Deuxième partie
On prête le flanc à des remarques parfois déstabilisantes en soumettant pour la première fois un manuscrit au regard d’autrui. Ces réflexions nous troublent d’autant plus qu’on ne sait pas à quelle sauce on va être mangé. C’est certainement l’un des passages obligés où le doute de l’écrivain débutant est à son paroxysme. Dans la première partie de cet article, j’évoquais pourtant l’aspect bénéfique d’une critique afin de progresser dans son écriture, qui plus est en gagnant du temps. Du moins si l’on veut bien laisser son ego au vestiaire, accroché à la patère voisine de celle où notre veste en peau d’orgueil est pendue…
Les règles des collaborateurs
Bouquet et roncier
« Les critiques sont les premiers collaborateurs d’un artiste. » disait Luciano Pavarroti. En affirmant cela, le célèbre ténor italien pensait bien sûr à la juste sévérité des aristarques plutôt qu’au dénigrement envieux des zoïles. Mais qu’il s’agisse d’un bouquet de compliments ou d’un roncier de moqueries que l’auteur découvre dans l’herbe tendre de son inexpérience, une cueillette discernée s’impose à lui. Respirer le doux parfum de l’approbation tout en s’écorchant aux épines du débinage en règle est en effet une étape funambulesque de l’apprentissage.
45 secondes de gloire
On doit observer trois règles pour éviter que cet entrelacs de critiques fige notre écriture, la première étant : ne pas se réjouir trop longtemps. Dans l’hypothèse où nos écrits nous valent un jugement flatteur, il faut certes en tenir compte et le garder en tête, mais ne pas s’y attarder. Pensez à la cérémonie des Oscar : le lauréat reçoit sa statuette et dispose officiellement de 45 secondes pour les remerciements d’usage. Applaudissez-vous mentalement d’avoir été récompensé d’un bon retour sur votre texte, puis passez à autre chose. Sinon, vous risqueriez de vous endormir sur vos lauriers. Or, la gloire se vit dans l’instant mais se cultive dans la durée.
Gardons le moral et ne tuons personne
Le labyrinthe littéraire
La seconde règle est celle-ci : ne pas se démoraliser à la moindre remarque négative. Un lecteur a exposé une faiblesse de votre écriture au grand jour ? Probablement estime-t-il avoir à peine égratigné votre prose, quand dans votre esprit ses mots éventrent vos certitudes littéraires. On doit alors aussitôt se remettre en cause plutôt que de se réfugier dans un abattement stérile. Ceux qui se lamentent ne cherchent pas une solution, ils voudraient qu’il n’y ait pas de problème. Or, on trouve rarement la sortie d’un labyrinthe en se contentant de dire qu’on est perdu.
Vous avez un message
La dernière règle est moins évidente qu’on ne le pense : ne tuez pas le messager. Il serait en effet facile de voir s’incarner le porteur de mauvaise nouvelle cher à Sophocle et à Plutarque dans la personne pointant un défaut de votre écriture. Si ce n’est guère plaisant à entendre, on ne peut
reprocher à qui souligne nos erreurs d’en être le responsable. Ce n’est pas tant cette réaction injuste que je tiens à signaler, mais le fait qu’elle nous empêcherait de nous améliorer. Alors écoutons le message, et laissons vivre le messager. Puis remettons-nous au boulot d’arrache-pied dès qu’il aura tourné les talons.
Il va falloir qu’on m’explique
Défiez la critique
Valorisante ou blessante, une critique n’a de sens que si elle est expliquée. Si la personne qui la formule est uniquement capable de justifier son avis par « j’aime » ou « j’aime pas », ne lui demandez plus jamais d’émettre une opinion sur vos textes. Par ailleurs, pour être exploitable, une critique doit systématiquement entraîner un questionnement objectif de la part de qui la reçoit : est-elle pertinente ? Si oui, considérez un avis dépréciatif comme un défi à relever. C’est un excellent moyen de ne pas s’enfermer dans une cogitation morose.
Les fausses notes de Pavarotti
Une phrase mal fichue ou une narration chaotique ne nous désignent pas comme un imposteur. L’écriture d’un auteur débutant ne traduit pas qui il est, mais ce qu’il est en train de devenir. Douter de ses écrits participe de la lucidité des gens amenés à progresser plus rapidement que ceux qui sont pétris de certitudes. Après tout, Pavarotti a bien dû admettre avoir commis quelques fausses notes avant d’accéder au statut de monstre sacré de l’opéra. Vous aussi, vous êtes sur la bonne voie.

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