Nombre d’auteurs débutants pensent atteindre un excellent niveau d’écriture en se contentant d’aligner des pensées servies par une prose fluide. Les mêmes croient en la parfaite tenue d’une histoire par la seule grâce de l’emploi de phrases soignées. Ils doivent hélas souvent déchanter en voyant leurs efforts aboutir à un texte certes correct, mais ne touchant pas le lecteur. Ne le marquant pas. Pourquoi ? Car ce que la majorité des novices ignorent, c’est qu’en l’absence d’intention littéraire, les pensées et les mots ne restent que rarement dans les mémoires…
Comment acquérir l’intention littéraire
Dévorez, mais mâchez longuement
Vous aimez lire, forcément. Et si vous parcourez cet article, vous adorez également écrire. Dans l’optique de vous améliorer, vous conciliez bien sûr ces deux passions : la lecture est un plaisir qui vous permet de perfectionner votre écriture. Encore ne faut-il pas se satisfaire d’un grappillage textuel pour progresser. S’il est déjà riche d’enseignements de ne pas se cantonner à une lecture passive, on doit pousser notre étude d’une histoire au-delà de ces astuces d’écrivain qu’on se régale de dénicher. C’est, quand on veut s’en inspirer, la meilleure manière de dévorer un texte : en en mâchant chaque phrase.
Des réponses à vos questions
Pour décrypter et acquérir ce qu’est une intention littéraire, une lecture analytique s’impose tôt ou tard à nous. C’est l’unique moyen pour repérer les coutures d’un texte, en comprendre les plis et jusqu’au moindre tissage de mots le rendant séduisant et remarquable. Il faut saisir de quelle façon la progression d’une idée s’articule. Ainsi, vous ne lirez plus uniquement en attendant des réponses de l’auteur, mais en vous posant des questions de lecteur. En saisissant son intention.
Ce qu’on doit se demander
Pourquoi cette scène plutôt qu’une autre débute-t-elle le récit ? Pour quelle raison ce narrateur a-t-il été choisi ? Comment l’effet obtenu parvient-il à me surprendre ? De quelle façon l’auteur m’amène-t-il à ressentir ces émotions qui m’atteignent ? Quels moyens déploie-t-il afin de diriger mes pas vers la direction qu’il me souhaite voir emprunter, etc. Ne lâchez pas le morceau avant de trouver des réponses à vos questions… et de vous les appliquer quand viendra votre tour d’élaborer une scène suscitant la réflexion au-delà des apparences. Ainsi, vous ne serez plus de ces auteurs en herbe entreprenant d’écrire sans formuler clairement ce qu’ils désirent transmettre.
Un puissant mécanisme littéraire
Lire un bouquin en interrogeant les motifs ayant présidé à sa construction est une des choses les plus éclairantes qui soient. Cette gymnastique intellectuelle deviendra instinctive à mesure que vous la pratiquerez. Vous percevrez de quelle façon un passage, de son départ à sa conclusion, puise son énergie dans l’intention littéraire de l’écrivain. Cette dernière est conçue pour imprégner subtilement votre subconscient en rejaillissant ici et là au gré des phrases, mais vous deviendrez peu à peu capable de détecter le moindre rouage de ce puissant mécanisme littéraire.
Étude d’un chien avec et sans intention littéraire
Le clebs de Richard Ford
J’ai lu récemment un recueil de nouvelles de l’écrivain américain Richard Ford, Rien à déclarer. Sans doute cette révélation ne va-t-elle pas bouleverser votre existence, mais toujours est-il que c’est en découvrant le passage d’un de ses textes que l’idée de cet article m’est venue. Il est tiré de la nouvelle Jimmy Green 1992 ; le voici :
« Un chien noir entra par la porte ouverte. Il avait été tondu, à l’exception de sa grosse tête et de son museau laineux. On aurait dit une gargouille. Il observait la scène comme s’il s’attendait à ce que Jimmy fasse quelque chose d’étonnant. »
Avant de débuter l’analyse de cet extrait, on peut imaginer comment un auteur en herbe virtuel (AeHV pour cet article) en aurait livré une version dénuée d’intention littéraire :
« Un chien noir entra dans la pièce. Il était rasé, sauf sur la tête et le museau où ses poils restaient longs. Il s’arrêta et regarda Jimmy. Il semblait attendre que celui-ci réagisse. »
Être correct ne suffit pas
C’est correct. Mais rien de particulier n’interpelle l’imagination du lecteur, contrairement à ce qu’a écrit Ford, saupoudrant son propos de précisions lui conférant sa singularité. En ne se cantonnant pas à une description basique du chien, Ford en compose une image saisissante. Son style suggestif y est pour beaucoup. Sa comparaison avec une gargouille n’est par exemple pas anodine : il tient à frapper l’esprit de son lecteur.
L’intention de faire la différence
Sortez le fer !
Mon AeHV, lui, ne dépasse pas le cadre d’un langage descriptif basique. Rien ne donne particulièrement envie qu’on s’intéresse outre mesure au cabot qu’il dépeint. Il n’y a pas grand-chose à reprocher à la syntaxe simple et directe avec laquelle il est présenté, seulement, cela débouche sur une écriture sans relief. La narration factuelle à laquelle il recourt n’instaure pas d’atmosphère retenant l’attention. On nous renseigne sur la venue d’un animal dans une pièce où se trouve un homme, rien de plus. Pour le style, sortez le fer, on repassera !
Deux façons d’attendre
Ford, je l’ai dit, insiste sur l’aspect visuel du toutou. Il souligne la spécificité de sa tonte pour qu’on ressente son côté un brin étrange, voire dérangeant lorsqu’il l’apparente à une gargouille. L’effet voulu est de rendre cette apparition déconcertante. Ce n’est plus seulement un chien qui fait irruption dans une pièce, c’est presque une vision surnaturelle. Ce côté décalé est accentué par l’attente contenue dans le regard du chien. Il y a une grosse différence entre dire : « Il s’arrêta et regarda Jimmy. Il semblait attendre que celui-ci réagisse. » et « Il observait la scène comme s’il s’attendait à ce que Jimmy fasse quelque chose d’étonnant. » : la première délivre un fait ; la seconde crée imperceptiblement une tension.
Transformer la neutralité en originalité
Une phrase marquante est donc bien une question d’intention. Dépeindre une expression ou décrire un geste peut s’accomplir de façon purement factuelle. C’est parfait dans bien des cas quand on n’a pas d’autre objectif que de relater une scène avec justesse. L’information fournie au lecteur permet de passer à la suivante, point. Cependant, il se présente toujours une opportunité d’enrichir son style en choisissant un angle dont l’application transformera la neutralité en originalité. C’est vers cette direction littéraire que je vous encourage vivement à vous tourner pour envoûter votre lecteur, si telle est bien votre intention…