Il ne faut pas voir à travers l’intitulé de cet article une volonté d’ingérence dans l’acte littéraire d’autrui. Simplement, sans se substituer à la pensée qu’un écrivain souhaite partager avec son lectorat, on peut tenter de comprendre ce qui risquerait d’en brouiller la clarté. Pour illustrer de façon littéraire une idée à la perfection, on conseille fréquemment d’aller à l’essentiel tout en évitant un style d’une aridité rébarbative. Un tel équilibre passe par des phrases où le mot de trop s’efface devant celui que l’évidence rend irremplaçable. L’écriture fourmillant de choix, il revient à l’auteur de ne pas se disperser dans les siens pour ne pas altérer l’unité de sa réflexion. Et de ne dire à son lecteur que ce qui servira l’histoire soumise à son appréciation…
Le troupeau d’idées
Le lasso mental
Un écrivain se doit de disposer d’un lasso mental lui permettant d’empêcher la dispersion du troupeau de ses idées. C’est un outil technique au même titre que n’importe quel autre procédé littéraire. Il consiste en la capacité de repérer et d’écarter toutes les scories d’un discours, d’une action, d’un cheminement narratif, etc. Ceci afin qu’ils conservent leur propre progression logique tout en interagissant avec l’ensemble des éléments du récit sans en entraver le cours.
La continuité intellectuelle
Si une interruption ne se justifie pas dans ces différents processus, elle affaiblira le maillon de la chaîne littéraire concernée. Partir dans tous les sens dilue la concentration du lecteur, l’empêchant à certains moments de retenir correctement une précision importante pour la compréhension globale d’un passage. Un point ainsi négligé verra immanquablement réduites ses chances d’être assimilé. Or, à chaque instant, tous les événements doivent se situer dans une continuité intellectuelle ; cela n’interdit en rien une histoire complexe.
Savoir quelle histoire on raconte
Veiller à ce que l’arc narratif d’un personnage s’achève participe par exemple de la bonne conduite d’une histoire. Pour ce faire, on doit avant même qu’il apparaisse dans le récit définir son rôle et l’objectif qu’il est censé atteindre. Qu’il ait rempli sa « fonction » est une chose dont l’auteur doit s’assurer. Parasiter le parcours de ce personnage à cause de considérations portées à la connaissance du lecteur selon l’inspiration du moment est donc pour le moins contre-productif. Sauf cas exceptionnels, une bonne histoire n’en raconte pas une autre.
L’éparpillement
Ce qui est prioritaire
Cet éparpillement est un phénomène souvent constaté chez les auteurs débutants. Il est provoqué par un enthousiasme compréhensible : on voudrait dire tout ce qu’on a en tête. Mais se faire plaisir nuit fréquemment à la lisibilité d’ensemble. Ce n’est pas parce qu’un fait totalement décorrélé de l’intrigue s’est imposé à soi qu’il devient incontournable. Pas au point en tout cas d’en faire une priorité ne tenant aucun compte de la compréhension et de la fluidité de l’intrigue.
La couche de trop
Même chez certains écrivains aguerris, on constate, faute d’impréparation ou de vigilance, qu’on ignore ce qu’il est advenu d’un protagoniste occupant pourtant un rôle assez important dans l’histoire. Ou qu’une réflexion se délite car sa mise en place repose sur un élan et non sur une explication inscrite dans le cadre d’un développement planifié. Ces inaboutissements cassent le rythme d’un récit s’ils ont tendance à se répéter. Une théorie est bienvenue à condition de ne pas constituer une couche supplémentaire sans rapport avec le point de vue qui est en train d’être exposé ou la scène se déroulant.
Les yeux ronds de l’Oulipo
Le problème est qu’en procédant à l’inverse, en suralimentant le texte, le lecteur se trouve confronté à un fourre-tout sous lequel les véritables enjeux de l’histoire deviennent compliqués à identifier. Une lassitude s’installe alors à force d’être contraint de renouer les liens d’une intrigue devenue une pelote aux emmêlements d’une surabondance grotesque. Imaginez un peintre recourant sur la même toile au cubisme, au pointillisme, au fauvisme, au surréalisme et au préraphaélisme, rapportez ça à différentes influences littéraires rattachées à plusieurs idées exposées dans une page, voire un chapitre, et vous toucherez vite aux limites d’une telle démarche : même du côté de l’Oulipo, on vous considérerait avec des yeux ronds !
De l’incise à l’incision
Écrire, c’est arracher à une histoire ce qu’elle a dans le ventre. L’auteur plonge pour ce faire les mains dans les entrailles de son sujet afin d’en brandir le cœur encore palpitant au visage de son lecteur. L’efficacité du texte passe par l’aspect viscéral de ce que l’on raconte, et dans cette optique on n’exhibera que les organes vitaux du récit : ce qu’on doit dire à son lecteur. On peut se permettre quelques digressions, mais pour le reste, on taillera dans le vif. Les coutures stylistiques sont chargées de faire ressortir avec une virtuosité chirurgicale les fines cicatrices du récit, pas de l’enlaidir de boursouflures en raison d’injections superflues de Botox® littéraire…
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