Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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Les descriptions, un casse-tête ?

lecteur endormi dans sa chaise longue

Sommaire

Si les descriptions vous posent des difficultés dans l’écriture de vos nouvelles ou d’un roman, cet article vous explique des procédés à partir d’exemples tirés d’œuvres de référence. Si vous pensez que les descriptions ralentissent le récit et endorment vos lecteurs, vous risquez de changer d’avis !

Silence et bavardage, le temps des pourparlers

Vous avez déjà dû lire de nombreuses fois ce conseil donné à qui souhaite insuffler de la vie à ses protagonistes par la description : montrez plutôt que racontez. Figer un geste dans la gangue d’un discours condamnerait son personnage à une forme d’immobilisme, pris qu’il serait dans de lourdes chaînes textuelles, les mots formant boulet. C’est en partie vrai, pourtant, il faut bien dire quelque chose pour voir s’animer les êtres de papier ! Et être soufflé par la singularité d’un paysage ! Ou sentir sous ses doigts la sciure jetée par un barman pour recouvrir la flaque de sang séchant sur le parquet d’un bouge ! Alors, l’art descriptif, un véritable casse-tête qui nous verrait hésiter entre silence et bavardage ? Voyons quelles solutions les meilleurs ont négociées afin de s’illustrer dans ce domaine, et s’il nous est possible d’y briller à notre tour…

Différentes visions de la description

La vitesse des siècles

Une certaine idée « moderne » de la littérature voudrait que la description appartienne à une époque révolue. Un roman ancré dans un imaginaire plus actuel, composé de livres pressés de paraître et de séries où chaque plan a valeur de rebondissement, serait né. Les lecteurs nourris très tôt à ce lait-là, ou l’ayant découvert sur le tard, comme déshabitués des lenteurs étudiées, n’auraient pas ou plus ni le goût ni le temps d’un arrêt sur image. Ce serait considérer l’écriture descriptive comme n’appartenant qu’à de mauvais auteurs de la seconde moitié du XVIIIème ou du XIXème siècle de penser qu’elle ne peut convenir au rythme de la 5G ni cohabiter avec la littérature fast-food. Qu’importe la vitesse d’un siècle, car le talent ne s’arrête jamais.

S’enrhumer avec des adjectifs

Il est facile de dénigrer la description en s’appuyant sur ces écrivains vermoulus attirés par la boursouflure du style ou perdus dans la maniaquerie du détail. Quand un livre nous tombe des mains, c’est plus à l’auteur qu’il manque du talent qu’au lecteur des forces, que sa logorrhée de plumitif ait sévi hier ou se répande aujourd’hui. On doit à ces verbeux d’avoir infligé à des générations entières des pages d’un tel ennui que l’emploi de leur livre même pour servir de cale serait à proscrire, puisque susceptible de faire bâiller jusqu’aux meubles. Enrhumant leur lecteur dans les courants d’air d’une pensée charriant mille adjectifs, ce n’est pas en leur direction que notre regard contemporain se portera avec profit.

Les trésors dépoussiérés

Faire cas de ces seuls adeptes du clinquant sémantique et des tournures superfétatoires reviendrait donc à oublier les Hugo et les Flaubert, Les Chateaubriand comme les Zola, qui nous ont légué des scènes superbes et des images d’une puissance ayant traversé toutes les modes. Dans une société où il faut être du dernier cri pour qu’on vous écoute, les murmures du passé, même portés par les écrits virtuoses des mythes littéraires précités, ne parviennent pas toujours à nos oreilles, ou pas autrement qu’accompagnés du sentiment que beaucoup de poussière a glissé sous les tapis depuis leur publication. Et pourtant : 

« Il y eut à mon apparition une rumeur d’armes et de voix. Les banquettes se déplacèrent bruyamment. Les cloisons craquèrent ; et, pendant que je traversais la longue salle entre deux masses de peuple murées de soldats, il me semblait que j’étais le centre auquel se rattachaient les fils qui faisaient mouvoir toutes ces faces béantes et penchées. »

Le dernier jour d’un condamné, Victor Hugo. (1)

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À l’écoute du style

Bien entendu, il est difficile d’être audible…

Ne les voyez-vous pas s’incliner vers ce condamné, ces faces béantes au bout de leur fil ? Elles me font l’effet de goules avides retenues à grand peine par la troupe. Je trouve cette vision saisissante. Ce texte a 191 ans, et pas une ride au coin des lignes. Aujourd’hui, parmi les auteurs chouchoutés du moment, combien auraient eu de tels mots à l’esprit ? Il y en a, bien sûr, et encore assez nombreux pour embraser la littérature de magnifiques flamboiements. Cependant, ils me semblent hélas plus minoritaires d’une année sur l’autre. À moins que leur écho médiatique diminue au profit d’auteurs qu’un jargon préfabriqué témoignant mieux de leur époque rendrait plus audibles ?

Un nœud de cravate n’étrangle pas la créativité

Que je sois clair : cela ne me dérange aucunement de voir la littérature dénouer sa cravate et prendre quelques aises avec les traditions l’ayant vu se développer– pourvu que la créativité n’y perde pas et qu’on ne sombre pas dans des relâchements coupables. Or, pour une description aussi travaillée que celle dont se fend Hugo afin que la pression sur le condamné soit palpable, à combien de « foule hostile/menaçante/vindicative », « contenue par des cordons de sécurité/des gardes impassibles/ d’intraitables forces de l’ordre » aurions-nous droit en lieu et place des « masses de peuple murées de soldats » ? C’est là qu’est mon propos : la recherche de simplicité – dans le but d’être le plus accessible possible – appelle parfois une facilité convoquant des formules interchangeables, quand d’abominables clichés ne s’en mêlent pas. J’espère me tromper dans ce constat se vérifiant à mon sens trop souvent.

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Les objets-personnages

Un cas d’école

Plus proche de nous, bien que 29 ans soient passés depuis sa parution – déjà ?! –, l’introduction de Nuit d’été (2), un roman signé Dan Simmons :

« Old Central School — la Vieille École du centre — se dressait avec arrogance, protégeant jalousement ses secrets et ses silences. Quatre-vingt-quatre ans de poussière de craie flottaient dans les rares rayons du soleil et l’odeur du vernis, appliqué année après année sur les escaliers et les parquets, imprégnait l’air confiné d’une odeur de cercueil. Voilées et déformées par l’âge et la pesanteur, les vitres des hautes fenêtres teintaient l’atmosphère d’une lassitude couleur sépia […]. Au printemps 1960, l’école ressemblait aux enseignants qui s’y étaient succédé : trop vieille pour continuer mais trop orgueilleuse pour prendre sa retraite, toujours debout par la force de l’habitude et la volonté farouche de ne pas capituler. »

Dans les entrailles de la description

Cette école pourrait plaire à Paul Valéry qui dans Tel quel (3) parlait des personnages comme de « vivants sans entrailles », ce que semble être ce bâtiment. Dan Simmons le dépeint en associant des choses inhérentes à un vieil établissement scolaire (la craie, les parquets vernis) à une image morbide (le cercueil). Si le procédé pour rendre l’endroit inquiétant est assez classique, il demeure efficace en plus de voir un réel soin stylistique apporté à la description. Enfin, Simmons bascule vers la personnification des lieux en les comparant à ceux qui l’occupent, pour ne pas dire qu’ils en sont les gardiens tant moraux que physiques. Tout ça, si l’on compte les passages que je me suis permis de caviarder, en à peine vingt-cinq lignes. Chapeau !

C’est son portrait caché

La littérature fantastique, notamment, n’est pas avare de descriptions mettant en lumière les objets-personnages, inanimés ou non, âme comprise ou pas, pour unir Lamartine à Valéry. La personnification d’un objet suppose qu’à divers degrés il ait une influence sur un ou plusieurs personnages de chair et de sang d’une histoire. Cela peut se limiter à ce qu’il incarne : le rappel d’un souvenir douloureux, d’un fait demeuré inexpliqué, d’une action culpabilisante, etc. Quoi qu’il en soit, il n’est pas rare qu’un phénomène de hantise s’y rattache. L’un des exemples les plus célèbres alliant description et personnification, sans parler du caractère admirable de l’œuvre, est sans conteste Le portrait de Dorian Gray (4) :

« Dorian avança lentement, sans répondre. Arrivé au chevalet, il se tourna vers son portrait, eut un léger sursaut et ne put se défendre de rougir de plaisir. Une lueur joyeuse s’alluma dans ses yeux, comme si, pour la première fois, il venait de se reconnaître. […] et maintenant que l’extase l’immobilisait devant l’image de sa propre beauté, voici que dans une clarté fulgurante, il en saisissait toute la vérité. Oui, un jour viendrait où son visage serait creusé de rides et flétri, ses yeux vagues et éteints, la grâce de ses lignes alourdie et faussée. L’écarlate s’effacerait de ses lèvres et ses cheveux perdraient leur or fluide. La vie, à mesure qu’elle formerait son âme, déformerait son corps. Il lui faudrait devenir horrible, hideux, grotesque. »

Cette laideur qu’on envisage

La description effectuée par Wilde sublime la beauté de son héros par la projection de sa laideur à venir, qu’il envisage subitement et avec d’autant plus de force que ce contraste se nourrit du discours tenu un peu plus tôt par Lord Henry : « Votre jeunesse s’en ira, votre beauté avec elle, et vous découvrirez tout à coup qu’il faudra faire votre deuil des triomphes […] Le temps vous jalouse et guerroie contre vos lis et vos roses. Un jour votre teint sera blême, vos joues hâves, vos yeux ternes. »

Le spectre de la déchéance

En dépeignant ce qui est et sera, il couvre le plus large spectre descriptif qu’on puisse imaginer, réunissant les étapes marquant l’évolution du portrait en même temps que celle du personnage. Le chef-d’œuvre d’Oscar Wilde ne tient évidemment pas qu’à cette double approche, car sous le vernis de l’histoire se diffuse le génie de son auteur. Tout à la fois le dessin littéraire d’un personnage tragique et la peinture de son âme, Le portrait de Dorian Gray est l’un des livres les plus lumineux qu’on ait écrits sur la noirceur. Veinards, vous qui ne l’avez pas encore lu, c’est comme si en arrivant quasiment au terme de cet article, vous aviez désormais en votre possession une carte avec une croix indiquant où se trouve le trésor !

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De l’utilité de la description

La description, c’est bien, l’information, c’est mieux

On oublie trop souvent qu’une description est une information, et qu’on doit s’en servir comme telle pour renseigner le lecteur. Si, on l’a vu,  le côté esthétique n’est surtout  pas à reléguer au second plan, rien n’empêche que la façon de dépeindre une scène se double de la volonté d’apporter un élément utile à sa connaissance. Cela doit constituer un choix conscient de la part d’un auteur, pas un heureux hasard permettant qu’on apprenne incidemment une chose importante en découvrant la configuration d’un lieu, par exemple. En ce sens, la description d’un endroit peut préparer l’action dans lequel celle-ci va se dérouler.

Préparez-vous à fuir

Si votre personnage est en fuite pour une raison ou une autre, il sera important que les paysages dans lesquels vous le ferez évoluer au cours de sa cavale lui permettent ou non, selon le sort que vous lui réservez, d’échapper à ses poursuivants. Faites-le s’installer dans un environnement se prêtant à un départ précipité à l’abri d’une nature dense ou plantez-le au milieu d’une plaine n’offrant aucune cachette sur des kilomètres décidera de l’issue si ce n’est d’une histoire, du moins d’un chapitre. On voit donc qu’il y a une façon de penser une description au-delà de son seul aspect littéraire, celui évoqué ici se situant davantage du côté de la narration.

Je ne vous décrirai pas par le menu la seconde partie de cet article, mais vous dis à la semaine prochaine pour en savoir plus !

  • Le dernier jour d’un condamné, Victor Hugo, Éditions Librio.
  • Nuit d’été, Dan Simmons, Éditions Albin Michel.
  • Tel quel, Paul Valéry, Éditions Gallimard – Collection Folio essais.
  • Le portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde, Éditions Seuil.

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La description par Samantha Bailly

Samantha Bailly, née le 16 novembre 1988, est une autrice, scénariste et vidéaste française. Elle est présidente de la Ligue des auteurs professionnels et ex-présidente de la Charte des auteurs et des illustrateurs jeunesse.

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