terme dont nous ignorons parfois jusqu’à l’étymologie…
Lire au détail près
En fait, je sais que tout le monde ne procède pas ainsi, que bien des gens continuent tout simplement leur lecture sans trop insister parce qu’ils sont pris par l’histoire et ne veulent pas en sortir pour ce qu’ils considèrent à tort ou à raison être un détail. Si je puis me permettre, je vous incite à donner leur chance aux détails (qui vous l’aurez compris, dans mon esprit, n’en sont pas tant que ça), car ils pourront un jour ou l’autre vous être d’un précieux concours en tant qu’auteur. Si je peux l’affirmer, c’est parce que ça s’est déjà produit de la sorte pour moi. Certes pas des dizaines de fois, mais c’est arrivé plus d’une.
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Kennedy, le retour
Il y a quelques années, j’écrivais une nouvelle où l’un des personnages était séquestré ; durant cette période, je lisais l’excellent Kennedy et moi (2), du non moins excellent Jean-Paul Dubois. Dans la dernière partie du livre, l’auteur a écrit la phrase suivante : « Sans doute aurait-il quelques difficultés à comprendre que l’on puisse délaisser un point de vue sur la baie pour se terrer dans un ergastule où la lumière ne filtre qu’au travers de maigres soupiraux. » À l’évidence, cet ergastule que je rencontrais pour la première fois désignait un endroit pour le moins austère, mais je ne savais pas à quoi le rattacher spécifiquement, ce qui m’en rendait la compréhension incomplète. Le schtroumpf grognon aurait sûrement marmonné : « Moi, j’aime pas quand c’est incomplet. » Mais je ne suis pas un bleu, aussi n’en suis-je pas resté là.
Une occasion au cachot
Renseignement pris, il se trouva que la définition d’ergastule, « un cachot, une prison souterraine » correspondait parfaitement à l’endroit où je souhaitais voir mon personnage détenu. Rien n’aurait pu mieux coller que ce mot dont j’ignorais l’existence l’avant-veille. Dit comme ça, on pourrait penser que ça tient presque du miracle littéraire. Pas de quoi faire une demande auprès du Vatican pour que cela soit reconnu comme tel, je vous l’accorde, mais tout de même, c’était fichtrement arrangeant, cette « coïncidence ». Sauf que j’aurais très bien pu passer mon chemin pour aller à la phrase d’après sans plus me préoccuper de cet ergastule. Et là, il n’y aurait eu ni hasard ni coïncidence : juste une occasion manquée.
Quand Cendrillon n’écrit pas comme une savate
Vous connaissez l’intense satisfaction éprouvée quand un mot se glisse idéalement dans une phrase. Vous savez, cette sorte de pantoufle de verre littéraire (ou de vair, d’ailleurs, si l’on se range à la rectification de Balzac, avis l’opposant à celui d’Anatole France pour une discorde de sacrées pointures) ? Au-delà du contentement personnel ressenti lorsque les mots s’ajustent à la perfection à votre idée, à votre histoire, songez quel plaisir le lecteur prend en constatant la méticulosité avec laquelle vous les avez choisis. Je ne vous cache pas concevoir une forme de reconnaissance vis-vis d’un écrivain quand je m’aperçois qu’il a accompli l’effort nécessaire afin de créer avec son lecteur ce qui peut s’apparenter à une symbiose. J’y vois comme une marque de respect de sa part.
Je vous avais prévenus…
Pour en finir avec mon limerick, le texte de Wallace fournissait en amont de quoi comprendre de quoi il retournait sans savoir exactement ce dont il s’agissait. Vous vous doutez bien qu’à présent, je le sais. Est-ce que pour autant je serai amené à l’utiliser un jour pour une de mes histoires ? Aucune idée. Si c’est le cas, tant mieux, sinon, j’aurai appris quelque chose. Ah, au fait, pour ceux qui comme moi l’ignoraient, un limerick, c’est… Allons, vous ne pensiez tout de même pas que j’allais vous mâcher le boulot alors que je viens de consacrer une partie de cet article à essayer de vous persuader des vertus de la curiosité lexicale, si ?
Eh bien non.
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Crédit photo
Image par Susanne Jutzeler, suju-foto de Pixabay