Texte présenté au terme du stage
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Pitch
Au bord de la mer, Paul est en vacances. Il rencontre un homme qui se croit contaminé par une centrale nucléaire, sur son crâne poussent des sortes d’écailles. Paul devine un envoûtement de la mère Cloporte, sorte de sorcière, qui acceptera d’en supprimer les effets à certaines conditions.
Des écailles sous un bonnet rouge
J’m’appelle Paul, Chaque année en décembre, j’passe mes vacances chez mon oncle Jules lorsque mes parents partent à la Guadeloupe dorer leur beauté au soleil… sans moi ! A toutes nos retrouvailles, Oncle Jules me pince les joues !… Il me soulève le menton, me dit que j’ n’ai pas changé, que mes yeux sont toujours aussi bleus, que ma figure est toujours aussi tamisée à travers la même passoire. Mes cheveux, il les trouve trop longs malgré les boucles rousses qu’ma mère vénère comme une relique de mon enfance.
La cérémonie des retrouvailles terminée, j’cours sur la plage où le sable s’ennuie en hiver. J’m’amuse à sauter par-dessus des obstacles invisibles ou à shooter le ballon qu’j’ai perdu, avalé par les vagues. J’m’arrête, j’regarde le ciel. Comme pour me consoler, des nuages se sont arrondis.
Ensuite, j’file chez la Mère Cloporte. Les villageois disent qu’elle est folle et lui fichent la paix. Moi, elle me fait marrer et m’angoisse en même temps. Dans sa masure de bois fatigué, au bord de la plage, elle m’accueille toujours avec chaleur. Malgré son visage ratatiné et ses verrues qui lui agrandissent le nez, j’me laisse embrasser… pour lui faire plaisir et parce qu’elle m’offre une pomme bien meilleure que chez moi. Dans le fond d’sa baraque, les flammes d’un foyer. La cheminée, qui n’est qu’un tuyau de fourneau trouvé aux puces, les aspire et une fumée nauséabonde crache ses volutes de couleurs variables selon leurs odeurs. Répugnante de patates moisies. Désolante d’un oignon qu’on pèle.
Ses récits sur le bouillon magique m’empêchent de dormir. J’adore les histoires qui font peur, ça m’procurent des frissons délicieux, sauf quand j’me souviens du glouglou des vieilles chaussettes en ébullition, ça, ça m’coupe l’appétit. Elle dit qu’elle est fille de sorcière et qu’elle s’amuse à envoûter des gens rien que pour s’exercer à la science des herbes magiques. Bon ! C’est peut-être vrai, mais faudrait pas qu’elle exagère, ces combines magiques c’est pour les petits qui croient aux contes de fées.
Ce matin, j’cherche des coquillages. J’vois arriver une espèce d’échalas, avec un complet-veston foncé et une cravate cramoisie. S’est-il déguisé en banquier ? Son crâne est chauve, cible rêvée pour le lâché d’un goémon d’albatros.
« Bonjour M’sieur, «que j’lui dis. Pas de réponse. « En v’là des manières que j’me dis. « Bonjour M’sieur » que j’répète.
Rien ! Pas un mot, il passe et disparaît vers le village. J’en déduis que j’suis transparent ou qu’il est sourd. Ça dure trois jours de suite. Au quatrième, j’le regarde même plus et j’entends, « Bonjour jeune homme ! » Qu’il me fait sur un ton sucré de banquier distingué.
– Ha, ha ! ! que j’lui fais et j’repars à l’opposé. S’il croit que j’vais saluer un mec aussi mal élevé.
Le lendemain, j’m’accroupi derrière des rochers, je l’vois qui erre, un bonnet rouge de bonne femme enfoncé jusqu’aux yeux. Je m’ demande où il a trouvé cette horreur qui le fait ressembler à un cul de macaque ? Il me cherche, m’appelle…ouh, ouh ? Il sait même pas mon nom… Je rêve ? Il s’intéresse à moi ? J’en r’viens pas. J’bouge pas. J’rigole de l’voir tourniquer.
– Coucou ! » que j’fais au bout d’un moment. » J’émerge comme un diable de derrière les rochers.
– Ah te voilà ! petit morveux !
Morveux j’veux bien, quoique… Mais petit, ça m’agace.
– Eh Petit ! Qu’il répète, ne vois-tu pas la fumée verte qui sort de la centrale nucléaire ?
– Bien sûr que j’la vois !… J’m’appelle Paul, et vous ?
– Il doit y avoir des fuites qu’il me dit en baissant la voix.
– N’importe quoi que j’lui réponds… C’est quoi votre nom ? » Je m’demande s’il a toute sa raison, c’est peut-être pour ça qu’il me saluait pas, il me voyait pas, embourbé dans sa pétoche de la radioactivité.
– J’ai visité la centrale avant hier, depuis j’ai des croûtes plein la tête,
« Il tend l’élastique de mon indulgence » que j’me dis. Il enlève son bonnet et je vois des trucs râpeux collés sur des bouts de son crâne encaustiqué. C’est vrai que ça fait peur, je suggère,
– C’est un coup de la mère Cloporte, elle dit qu’elle envoûte des gens.
– Tu te moques de moi, garçon ! Restons-en là !
Il doit se dire que lui, un banquier, ne peut pas s’abaisser à écouter mon expérience de gosse. OK qu’il parte ! Pourtant je l’retiens, j’aimerais bien voir la tête qu’il ferait si je lui présentais la Mère Cloporte.
– Allez soyez pas vexé M’sieur !
J’lui propose de l’emmener chez elle. Ça lui fiche la trouille, il quitte la plage en réajustant son bonnet.
Le lendemain, il porte un bonnet vert plus gros, ça le fait encore plus pâle. Il m’ordonne,
– emmène-moi chez ta sorcière !
– Ben dire s’il vous plaît, ça ferait bien dans le paysage et bonjour aussi, … C’est quoi votre nom ?
– Hector Petitemonnaie, banquier.
– Pffff ! que j’fais en regardant ailleurs ! Vous êtes un vrai banquier ?
Il ne dit plus rien. J’ai l’impression que ça bouge sous son bonnet. Il me suit et nos pas trouent le sable l’espace de quelques minutes. Hector ralentit, m’arrête. Un effluve bizarre se fraie un passage par les fentes de la cabane de Mme Cloporte. Ça prend au nez, ça fait tousser. Elle nous entend et ouvre la porte, je vois ce pauvre Hector devenir blanc comme un pipi de tortue. J’le tire par la manche vers Madame Cloporte. Comme il est incapable de parler, j’lui arrache son bonnet !
– OH Ho ! Fait la matrone d’une voix d’outre-tombe, en rafistolant sa blouse glauque dans sa jupe informe, que voilà un cas intéressant. Elle se précipite à l’arrière de la pièce, ouvre son grimoire, rajoute quelques herbes et de la poussière d’étoiles (qu’elle dit) dans le chaudron qui rugit. La maisonnette rougit. La fumée nous entoure, on s’voit plus.
Un moment ! Tout redevient normal, enfin comme ça peut être normal dans la maison de la Mère Cloporte que j’me dis. Hector est allongé sur le sol de terre battue. Son bonnet vert, en lambeaux, à côté de son crâne ripoliné.
Mme Cloporte lui tend la main pour qu’il se relève.
– Voilà, banquier, c’est terminé mais tu ne dois jamais plus mépriser quiconque, sinon…
Hector ondule en avant, prend la main de Madame Cloporte, la porte à ses lèvres et s’adonne au baisemain le plus sophistiqué qu’il n’ait jamais pratiqué.
Nous repartons, moi j’ai fait la bise à la Mère Cloporte.
– A-t-on rêvé ? qu’il me demande dans un souffle.
– Vous verrez bien Hector que j’lui dis, sans lui montrer que j’suis aussi étonné que lui. Puis nous nous séparons, comme si rien ne s’était passé.
Le lendemain, on s’retrouve sur la plage. Une habitude. Redescendu de son piédestal, Hector et son crâne tout neuf m’invitent au restaurant avec mon oncle. C’est un endroit où s’que s’empiffrer, c’est pas permis. Faut tenir ses couverts de la bonne main. Claquer des mandibules c’est interdit ! Ma chaise au placet rebondi me donne l’envie de sauter comme sur un trampoline. Le bord de la table m’arrive un peu au-dessous du menton et j’esquisse le geste de pousser la nourriture directement de l’assiette à ma bouche. La moustache de mon oncle s’agite et met un terme à mes élucubrations mentales.
D’une oreille distraite, j’découvre qu’Oncle Jules fut concierge dans la banque dont Monsieur Petitemonnaie est le directeur. Je remarque qu’il a un mouvement de recul en reconnaissant Oncle Jules. « Lui ! Manger au restaurant avec son concierge ». Moi j’regarde son crâne chauve où une écaille se dessine… Les deux hommes se congratulent causent du bon vieux temps, surtout le banquier qui ne laisse pas le temps à mon oncle de placer un mot. J’suis assis entre les deux et le bruit qu’ils font avec la bouche survole ma tête. Ils se quittent sur des notes agréables. Moi, j’vois bien qu’Hector n’est pas satisfait. Il a fait l’effort d’être jovial avec mon oncle, que j’me dis. Il va rentrer chez lui, oublier la sorcière et recommencer sa vie d’avant, comme si rien ne s’était passé, perclus de ses sentiments de supériorité.
Une semaine passe, mon oncle me lit l’article qui vient de paraître dans le journal : « Hector Petitemonnaie, riche banquier, a eu la surprise, à son retour de vacances, de se réveiller au milieu de la nuit avec des démangeaisons sur le crâne. Il s’est regardé dans le miroir, ne s’est pas reconnu, sa figure rétrécie ressemblait à une tête de reptile. Persuadé qu’il faisait un cauchemar, il s’est recouché. Au matin, une énorme bosse avait poussé dans son dos. Actuellement des savants, réunis du monde entier cherchent une explication… Ils n’ont jamais vu une tortue qui parle et qui explique ce qui lui est arrivé. Un cas irrésolu de métamorphose conclurent ils, il s’agit d’une nouvelle maladie, la Torhectortue. »
Texte revu après stage
Des écailles sous un bonnet rouge réécriture
Chaque année en décembre, Paul passe ses vacances chez son oncle Jules lorsque ses parents partent pour la Guadeloupe dorer leur beauté au soleil… « sans moi ! » insiste-t-il en faisant la moue. A chaque fois, Oncle Jules lui pince les joues !… Il lui soulève le menton, lui dit qu’il n’a pas changé, que ses yeux sont toujours aussi bleus, que sa figure est toujours aussi tamisée à travers la même passoire. Ses cheveux, il les trouve trop longs malgré les boucles rousses que sa mère vénère comme une relique de son enfance.
La cérémonie des retrouvailles terminée, Paul court sur la plage où le sable s’ennuie en hiver ; Pour s’amuser, il saute par-dessus des obstacles invisibles ou shoote dans son ballon perdu, avalé par les vagues. Il s’arrête, regarde le ciel. Comme pour le consoler, des nuages se sont arrondis.
Ensuite, il file chez la Mère Cloporte. Les villageois disent qu’elle est folle et lui fichent la paix. Moi, songe Paul, « elle me fait marrer et m’angoisse en même temps ». Dans sa masure de bois fatigué, près de la plage, elle l’accueille toujours avec chaleur. Malgré son visage ratatiné et ses verrues qui lui agrandissent le nez, il se laisse embrasser… pour lui faire plaisir et parce qu’elle lui offre une pomme bien meilleure que chez lui. Dans le fond de sa baraque, les flammes d’un foyer. La cheminée, un tuyau de fourneau trouvé aux puces, les aspire et une fumée nauséabonde crache ses volutes de couleurs variables selon leurs odeurs. Répugnante de patates moisies. Désolante d’un oignon qu’on pèle.
Les récits de la mère Cloporte, surtout ceux sur le bouillon magique capable de transformer les gens, empêchent Paul de bien dormir. Pourtant, il adore les histoires qui font peur, qui lui procurent des frissons délicieux, sauf quand il se souvient du glouglou des vieilles chaussettes en ébullition, qui lui coupe l’appétit. La Mère Cloporte lui a avoué qu’elle est fille de sorcière. Elle se divertit en envoûtant des gens, rien que pour vérifier les résultats de ses recherches sur la science des herbes magiques. « Bon ! C’est peut-être vrai, mais, » comme dit Paul, «faudrait pas qu’elle exagère avec ces combines magiques, ça c’est pour les p’tits qui croient aux contes de fées ».
Ce matin, le garçon cherche des coquillages. Il voit arriver une espèce d’échalas, avec un complet-veston foncé, une cravate cramoisie et un crâne chauve, cible rêvée pour le lâché d’un goémon d’albatros. « On dirait un bonhomme déguisé en banquier, » rigole le gamin intérieurement. Lorsqu’il est proche, il le salue.
— Bonjour M’sieur.
— …
« En v’là des manières » pense Paul, il répète,
— Bonjour M’sieur
— …
L’individu passe tout droit et disparaît vers le village. Paul en déduit dans sa tête, « j’suis transparent ou ce bonhomme est sourdingue. » C’est ainsi trois jours de suite. Au quatrième, l’enfant ne le regarde plus. Soudain, son attention est titillée par un ton sucré et distingué,
— Bonjour jeune homme !
Tiens se dit Paul, il parle ! Comme pour se venger il glapit,
— Ha, ha, ha ! ! »
Et il court à l’opposé en bougonnant « s’il croit que j’vais causer à un mec aussi mal élevé. »
Le lendemain, le petit neveu d’Oncle Jules s’accroupit derrière un rocher dès qu’il aperçoit le « banquier », comme il l’a surnommé, un bonnet rouge de bonne femme enfoncé jusqu’aux yeux. Il se demande à mi-voix « où c’est qu’il a pu trouver cette horreur qui le fait ressembler à un cul de macaque ? » Il constate que l’homme le cherche et l’appelle. Il rigole de le voir tourniquer et marmonne, « y sait même pas mon nom… Je rêve ? Y s’intéresse à moi ? j’en r’viens pas. J’bouge pas c’est trop drôle. » Un moment. Paul se propulse comme un diable de derrière les rochers.
— Coucou ! » crie-t-il.
— Ah te voilà ! Petit morveux !
« Morveux » pense Paul, « j’veux bien, quoique… Mais petit, ça m’agace. »
— Eh Petit ! » répète l’homme, « ne vois-tu pas la fumée verte qui sort de la centrale nucléaire ? »
— Bien sûr que j’la vois !… J’m’appelle Paul, et vous ?
— Il doit y avoir des fuites » chuchote le type en baissant la voix.
— N’importe quoi ! C’est quoi votre nom ? » Redemande Paul, qui réfléchit quelques secondes pour lui-même. « Il est pas un peu cinglé ? c’est peut-être pour ça qu’il m’saluait pas, y m’voyait pas, coincé dans sa pétoche nucléaire. »
— J’ai visité la centrale avant hier, poursuit le monsieur, depuis j’ai des croûtes plein la tête,
« Y m’tend l’élastique de ma patience,» se dit Paul en épiant le banquier qui enlève son bonnet.
— Ben mon vieux ! ces trucs râpeux collés sur vot’ crâne encaustiqué… ouah, ça craint ! » baragouine le gosse en se grattant le front.
— …
— Ça, c’est un coup d’la mère Cloporte, elle dit qu’elle envoûte des gens.
— Tu te moques de moi, boy ! Restons-en là ! adieu !»
Et voilà ! se dit Paul tout haut. « Y doit penser que lui et son complet veston y peuvent pas s’abaisser à croire à l’expérience d’un galopin. OK qu’il parte ! Pourtant j’aimerais bien voir la bouille qu’il pousserait si je lui présentais la Mère Cloporte. » Le garçon poursuit le banquier et lui emboîte le pas espérant le faire changer d’idée.
— Allez soyez pas vexé !
Il lui propose de l’emmener chez la vieille femme, mais le monsieur distingué a la trouille, il s’en va en réajustant son bonnet.
Sur la plage, le jour suivant, l’homme porte un bonnet vert plus gros, qui le fait paraître encore plus pâle. Sans préambule, il ordonne,
— emmène-moi chez ta sorcière !
— Ben, dire s’y vous plaît, ça ferait bien dans le paysage et bonjour aussi, … C’est quoi vot’nom ?
— Hector Petitemonnaie, banquier.
— Pffff ! » fait Paul se mordant les lèvres en regardant ailleurs… « Vous êtes un vrai banquier ?
— Oui ! emmène-moi chez ta sorcière ! »
Paul le fixe inquiet. Ça bouge sous le bonnet vert. Il tire Hector par sa manche. Leurs pas trouent le sable l’espace de quelques minutes. Hector ralentit, s’arrête. Un effluve bizarre se fraie un passage par les fentes de la cabane de Madame Cloporte. Ça prend au nez, ça fait tousser. Elle entend du bruit, ouvre la porte. Hector devient blanc comme un pipi de tortue. Paul le tire par la manche tout près de Madame Cloporte. Comme le banquier est incapable de parler, il lui arrache son bonnet !
— OH Ho ! » Fait la matrone d’une voix d’outre-tombe, en rafistolant sa blouse glauque dans sa jupe informe, « que voilà un cas intéressant. »
— Vous voyez, Hector, ça l’intéresse, c’est bon signe.
Madame Cloporte se dandine jusqu’à l’arrière de la pièce, repousse ses mèches grasses, ouvre son grimoire, rajoute quelques herbes et de la poussière d’étoiles (qu’elle dit). Le chaudron rugit. La maisonnette rougit. La fumée les entoure, ils ne se voient plus. Une pause ! Tout redevient normal. « Comme ça peut être normal dans la maison de la Mère Cloporte » se dit Paul en voyant Hector allongé sur le sol de terre battue, son bonnet vert en lambeaux, à côté de son crâne ripoliné.
La vieille femme tend les mains dans la direction d’Hector. Il se relève comme un zombie, les yeux grands ouverts.
— Voilà, suppôt de la finance, dit-elle en appuyant sur chaque syllabe, c’est terminé mais, tu ne dois jamais plus mépriser quiconque, sinon…
Hector ondule en avant, prend la main de la Cloporte, la porte à ses lèvres pour s’adonner au baisemain le plus sophistiqué qu’il n’ait jamais pratiqué.
Paul a fait la bise à Mme Cloporte. Ils repartent, chacun avec une pomme.
Hector encore chancelant regarde le garçon, un point d’interrogation incrusté dans ses rides
— A-t-on rêvé ? » souffle-t-il
— Vous verrez bien Hector » murmure Paul, sans lui montrer qu’il est aussi étonné que lui.
Puis ils se séparent comme si rien ne s’était passé en cette fin de journée.
Le lendemain, sur la plage. Une habitude. Redescendu de son piédestal, Hector et son crâne tout neuf invitent Paul au restaurant, ainsi que son oncle. En arrivant dans la salle à manger de l’Hôtel des Effluves de Mer, le neveu écoute son estomac qui gargouille. Son plaisir s’estompe un peu, lorsqu’il énumère dans sa tête que, « c’est un endroit où ce que s’empiffrer, c’est pas permis. Faut tenir ses couverts de la bonne main. Claquer des mandibules c’est interdit ! Se moucher dans sa serviette, quelle horreur !» Il passe ses mains sur le coussin à ressorts de sa chaise ce qui lui procure l’envie de se trémousser comme sur un trampoline. Le bord de la table lui arrive un peu au-dessous du menton il esquisse le geste de pousser la nourriture directement de l’assiette à sa bouche. La moustache d’oncle Jules s’agite et met un terme à ses élucubrations mentales. Ce qui l’impressionne le plus c’est de voir son oncle habillé chic, avec un nœud papillon, alors qu’il le voit presque toujours en T-shirt et jean, en train de bricoler autour de ses maquettes de châteaux ou d’avions. Paul se dit « la semaine prochaine, j’me mettrai aux maquettes de bateau, c’est plus reposant ! »
D’une oreille distraite, il découvre qu’Oncle Jules fut concierge dans la banque dont Monsieur Petitemonnaie est le directeur. Le mouvement de recul d’Hector lorsqu’il reconnaît Jules n’échappe pas à Paul qui imagine les pensées du banquier, « il doit se dire, moi, manger au restaurant avec un concierge !». Du coup, il lorgne le crâne chauve du financier. Une écaille s’y insinue…
Les deux hommes se congratulent causent du bon vieux temps, surtout Hector qui ne laisse pas le temps à oncle Jules de placer un mot. Paul est assis entre les deux. Le bruit qu’ils font avec la bouche survole sa tête. Ce qu’il a dans son assiette le fascine davantage. Il goûte et analyse les plats qui se suivent, une carotte rapetissée, des mini-crottes de poisson, une tranchette de viande, une ratatinade de queue de limousine ou bien ce tas d’une minuscule purée de chou-fleur surmonté d’une fleur de persil qui en réalité est un sorbet de céleri décoré de feuilles de menthe. Le dessert est une immersion totale dans le chocolat !
L’estomac aux anges, tous trois se quittent sur des notes agréables. Mais, Hector fait semblant d’être jovial, Paul le voit bien et il s’imagine la suite. « Rentré chez lui le banquier oubliera la sorcière et reprendra sa vie d’avant, comme si rien ne s’était passé, perclus de ses sentiments de supériorité. »
Une semaine a passé. Oncle Jules lit à son neveu l’article qui vient de paraître dans le journal : « Hector Petitemonnaie, virtuose de la haute finance, a eu la surprise, de retour de vacances, de se réveiller au milieu de la nuit avec des démangeaisons sur le crâne. Il s’est regardé dans le miroir, ne s’est pas reconnu. Sa figure rétrécie ressemblait à une tête de reptile. Persuadé qu’il faisait un cauchemar, il s’est recouché. Au matin, une énorme bosse avait poussé dans son dos. Actuellement des savants, réunis du monde entier cherchent une explication. Ils n’ont jamais vu une tortue qui parle et qui explique ce qui lui est arrivé. Un cas irrésolu de métamorphose concluent-ils, il s’agit d’une nouvelle maladie, le syndrome de la Torhectortue.
1 réflexion sur “Nouchka Favez – Stage questions de style (mai 2016)”
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