Les personnages marquent par leur personnalité, leurs audaces, leurs talents et leurs travers. Un bon moyen de séduire ses lecteurs qui s’identifient à eux. Il existe plusieurs types de personnages, dans cet article, Frédéric Barbas analyse leurs attraits à travers trois notions : le personnage régulier, récurrent ou déployés.
Comment se constituer un lectorat fidèle avec un personnage
Il y a des auteurs qu’on apprécie car on sait exactement à quoi s’attendre de leur part. Plus précisément, je pense à ceux proposant un personnage régulier auquel on s’attache et qui, de sa présence identifiable au premier coup d’œil, irrigue l’univers créé par le romancier.
Les intrigues le concernant ne sont pas les mêmes d’une fois à l’autre, bien sûr, quoique répondant à un cahier des charges, quel que soit le genre. Mais le personnage, lui, est – presque – inchangeable. Un bon auteur veillera toutefois à le faire évoluer d’un roman au suivant, ou sur une certaine période, sans cependant bouleverser trop en profondeur les habitudes de son lecteur. Le faire paraître sans aucune transition sous un jour totalement différent serait comme un cocufiage schizophrénique : trompé par une personnalité qu’on ne soupçonnait pas, le divorce serait vite consommé.
En revanche, s’il ne varie pas de manière radicale, le personnage régulier constituera un repère dans l’univers d’un lecteur, ce vers quoi il se tournera volontiers.
Le précieux ami d’un auteur
On peut aussi se prendre d’affection pour un personnage récurrent, dont on guette les apparitions sporadiques. Il arrive parfois, quand son créateur prend conscience de l’impact positif qu’il a sur son lectorat (les réseaux sociaux facilitant à présent d’autant plus ce constat), qu’il devienne à son tour un personnage régulier. Un phénomène que l’on rencontre assez fréquemment dans les bandes dessinées (le capitaine Haddock dans Tintin), les dessins animés ou les séries télévisées (le personnage secondaire Saul de la série-mère Breaking bad devenant l’acteur principal dans le cadre du spin-off Better call Saul).
Le personnage récurrent deviendra vite un allié de choix pour l’auteur souhaitant se concilier des aficionados.
Frédéric Dard fera ainsi emboîter le pas de son personnage phare San-Antonio, environ trois ans après la naissance littéraire de celui-ci, à Alexandre-Benoît Bérurier, qui deviendra un incontournable de son œuvre majeure. Suivra Pinaud, dans une moindre mesure, car seul « Béru » accédera parfois au statut de premier rôle, le commissaire San-Antonio s’effaçant pour l’occasion.
Rendre un personnage efficace
L’efficacité d’un personnage récurrent tient en partie dans l’attente qu’il génère une fois qu’il a éveillé la curiosité ou la sympathie du lecteur s’il s’agit d’un « gentil » prêtant main forte au héros, ou suscité la fascination pour sa capacité à nuire ou sa cruauté si on a affaire à un « méchant », pour simplifier. En créant un manque bien dosé, un auteur aguerri peut se permettre d’éclipser un temps ce personnage : lorsqu’il revient, il est fort de notre ignorance concernant son éloignement, et on guette les indices nous dévoilant quelle vie il a menée, dissimulé dans l’ombre du personnage régulier.
Le récurrent grandit le régulier, qu’il le soutienne ou l’affronte, d’où son indispensabilité.
Conan Doyle nous a offert une particularité avec le tandem Holmes-Watson, indissociables dès leurs débuts, même si on estime que le détective donne toute sa dimension au « canon ». C’est pourtant à travers la voix du narrateur John W. que Sherlock H. existe, véritable yin et yang littéraire.
Watson, en scrutateur de leur relation, soulignera la remarquable intelligence de son ami tout autant que ses travers, le docteur s’imposant comme la poutre maîtresse de sa légende.
Je ne résiste pas à l’envie de brièvement évoquer Van Gulik et son juge Ti, non pas pour davantage éclairer la notion de personnage régulier, bien que Ti en soit un, mais pour porter à la connaissance de ceux qui l’ignoreraient l’existence de cet enquêteur inspiré d’une figure historique chinoise. À (re)découvrir.
Faire se déployer un personnage
D’autres écrivains ont choisi de créer un personnage qui se déploie dans leur œuvre sous différents noms tout en conservant des traits de caractère reconnaissables d’un livre à l’autre. Je pense entre autres à James Patrick Donleavy, dont le souffle et l’âme de son homme de gingembre n’ont cessé de parcourir la quasi-totalité de ses ouvrages. Qu’il s’agisse de Sebastian Dangerfield, George Smith, Clayton Clementine, Balthazar B. ou Darcy Dancer, ils partagent les mêmes défauts enthousiasmants et de semblables qualités mélancoliques.
Un déployé, au contraire d’un régulier, ne compte évidemment pas de récurrents dans son entourage ; cependant, on reconnaît des profils gravitant autour de lui. Chez Donleavy, ce sont les amateurs de frasques, les femmes plus ou moins fatales et les trouble-fêtes de la vie hédoniste, voire de sybarite à laquelle aspire le héros.
Installer un personnage régulier pourrait ne paraître dépendre que d’une seule condition : qu’il plaise au lecteur. Ce peut être le cas si par chance, l’histoire le mettant en lumière remporte un succès tel que son géniteur puisse entrevoir un filon, et l’exploite. L’occasion fait le larron.
S’installer face à un échiquier mental
La conscience de devoir poser les bases d’un univers avec dans l’idée de le développer réclame une démarche autre que l’écriture d’un roman « classique » : il faudra songer aux coups d’après. Aussi astucieusement qu’un joueur d’échecs peut projeter sa pensée.
On planifie d’une façon une histoire délestée après son dernier mot des échos et des réflexions qu’elle éveillera dans l’esprit de celui qui la lit.
Celle dont les ressorts narratifs sont tendus pour se propulser vers une suite s’aborde différemment. Il faut songer aux ramifications, déterminer quel personnage récurrent déclenchera tel mécanisme chez le personnage régulier, et quel autre contrariera ses visées, tout ça sur le long terme.
C’est une vision qu’on ne peut enfermer dans un seul roman, aussi faut-il mesurer l’effort à fournir : sera-t-on à même, sur la durée, d’élargir son matériau de départ sans tourner en rond ?
L’importance des à-côtés d’une histoire
Par ailleurs, gérer les personnages récurrents pourrait sembler simple puisqu’on peut faire appel à eux à l’envi afin de provoquer des rebondissements. Seulement, ils ne débarqueront pas ex nihilo, on devra leur inventer une histoire parallèle, même succincte, pour combler ce qui les sépare du quotidien du personnage régulier. Et enrichir cette histoire parallèle à chacune de leurs interventions. Cela exige beaucoup de rigueur, car les incohérences sont friandes d’une multiplication de destinées.
Régulier, récurrent ou déployé, ces personnages à la carrière paginée nous fixent un rendez-vous dans notre parcours de lecteur, et nous accompagnent parfois si longtemps qu’ils finissent par appartenir à la routine de notre esprit.
On connaît leur boisson préférée, la marque de leurs vêtements, leurs certitudes comme leurs faiblesses. Nous sommes leurs muets interlocuteurs, les observateurs de leurs gestes. Mais bien qu’on les devine, ils parviennent à nous surprendre.
Ce petit sourire à peine conscient qu’on a quand on soulève la couverture qui les abrite vaut un Goncourt ou un Pulitzer : rien n’égale le Prix du Confident.
Car notre pensée est construite de ce qu’ils nous susurrent.
Quelques personnages réguliers qui ont fait date par leur longévité… et leur rentabilité
♦ Malko Linge, dans la série d’espionnage SAS (200 romans environ) https://fr.wikipedia.org/wiki/SAS_(s%C3%A9rie_litt%C3%A9raire)
♦ Mack Bolan, engagé dans une lutte sans fin contre la mafia dans l’Exécuteur (600 romans environ, pour 200 millions d’exemplaires vendus) https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Ex%C3%A9cuteur_(roman)
♦ Remo Williams, formé à un art martial faisant de lui un surhomme se battant (non sans humour) contre tous les visages que peut prendre le crime, dans L’implacable (près de 150 romans). https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Implacable
♦ Hubert Bonisseur de La Bath, qui du haut de ses 75 millions d’exemplaires vendus (pas loin de 250 romans) a fait le bonheur de nombreux lecteurs et de ses auteurs, soit la famille de Jean Bruce, femme et enfants compris, qui prolongèrent la vie du personnage après la mort de son créateur. https://fr.wikipedia.org/wiki/OSS_117
♦ Roland de Gilead, sous la plume de Stephen King, est un pistolero qui a lui aussi rassemblé des millions de lecteurs se joignant à sa quête de La Tour sombre. https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Tour_sombre
♦ Dans des registres nettement moins brutaux, on peut évoquer Françoise Dupont, alias Fantômette (52 romans). https://fr.wikipedia.org/wiki/Fant%C3%B4mette
♦ Alice Roy, fruit de différents auteurs, compte à ce jour 175 volumes. https://fr.wikipedia.org/wiki/Alice_Roy
♦ Plus proche de nous, la saga Harry Potter, dont chaque Moldu a probablement entendu parler. https://fr.wikipedia.org/wiki/Harry_Potter
♦ Et l’inévitable Twilight, bien sûr, qui a vampirisé une génération. https://fr.wikipedia.org/wiki/Twilight
Bien que ne s’étendant pas de façon aussi spectaculaire que d’autres dans le temps, et n’admettant qu’un nombre de volumes assez restreint, certains titres valent d’être cités ici pour l’adhésion massive qu’ils ont rapidement suscitée.
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