Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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Sommaire

Comment un auteur trouve-t-il véritablement un jour, et de façon durable, son style ? On ne peut bien sûr pas faire l’économie de l’inévitable évolution précédant une forme de stabilité dans notre écriture. Nous franchissons tous des caps au gré de nos acquis littéraires, techniques stylistiques et apprentissage personnel confondus. Nos lectures infiltrent notre esprit tel un liquide textuel et l’on en retrouve les sédiments dans certaines de nos phrases. Mais une fois ces processus naturels arrivés à leur terme, à partir de quel moment notre patte est-elle discernable au moyen de nos écrits ?

Les définitions que le dictionnaire Le Robert nous donne du style sont, pour ce qui nous occupe, les suivantes :

1 – Part de l’expression (notamment écrite) qui est laissée à la liberté de chacun, n’est pas directement imposée par les normes, les règles de l’usage, de la langue.

2 – Manière d’écrire présentant des qualités artistiques.

Liberté du style, exigences littéraires

Les exceptions

Plusieurs termes sont importants dans ces définitions, à commencer par liberté. On y rattache souvent une notion d’épanouissement, de mieux-être dans ce qu’on accomplit, et en quelque sorte, une absence totale de contraintes. Une vision à nuancer dès lors qu’on est confronté à une exigence littéraire. Les écrivains célèbres pour s’être affranchis avec talent des normes et des règles de la langue constituent l’exception. Céline et Burgess sont par exemple de ceux-là, mais je serais bien en peine d’en citer ne serait-ce qu’une centaine comme eux alors qu’on estime que la France et le Royaume-Uni notamment comptent à notre époque chacun 100 000 auteurs environ.

Ombre et lumière du style

Les normes et les règles n’en demeurent pas moins malléables, mais ne justifient d’être tordues, vrillées, et caressées à rebrousse-phrase que si la lisibilité du texte et la compréhension de l’histoire sont préservées. L’originalité d’un style, ce n’est pas écrire au mépris d’une recherche qualitative que le lecteur est en droit d’attendre pour être ébloui, peu importe le sujet abordé. Croire qu’on est génial en se complaisant dans un style obscur, c’est oublier que la maîtrise stylistique doit propager la lumière d’une écriture inventive.

Le mécanisme original

Le côté artistique d’un style porte en lui toute la subjectivité lié au concept même de l’art, autour duquel on ferraille depuis des siècles. Pour l’associer à l’écriture en une approche simpliste, on peut circonscrire le style à l’application des savoir-faire en délimitant les contours. Cette vision volontairement restrictive de l’art stylistique laisse peut-être moins de place à l’interprétation d’une œuvre pour en saisir la valeur. Une figure rhétorique telle qu’une métaphore est par exemple un mécanisme facilement identifiable dont il est aisé d’appréhender s’il fonctionne. Et, une fois ceci établi, d’en juger l’originalité.

Cet horrible blanc manteau neigeux

Si ces éléments littéraires codifiés sont les garants théoriques d’un style, ils ne suffisent pas à le personnaliser. Mais une métaphore, pour en revenir à ça, n’en vaut pas une autre. Ainsi serait-il bon d’épargner entre autres à qui nous lit l’image éculée suivante : « Ce matin, le blanc manteau de la neige a recouvert le sol. ». Dans le cadre d’une tentative de prolongement d’un travail d’Antoine Albalat, l’excellent ouvrage L’art d’écrire enseigné en vingt leçons (1899), j’avais à ce propos, m’adressant à mon potentiel lecteur, écrit ce qui suit :

« Je vous propose donc d’en réécrire deux versions, la première avec une contrainte vestimentaire, mais autre que celle du « manteau », la seconde en s’en débarrassant complètement pour qu’advienne une image tout à fait neuve.

Ma propre cogitation a débouché sur ceci :

Les premières lueurs éclairent les fossés repus de la cotonnade de janvier, mouchetée de la boue arrachée aux chemins par de brusques freinages.

Et :

Le ciel, triste clown hivernal, a jeté depuis l’aube son fard blanc sur les routes.

Voilà. Repose en paix, vieux cliché, sous ton blanc manteau de neige ! »

Vous l’aurez compris, votre style gagnera à ce que vous portiez un regard neuf sur les formules stéréotypées, ou à ne les utiliser que pour caractériser un personnage connu pour son emploi abusif des lieux communs, par exemple.

Le bac à sable merdique d’Earl Thompson

L’ouragan suédois

D’autres images, qu’on doit au brillant Earl Thompson dans Un jardin de sable ; contexte pour la première d’entre elles : un fermier américain commençant à avancer en âge voit avec la plus grande désapprobation l’acquisition d’un cabriolet par son gendre, un Suédois quelque peu rêveur.

« Déjà, le vieux était passablement irrité que son gendre ait pu trouver de bonnes raisons de l’acheter avant même d’avoir de quoi déménager, mais en plus, à chaque fois qu’il voulait le faire travailler, il devait l’arracher au véhicule ; il commença donc à se convaincre qu’Odd en particulier, et les Suédois en général, se situaient dans son échelle personnelle de valeurs juste un cran en dessous de la merde de baleine, produit qui, une fois séché, vaudrait très exactement ce que vaut un pet dans un ouragan. »

La critique, tout un style

Le style tient ici autant à la structure de la phrase qu’à la façon dont le message est formulé. L’aspect humoristique est amené par la réflexion nourrie de mauvaise humeur du personnage. Ulcéré qu’Odd ne s’attache pas à des priorités ancrées, selon lui, dans le cours normal de la réalité, « le vieux » lui en fait d’abord mentalement grief avant de basculer vers un jugement sans appel, avec des mots fleurant bon les accents ruraux du Kansas des années 40. Mettre à contribution les excréments d’un gros mammifère cétacé pour établir la place à laquelle on estime qu’un homme se situe est tout bonnement savoureux.

Le bébé jaune

« Et le bébé était si blond que Wilma devait lui passer de l’huile d’olive sur les sourcils pour éviter qu’on le confonde avec un melon jaune. »

Une phrase pour établir un portrait à la fois imprécis et marqué d’un détail fort, englobé par le regard d’une mère, sa façon de s’y prendre avec son enfant, le tout ponctué d’un sourire malicieux de l’auteur à destination de son lecteur. Les mots sont simples, mais résonnent entre eux : le jaune adresse une réponse colorée au blond, l’huile d’olive  « assaisonne » le melon. Un style qui va à l’essentiel sans s’interdire de petites touches surprenantes conférant de la vigueur au style.

Les petits bourgs se ramassent à la pelle

« Goliad, c’était un petit bourg poussiéreux, dans les tons feuille morte, 1446 habitants, selon la pancarte à la gare. »

Difficile de ne pas se représenter ce patelin évoquant tant d’autres minuscules endroits qui vivotent en bordure de la désolation. Le petit bourg poussiéreux pose la base d’une vision commune, parlant à tous, employé mille fois dans mille autres romans. La suite évoque, avec ses tons feuille morte, une bourgade craquant sous le pas, prête à s’émietter comme le suggère par association d’idées la précarité végétale dévitalisée du lieu. La pancarte dont on imagine sans peine qu’un quelconque coup de chiffon du destin viendra un jour effacer le gros de la population renforce la fragilité d’un endroit où le passé survit.

Le style vicié de la réalité

Un chiffon dans la gorge

Qu’on ne s’y trompe cependant pas : malgré un ton oscillant entre causticité, propos bourrus et réalisme intelligent de la description, Thompson ne se cantonne pas à une littérature « confortable » ; la rudesse d’une existence où l’on s’accroche au moindre dollar, la violence sèche, les minables arnaques, les comportements sordides et déviants, tout cela est le tissu humain où il a découpé un chiffon crasseux servant à essuyer comme on peut la bave du désespoir. Parfois au point d’enfoncer cette étoffe écoeurante dans la gorge du lecteur. Sincère et cru jusqu’à l’irrespirable, son style ne manque pas d’air, mais il est irrémédiablement vicié :

« ‘‘Elle est morte ? demanda Jack.

— Oui’’, murmura sa mère.

Il avait de la peine qu’elle soit morte. Et en même temps, il se demandait si on pouvait se taper une femme après sa mort. Elle ne pouvait pas vous empêcher, finalement, se dit-il. »

Les souillures du style

Jack est un enfant d’une dizaine d’années quand cette pensée lui traverse l’esprit. C’est aussi ça, le style : oser parler d’une pulsion où le malsain le dispute au naturel et l’horreur à l’innocence. C’est assumer d’écrire tout haut ce qu’on sait qu’un personnage pense tout bas. Et admettre que puisque dans la vie réelle ces gens-là existent, et pour certains, nous ressemblent, aborder les tabous pour ce qu’ils sont, des vérités dérangeantes, mais nécessaires à la littérature dans toutes ses souillures.

Le choc artificiel

En revanche, choquer pour choquer ruinerait votre effet, car il ne serait que ça : un procédé dont on percevrait l’artificialité. Dans sa préface de Un jardin de sable, Donald Ray Pollock, écrivain fameux s’il en est et n’édulcorant pas son écriture quand elle doit rendre compte de la noirceur des sentiments humains, dit ceci à propos de ce roman : « D’accord, c’était rempli de sexe, de salauds, de crasse, et d’une profonde pauvreté, mais à sa façon triste et sordide, c’était également beau. Les personnages étaient vrais, tellement vrais que je les aimais et les détestais avec rage. »

Les estafilades du style

Une outrance littéraire doit laisser une estafilade dans la conscience du lecteur, et ce n’est pas à l’aide d’un couteau de théâtre que vous y parviendrez. Le cinéma, voisin de palier romanesque de l’écriture, l’a d’ailleurs bien compris. Sauf quand c’est à dessein, il n’est jamais fameux qu’on puisse deviner que l’endroit où évoluent les protagonistes d’un film ne soit qu’un décor que les techniciens démonteront une fois la scène tournée. Une valise qu’un voyageur épuisé dépose au terme d’un long trajet au pied du comptoir de réception d’un hôtel ne doit pas non plus sembler avoir été mise là par un accessoiriste la minute d’avant. Fuyez les émotions en carton-pâte.

Peut-on se définir par rapport à son style ?

Un auteur n’est pas tous ses personnages

Les sentiments vrais, nés d’un désir enténébré ou d’une joie lumineuse, ne vous définissent pas en tant que personne lorsque vous les couchez sur le papier. Un auteur peut explorer une partie de son univers intérieur qui n’émergera qu’à la faveur d’une phrase sans obligatoirement l’essentialiser. Vos personnages ne vivent que grâce à votre existence, pas parce que vous êtes comme eux. Mais au fond de vous, une petite voix vous chuchote des vérités nées de vos observations, de vos rencontres, des discussions auxquelles vous n’avez jamais pris parti ou au contraire que vous avez animées. Ce murmure est l’extraction de la substance du quotidien.

Quand le style déborde le texte

Votre style, c’est vous et ça ne l’est pas ; ce que vous rêvez d’être autant que ce que vous craignez de devenir. Votre lecteur a besoin de l’authenticité de votre ressenti afin de s’imprégner de votre discours. Avant de penser à l’art et à la liberté d’expression qui émaneraient du style, la priorité reste de mettre ce dernier au service d’une histoire. À trop songer à l’exposer avec ostentation, certains auteurs oublient que le surcharger finit par masquer en partie le contenu qu’il est censé illustrer. Le style est comme les effets spéciaux d’un film : ils peuvent bien déborder de l’écran, si le scénario est mauvais on s’ennuie ferme.

La sobriété comme figure de style

Donner du relief au fond, rendre saillantes les idées qui le constituent, est ce qui confère son épaisseur à un texte, pas l’exagération lexicale. Les broderies enjolivent le costume mais n’en améliorent pas la coupe. C’est ainsi que la discrétion du style rend visible son élégance. S’il doit dire quelque chose de nous, autant que ce ne soient pas des effets tapageurs qui nous rendent reconnaissable, mais bien de ces motifs langagiers captant l’attention par leur sobriété et la subtilité de leur agencement…

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